Chapitre 3 (Réécrit)

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La semaine qui précéda le bal, Lyra la passa à répéter encore et encore pour être parfaite. Ses gestes, ses intonations, ses dialogues, rien n’était laissé au hasard.

De son côté, Marie, déçue de ne pas avoir pu faire confectionner un ensemble par la modiste, remit au goût du jour une superbe robe rouge écarlate qui appartenait autrefois à Enora. Les préparatifs furent rapidement terminés, plus vite que Lyra ne pensait, plus vite que Lyra ne l'espérait. Une certaine angoisse commençait à méchamment lui tordre le ventre. Il fallait compter presque deux jours de route avant d’arriver à la capitale, puis deux jours de festivités. Leur stratagème allait-il fonctionner ?

Marco avait bien évidemment tout de suite accepté la demande de sa fiancée, incapable de lui refuser quoi que ce soit. Alors, après avoir fait croire à son père qu’elle était souffrante et resterait couchée toute une semaine à cause de ses douleurs menstruelles. Lyra s'était faufilée à l’extérieur de la demeure, bénéficiant de l’obscurité de la nuit.

Monsieur Merryweather, qui avait l’habitude avec cinq femmes à la maison, n’avait pas posé plus de questions, trop absorbé par ses calculs de pertes et de bénéfices. Surtout de perte, à en croire les cernes qui creusaient son visage.

Lyra posa le pied sur la marche de la calèche. Son cœur tambourinait dans sa poitrine d’un sentiment d’excitation, mêlé à une légère anxiété. À la fenêtre du premier étage, les femmes de la maison lui faisaient de grands signes de la main. Heureusement que son père était enfermé dans son bureau, car la discrétion et les Merryweather ça faisait deux.

La calèche avait à présent quitté la campagne de Rivermoore et dodelinait capricieusement sur les chemins rocailleux. Les paupières lourdes de Lyra papillonnaient à chaque soubresaut du véhicule, l’empêchant de plonger dans un profond sommeil.

La noblesse, la cour royale, les bals, tout cela lui était parfaitement inconnu. Malgré les nombreux conseils de sa mère, Lyra appréhendait de faire son entrée dans le grand monde. Les invités, sans aucun doute tous de la noblesse, remarqueraient-ils qu’elle n’était qu’une fille de la campagne ? Se souviendraient-ils de son nom de famille après toutes ces années ? Un nom tâché par la honte et le déshonneur.

À cette pensée, la jeune femme resserra sa prise sur son sac de voyage, placé sur ses genoux. Pour l’heure, elle devait surtout s'inquiéter de sa prestation. Tout en se remémorant pour la énième fois le fil d'Ariane de son récit, Lyra ferma les yeux et plongea dans un sommeil agité.

-§-

— Mademoiselle, nous arrivons à la capitale. D’ici, vous pouvez apercevoir les tours du château, s’écria le cocher du haut de son siège.

Ravie que ce trajet aussi long qu’inconfortable se termine enfin, Lyra passa la tête dans l’encadrement de la fenêtre pour mieux contempler le paysage. L’air frais de ce début d’hiver lécha son visage fatigué par le voyage.

La capitale, Silverthrown, était de loin la plus grande ville du royaume d’Ambrume. Bâtie sur une ancienne colline, la ville était scindée en trois parties, divisant ainsi la population en trois étages : le bas, le milieu et le haut de la capitale. Bien entendu, le château avait été construit tout au sommet. Lyra se rappela l’information que lui avait, un jour, enseignée Cassandra. Cette colline avait été choisie, car elle était la plus haute d’Ambrume. Le château était alors le point le plus proche du soleil et de la lune. Ainsi, la royauté, descendante de ses deux divinités aux yeux des ambrumiens, vivait littéralement entre ciel et terre.

La calèche entama son ascension. Le bas de la capitale, où se trouvait actuellement Lyra, regroupait les « petites gens », les paysans, les boulangers, les forgerons, les bâtisseurs… Les maisons en colombages s'agglutinaient les unes sur les autres comme les blocs de bois d’un jeu pour enfant. Lyra ne parvenait pas à comprendre si les maisons penchaient à cause d’un défaut de construction ou à cause de l'inclinaison de la colline, mais c'était assez drôle à voir. Le ciel s’assombrissait et au fur et à mesure que la calèche cheminait, les rues commençaient à être désertes. Les commerçants fermaient leurs échoppes, les familles rentraient chez elles, et les allumeurs de réverbères prenaient la relève.

Plus Lyra montait, plus le paysage changeait. Elle en conclut qu’elle avait atteint le deuxième palier de la capitale, celui où vivaient les personnes plus aisées. Sa mère lui avait expliqué qu’on retrouvait ici les médecins, les bijoutiers ou encore certains marchands fortunés. Ici les maisons étaient moins biscornues, plus grandes aussi et le sol terreux laissait de plus en plus la place à des pavés en pierre.

Traverser Silverthrown c’était comme assister en direct à l’évolution de la ville. Lyra trouvait ça déroutant et surtout, elle ne comprenait pas pourquoi il y avait tant de différence entre les étages de la capitale. Elle ne fut pas au bout de ses surprises en atteignant le haut de la colline. C’était comme arriver dans une autre ville. Les maisons avaient laissé la place à des bâtisses imposantes, toutes illuminées à l'intérieur par des centaines de bougies. Des jardins luxuriants et finement taillés longeaient la route. Malgré l'obscurité, Lyra n’avait aucun mal à distinguer les couleurs vives de fleurs qu’elle n’avait encore jamais vues avant aujourd'hui.

