Chapitre 4 (Réécrit)
Lyra attendait, pensive, assise sur l’un des canapés du salon d'Émeraude. Un salon portant drôlement bien son nom. Du mobilier à la tapisserie, du plafond aux coussins, des peintures aux tentures, la pièce était exclusivement composée de diverses nuances de vert.
D’ordinaire, Lyra appréciait cette couleur qui lui rappelait les collines verdoyantes et les printemps ensoleillés. Le vert, la couleur de la vie. Pourtant, ici, elle ressentait principalement un sentiment de malaise. L’air en devenait suffocant et les différentes teintes de vert la rendaient nauséeuse.
Après toutes les merveilles qu’elle avait entendues à propos du château de Silverthrown, Lyra était presque déçue. Cette pièce était tout simplement laide. Décorée de façon grossière et ostentatoire.
Les nombreux chandeliers couleur bronze se disputaient la place sur la devanture de la cheminée, ne laissant quasiment plus de place pour l’horloge incrustée de pierres. Des coussins de fourrure, aussi gros que la tête de Lyra, prenaient tellement de place sur les fauteuils qu’elle n’y avait posé que la moitié de son postérieur, de peur de les froisser.
La conteuse finit par se demander ce qu’elle faisait là. Des heures qu’elle attendait et toujours pas âme qui vive. Pourtant, la femme qu’elle avait croisée, une domestique avec une queue de cheval brune, lui avait assuré qu’on viendrait la chercher ici. C’était long ! Lyra s'ennuyait, et le tic tac sec de l’horloge la faisait monter en pression.
On frappa finalement à la porte et une domestique fit son apparition dans le salon. C’était une jeune fille petite et menue. Ses cheveux blonds vénitiens retombaient gracieusement le long de ses épaules en deux nattes parfaitement coiffées. De légères taches de rousseurs parsemaient le bout de son nez et de ses pommettes roses. Ainsi vêtue de son uniforme bleu ciel, elle faisait concurrence aux plus jolies poupées de porcelaine.
La tête baissée, la femme de chambre – qui ne devait pas avoir plus d’une quinzaine d’années – murmura d’une voix fluette à peine audible.
— Je… Je me prénomme Madeleine. Je serai votre femme de chambre tout au long de votre séjour au château. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, faites-le-moi savoir. C’est un plaisir de travailler pour vous, mademoiselle.
Et elle termina sa phrase par une rapide révérence.
— Ravie de te rencontrer, répondit poliment Lyra. Pas la peine de faire la révérence, je ne suis pas une lady. Et tu peux m’appeler Lyra, je n’aime pas trop les « mademoiselle », ajouta-t-elle en souriant.
La petite domestique était bien loin de ressembler à Marie. Mis à part l’écart d’âge, Madeleine était tirée à quatre épingles. Elle paraissait aussi douce qu’un agneau, et d’une timidité touchante. Marie, au contraire, était terriblement franche et avait une confiance en elle à toute épreuve. Quant à son uniforme de travail, il était constamment fripé et tâché de café. Il est vrai que cela ne devait pas être facile de rester propre lorsque l’on était la seule domestique d’une famille de six. Surtout lorsque la famille en question était les Merryweather.
— Pour être honnête, avoua Lyra, je commençais à m’inquiéter. On m’a demandé d’attendre ici. Ça va faire presque deux heures, constata-t-elle en regardant l’horloge. J’ai cru qu’on m’avait oublié.
— Je suis désolée ! Je devais venir vous chercher plus tôt, mais personne ne semblait être au courant de votre présence ici. Je vous ai cherchée dans tout le château, mais je ne pensais pas vous trouver ici. Le salon d’Émeraude n’est pas censé être ouvert au public, termina Madeleine en se triturant les doigts.
Madeleine se mordait la lèvre inférieure, un tic qu’avait souvent Obélia, la sœur de Lyra, lorsqu’elle était gênée. Lyra n’était donc pas la seule à se sentir mal à l’aise dans le salon. C’était rassurant. Elle avait peur que tout le château soit aussi mal décoré. Les pupilles de Madeleine se baladaient à travers la pièce sans se poser. À croire que c’était la première fois qu’elle mettait les pieds dans le salon.
