Seconde Partie
Les Bommerayns prirent la direction de la forêt jouxtant la clairière. N'étant jamais allés plus loin que le pied du tronc du grand arbre, ils se sentaient inquiets, perdus et effrayés face à l'étendue d'herbe et de plantes qui s'étendait, loin devant eux. S'armant de courage, ils s'avancèrent en prenant soin de rester ensemble. Naturellement, c'était le chef qui guidait la troupe.
Le chef était l'un des rares anciens Bommerayns à avoir survécu à la mort de l'arbre. Il était l'un des plus grand de son espèce, et l'un des plus sages. Il descendait d'une génération de grands chefs, qui se partageait depuis longtemps un poème bommeraynnien disant:
Lorsque Le Grand Arbre disparaîtra,
Dirige toi vers les bois,
Car là-bas,
Tu trouveras l'Arbre de Lumière,
Qui t’accueillera les bras grands ouverts.
Droit devant toi, par delà les bois,
Ton refuge t'attends, garde confiance,
Ne baisse pas les bras,
Tes efforts obtiendront récompense.
Voilà où le chef emmenait son peuple. Il espérait trouver par delà les bois, le légendaire Arbre de Lumière qui leurs offrirait le refuge auquel ils aspiraient tant.
S'appuyant sur sa canne, le chef gardait le regard braqué loin devant lui. Il comptait bien amener son peuple jusqu'à ce fameux arbre, quand bien même cela devrait être sa dernière action en ce monde. Il savait son peuple en de bonnes mains si jamais il lui arrivait malheur: son fils et sa fille prendraient la relève et assureraient un avenir sûr aux Bommerayns. Mais pour l'instant, c'était à lui de mener sa tâche à bien.
Le petit peuple arriva enfin à l'orée de la forêt après deux journées de marche éreintantes. Les quelques anciens présents ralentissaient quelques peu l'expédition, mais ils faisaient tout leurs possibles et les plus jeunes les aidaient du mieux qu'ils pouvaient.
Au moment d'entrer dans la forêt, le chef tint un discours afin d'encourager les Bommerayns:
- Mes chers amis, ici commence la partie la plus ardue de notre voyage, dit-il d'une voix grave. La forêt est pleine de danger et de mystère. Qui sait ce qui nous attend une fois sous le couvert des ces immenses arbres? Mais n'oubliez pas que par delà ces bois nous attend l'Arbre de Lumière. Chaque pas nous rapproche de notre refuge. Nous devons nous protéger les uns les autres, nous soutenir et surtout rester ensemble. Haut les cœurs, mes amis! En avant!
Les Bommerayns adressèrent une ovation à leur chef et entrèrent à sa suite dans la forêt. A ce moment là, les Bommerayns ne soupçonnaient en rien les difficultés qu'ils allaient connaître pour arriver à leurs but. C'est confiant qu'ils s'avancèrent entre les brins d'herbes et pénétrèrent dans la forêt.
Le sol était couvert de feuilles, d'épines de sapin et de brindilles. L'air sentait merveilleusement bon, et la lumière qui filtrait au travers l'épais feuillage était tamisée, donnant une atmosphère mystérieuse et magique à la forêt. Tout était découverte pour les Bommerayns, qui se fondaient parfaitement dans ce décor. Ils marchèrent, prenant grand soin de rester ensemble, tout en admirant les plantes et les arbres. Jamais ils n'en avait vu de si grands, ni de si beaux.
La forêt était remplie de secrets et partout on entendait les bruits des brindilles qui craquent etdu bruissement des feuilles. N'importe qui aurait été sur ses gardes en entendant que ces bruits se situaient derrière soi, et qu'ils se rapprochaient insidieusement. Les Bommerayns ne soupçonnaient rien des dangers qui les guettaient. Ils n'avaient connu que la tranquillité de leur arbre et étaient loin de s'imaginer les horreurs et les barbaries qui sévissaient au sol. Le soir de leur première journée de voyage au sein de la forêt, notre petit peuple connut sa première épreuve.
La nuit tombait rapidement dans la forêt, et les Bommerayns furent surpris par la soudaine obscurité qui s’abattit sur eux. Le clair de lune avait peine à percer le feuillage dense des arbres. Ils réussirent quand même à se diriger jusqu'au pied d'un chêne, dont les racines ressortaient du sol à certains endroits. Ils s'installèrent contre ces branches tout en se blottissant les uns contre les autres pour se tenir chaud, et s'endormirent.
Quelques heures plus tard, ils furent réveillés par des craquements secs provenant des buissons voisins. Les Bommerayns se retrouvèrent encerclés par des yeux luisants et menaçants. Il faisait trop sombre pour distinguer quelles étaient ces créatures qui se rapprochaient du chêne où se trouvait le petit peuple.