Les odeurs aussi étaient bien différentes. Son nez avait eu la joie de sentir le four à pain, les braises de la forge, le cuir des tanneurs, des senteurs qui ne lui étaient pas inconnues à Rivermoore. Mais dans le centre et le haut de la ville, tous ses sens la perdaient. Le parfum des fleurs était d’une fragrance qu’elle ne connaissait pas, à la fois sucrée et acidulée, ce qui lui donna envie d’éternuer.

Le voyage s’arrêta devant le château. Il y avait encore un peu de marche, mais le cocher expliqua à Lyra qu’il ne pouvait aller plus loin. Il l’aida à descendre et à porter ses bagages jusque devant le grand escalier qui menait aux portes. Elle remercia Jonathan, le cocher avec qui elle avait sympathisé, et lui dit de profiter de ces deux jours de festivités pour se reposer avant de reprendre la route pour la ramener à Rivermoore.

Après leur salutation, Lyra se retourna vers le château. Elle n’en avait vu que dans les livres illustrés. Et ils étaient loin de rendre hommage à la splendeur de Silverthrown. Enfin non, elle l’avait déjà vu petite, lorsqu’elle vivait encore dans la partie haute de la capitale, mais c’était il y a tellement longtemps. Elle n’en avait plus souvenir. Tout ça, ce n'était pas son monde. Elle était une fille de Rivermoore.

Le château était composé de six petites tours qui entouraient la cour principale. Deux tours plus massives accueillaient les invités de toute leur hauteur. Avec sa pierre blanche et ses toits coniques d’un gris bleuté, il avait tout du château de conte de fée.

Deux par deux, un sac sous chaque bras, Lyra grimpa les marches avec l’aisance et la grâce d’une fermière. Au sommet de l’escalier se tenait un valet de pied à l’air maussade. À la vue de cet énergumène, il ne put s'empêcher de hausser un sourcil tout en retroussant son nez pointu.

— Bonjour, salua Lyra entre deux respirations sifflantes (s’ils voulaient que tous les visiteurs arrivent essoufflés et échevelés à l’entrée, ils avaient bien réussi leur coup avec toutes leurs marches). J’ai été invitée par Sa Majesté au Bal d’Hiver, reprit-elle plus clairement.

— Votre invitation, mademoiselle, récita mollement le domestique, la main tendue.

Lyra tâta les poches de sa cape. De son pantalon. Pas de lettre. Prise de panique à l’idée d’avoir oublié son billet d’entrée pour l'événement de l’année. Voire de sa vie. Elle s’agenouilla à terre, cherchant frénétiquement le bout de papier dans son sac.

Ses joues s’empourpraient à cause de l’angoisse. Elle était néanmoins rassurée que personne d’autre que ce valet de pied ne la voit dans une situation si embarrassante. Ses cheveux s'emmêlaient devant son visage, brouillant sa vue.

Du bout des doigts, elle sentit enfin le contact du papier, qu’elle extirpa de sous ses vêtements. Victorieuse, elle allait le tendre au valet quand un homme lui marcha sur la main.

Le cri de douleur de Lyra ne l'alerta pas pour autant. Monsieur semblait bien pressé. Il lui passa allègrement devant et déposa un parchemin enroulé dans la main du domestique. De dos, elle ne voyait que sa cape blanche et l'épée accrochée à son flanc.

Alors que le nouveau venu parlait avec le domestique, Lyra s’était relevée et époussetait ses vêtements. Elle n’avait pas particulièrement mal à la main, mais elle détestait l’attitude de cet inconnu. Qu’il ne l’ait pas vu était une chose, et encore, elle ne passait pas inaperçue avec ses valises éventrés. Mais qu’il ne s'excuse pas, ça, c'était inacceptable.

— Excusez-moi, s’indigna Lyra en tapotant l'épaule de l’homme encapuchonné, loin de moi l’envie de paraître grossière, mais êtes-vous sourd et aveugle ? Parce que, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais vous m’avez marché dessus, dit-elle en présentant sa main endolorie. Et pour votre intention, j’étais là avant vous. Alors si monsieur pouvait vérifier mon invitation, j’en serais ravie, annonça-t-elle en montrant finalement la lettre au valet.

Pour toute réponse, l’homme se retourna brièvement vers elle, juste le temps pour que Lyra découvre un visage entièrement dissimulé sous un masque doré. Il souffla bruyamment tout en regardant le domestique. Bien que l’expression gravée sur son masque soit parfaitement neutre, son expiration semblait demander ce qu’une telle casse-pied venait faire au château.

Sans plus de considération pour Lyra, l’homme masqué s’engagea dans la cour intérieure avant de disparaître dans l’un des couloirs extérieurs.

Actuellement, elle l’insultait intérieurement de tous les noms d’oiseaux qu’elle connaissait. Alors lui, il n'avait pas intérêt à recroiser son chemin !

Elle déposa fermement son invitation dans l’autre main du valet de pied, peu enclin à la discussion et toujours aussi maussade. Après avoir rassemblé ses effets personnels éparpillés au sol, Lyra passa enfin les portes du château.

Remontée à bloc à cause de l’autre malappris, désormais elle n’angoissait plus. Le bal était ce soir et elle allait montrer à Silverthrown qui était Lyra Merryweather.

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