Qu’avait dit Madeleine ? Le salon d'Émeraude était fermé au public. Alors, était-ce le salon des reines, une sorte de boudoir pour recevoir leurs amis ? Lyra remit en question le goût de ses dirigeantes. Elle avait tout de suite moins hâte de visiter le reste du château.
— Ce n’est rien, la rassura Lyra en posant une main sur l'épaule de Madeleine. J’ai eu le temps de répéter pour ce soir.
Ce qui n’était pas faux. Toutes les occasions étaient bonnes pour s'entraîner. Et du temps, la jeune femme en avait eu dans cet hideux salon.
Madeleine ne dit rien, mais Lyra sentit que la question brûlait les lèvres de la domestique. Il était temps de se vanter. Juste un peu. Alors, des étoiles pleins les yeux, elle expliqua :
— Sa Majesté m’a invitée au Bal d’Hiver pour que je conte une de mes histoires. Je suis tellement impatiente ! Mais c’est aussi terriblement angoissant, continua-t-elle en longeant le canapé. Je sais que l’on se connaît à peine, Madeleine, mais j’espère que nous serons amies. Une présence amicale me ferait le plus grand bien. Je me sens un peu perdue dans cette grande ville, et aussi, un peu diminuée dans ce château.
Elle était étrange cette jeune femme. Elle parlait fort, elle parlait vite. Madeleine ne savait même plus si elle s’adressait à elle ou si elle se parlait à elle-même. Mais quand elle prononça le mot « amies », Madeleine rougit instantanément. Aucun des nobles qu’elle avait rencontrés n'était aussi naturel et lumineux.
La petite domestique présenta finalement la chambre dans laquelle allait séjourner la conteuse. Au grand étonnement de Lyra, la pièce était tout à fait charmante. Bien loin de l’horreur du salon d’Émeraude. Les murs de couleur crème étaient décorés ici et là de petits tableaux circulaires représentant des natures mortes et des paysages de campagne. Les rideaux, les napperons et le lit à baldaquin étaient d’une rafraîchissante couleur lilas. Et pour finir, un bouquet de lavande, placé sur une table basse en bois blanc, embaumait la pièce.
Lyra se demanda si c’était la reine qui lui avait personnellement dédié cette chambre ou si c’était le simple fruit du hasard. Dans tous les cas, elle en était reconnaissante. Cette chambre lui rappelait sa campagne qu’elle aimait tant.
Après ce long voyage, Lyra était exténuée et ne désirait plus qu’une chose : prendre un bon bain chaud puis se jeter dans les draps. Les festivités du bal d’hiver commençaient vers dix heures du soir, ce qui lui laissait deux bonnes heures pour faire une sieste réparatrice.
Elle allait s’asseoir sur le lit pour retirer ses chaussures, quand une boule noire bougea sur les draps. Lyra avait pris ça pour un coussin, mais la forme se leva, s’étira et ouvrit une grande gueule pleine de petits crocs blancs pour bâiller.
Le chat s’assit gracieusement, sa queue duveteuse recouvrant ses pattes. Il était presque tout noir, seul son ventre était blanc comme la neige ainsi qu’une marque sur son poitrail ressemblant à un croissant de lune. Ses yeux verts, plissés, la jugeaient avec paresse. Il aurait fait un très bon hibou, les oreilles ainsi recourbées sur le côté.
— C’est Archibald, le chat de leurs Majestés, présenta Madeleine. Il a l’habitude de dormir un peu partout. Mais il n’aime personne. Dès qu’on veut l’approcher, il part.
Lyra lui fit sentir sa main. Des chats sauvages avaient l’habitude de vadrouiller près de la demeure des Merryweather, alors, lorsque le temps était capricieux, elle les aidait à se nourrir et à s’hydrater.
Archibald la lui huma du bout du museau, mais l’odeur ne devait pas lui plaire, car ses pupilles rétrécirent. Il sauta du lit nonchalamment avant de gratter à la porte pour qu’on lui ouvre.