Il est inutile de narrer en détails ce qui se passa cette nuit nuit là. Les Bommerayns connurent beaucoup de pertes en fuyant leur campement. Leur enthousiasme avait été considérablement refroidis, et c'était avec crainte qu'ils voyaient désormais cette forêt. Après cette horrible nuit, ils prirent toujours soin de placer leur campement en hauteur avant la tombée de la nuit. Chaque bruit leur apparaissaient comme une menace, même si la plupart du temps ceux-ci étaient inoffensifs.
Les Bommerayns poursuivirent donc leur quête, plus prudent que jamais. Parfois, ils leur arrivaient de croiser d'autres créatures que les hommes avaient, involontairement, poussés à l'exil dans les bois. Ces rencontres étaient toujours très agréables et réconfortantes pour nos petits êtres, mais elles ne manquaient pas de leur rappeler leur situation précaire.
Cela faisait plusieurs mois que les Bommerayns avaient entrepris leur quête de l'Arbre de Lumière, lorsqu'un nouveau malheur vint s'abattre sur eux. Leur vaillant chef fit une chute et fut incapable de se relever. Son peuple ne mit pas longtemps à comprendre qu'il était arrivé à la fin de sa vie. Ils l'installèrent sur un lit de fougère confectionné à la hâte et entonnèrent les chants traditionnels bommeraynnien, afin d'aider son âme à atteindre la cime des arbres pour entamer son ultime voyage vers la voûte céleste. C'était là la tradition bommeraynnienne. Avant de rendre son dernier souffle, le chef s'adressa à ses deux enfants:
- Mon fils, ma fille, prenez soin de notre peuple. C'est à vous désormais qu'incombe la tâche de protéger les Bommerayns. Réussissez là où j'ai moi-même échoué: emmenez notre peuple jusqu'à l'Arbre de Lumière. L'avenir de notre peuple en dépend. Je sais que vous en êtes capables mes enfants. Si jamais vous en doutez, souvenez vous que vous descendez d'une lignée de grands chefs bommeraynniens.
- Merci de votre confiance, père. Nous saurons nous montrer à la hauteur, répondit le fils, la gorge nouée.
- Une dernière chose mes enfants. Vous n'ignorez pas que le monde est en plein changement. Les hommes ne croient plus en rien. Faites en sortes que l'on continue de croire en nous. Faites en sortes que l'on continue de rêver. Ce n'est pas seulement notre existence qui est en danger, mais celle de tous les êtres magiques et mystérieux...
La voix du chef était de plus en plus faible.
- Et n'oubliez pas: « Droit devant toi, Par delà les bois... ».
C'est sur ce vers du poème qui les guidait que le chef des Bommerayns rendit son dernier souffle. Le petit peuple choisit le plus bel arbre qu'ils pouvaient trouver: ses branches tombaient vers le sol, et ses feuilles étaient semblables à des gouttes. Ils déposèrent le corps de leur chef au pied du tronc de l'arbre, auquel nous avons donné le nom de « saule pleureur », et lui dirent adieu. Tout le peuple était attristés par la disparition de leur chef, mais leur tristesse n'était rien à côté de celle qui accablait lesdeux jeunes nouveaux chefs. Mais malgré leur chagrin, ils prirent la situation en main.
Il était trop tard et ils avaient été trop éprouvés pour continuer leur voyage ce jour là. Ils grimpèrent dans un arbre voisin du saule où reposait la dépouille du chef et installèrent le campement sur les branches les plus hautes.
Le jour suivant, la fille du défunt chef alla cueillir des fleurs blanches et les déposa sur le corps de son père. Elle réveilla ensuite son peuple et, avec son frère, parla aux Bommerayns.
- Mon cher peuple, commença-t-elle, je sais à quel point la mort de notre père vous affecte. Nous en sommes les premier touchés. Je sais ce qu'il a apporté à notre communauté; c'était un grand chef. Sa dernière volonté était que nous trouvions l'Arbre de Lumière. Nous sommes conscient mon frère et moi que nous sommes partis depuis un long moment en quête de cet arbre légendaire. Certains d'entre vous commence peut-être à douter de son existence. Mais rappelez vous que cet arbre représente notre unique chance de retrouver un foyer, de recommencer de zéros. Nous avons perdu trop d'êtres chers pour nous arrêter à mi-chemin.
- Notre père croyait en cet arbre, continua le frère. Il croyait en nos chances de le trouver. En hommage à la mémoire de notre père, de votre chef, continuons notre voyage. Je ne dis pas que cela sera facile, de nombreuses autres épreuves nous attendent peut-être. Mais ne vaut-il pas mieux tenter quelque chose que de rester à attendre notre fin sans rien faire? Les choses peuvent reprendre leur cours, ils suffit de poursuivre notre route. Qu'en dites vous?
Le peuple des Bommerayns acquiescèrent à l'unanimité. Le peuple ressentait à l'égard de leurs nouveaux chef de la confiance et du respect. Ils savaient qu'ils se montreraient à la hauteur de leur père, et qu'ils les mèneraient à bon port. C'est l'âme en peine mais le cœur léger qu'ils reprirent leur route.
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