— Un vrai petit prince. Archibald, vous pourriez faire preuve d’un peu plus de politesse, gronda gentiment Madeleine en lui ouvrant la porte.
— Ne t’inquiète pas, c’est un chat. Ils sont princes n’importe où ils vont, répondit Lyra, amusée.
Une fois la porte refermée, sans aucun chat mal luné dans la chambre, Madeleine proposa à Lyra de se détendre dans un bain chaud avant de se préparer. La conteuse ne pouvait rêver mieux. Elle était persuadée que la petite Madeleine avait lu dans son esprit.
Habituée à la présence de Marie lors de ses toilettes, Lyra ne se gêna pas pour se déshabiller entièrement. Elle n'avait jamais été pudique. Marie lui avait raconté que petite fille, après son bain, elle fuyait fesses à l’air pour aller voir ses parents ou embêter ses sœurs.
Par son métier, Madeleine avait déjà vu le corps nu d’une femme. Elle s’était déjà occupée de la toilette des nobles dames sans qu’elle n’en ressente ni gêne ni pudeur. Mais la désinvolture avec laquelle la demoiselle Merryweather avait ôté ses vêtements lui fit instantanément dévier le regard.
Lyra laissa échapper un soupir en entrant dans l’eau chaude et parfumée. Elle s’allongea, reposant sa tête et ses pieds sur le rebord de cuivre de la baignoire. Délassant ses muscles tendus, elle huma l’air et ferma les yeux d’aise. Alors là, elle avait trouvé le paradis sur terre.
Elle jeta un œil à sa main. Celle écrasée plus tôt par l’homme masqué. Elle n’avait pas mal, mais elle ressentait toujours la pression du pied. Sans doute, la chaleur de l’eau réveillait la sensation. Lyra repensa aux deux fentes du masque qui la fixait, des yeux taillés dans l’or, parfaitement inexpressifs. Un frisson lui parcourut le corps. Il était temps de sortir de son bain, elle commençait à prendre froid.
Une fois le bain et la sieste terminés – Lyra ayant finalement succombé aux réconfortants bras de Morphée – Madeleine commença à s'exécuter et prépara la demoiselle. Dans un premier temps, elle enduisit le corps de la jeune femme avec la crème que Marie avait déposée dans son sac. Une crème à base de miel et de lavande, le parfum préféré de Lyra, à la fois doux et sucré. Ensuite, la jeune domestique l’aida à resserrer son corset, à mettre ses bas, ses chaussures et enfin à enfiler sa robe de bal.
Une robe passée de mode si Madeleine avait bien suivi la tendance chez les femmes de la capitale. Pourtant, les arrangements et les modifications faites par Marie, comme lui avait expliqué Lyra avec fierté, redonnaient une certaine fraîcheur au vêtement. Le bustier, parfaitement cintrée, rehaussait la poitrine de la jeune femme, ce qui ne la rendait que plus pulpeuse et attrayante. Les manches bouffantes, débutant sous les épaules, dégageaient son cou, paré d'un collier en or simple et élégant. Pour finir, la jupe harmonisait parfaitement la tenue avec la grosseur et la fluidité des jupons. Enfin, le rouge écarlate du tissu sublimait la peau brune de la jeune femme et faisait ressortir ses iris ambrés.
Madeleine poursuivit avec le maquillage. Il ne fallait pas que des couleurs trop vives ou trop sombres détournent l’attention de la robe. Alors, elle opta pour un fard à paupière doré et un rouge à lèvres nacré. Enfin, elle coiffa les épais cheveux chocolat de Lyra en un chignon complexe.
En se regardant dans le miroir, Lyra se trouva très belle. D’ordinaire, sa tenue ne la préoccupait pas, du moment qu’elle était confortable, mais à ce moment précis, elle était fière de la femme qu’elle voyait dans le miroir.
Lyra Merryweather sentit une inspiration nouvelle venir en elle. Elle se sentait prête à affronter l’inconnu. Parée de ses plus beaux atours, son récit bien en mémoire, elle était confiante.
La petite horloge sur la commode sonna onze coups, clairs et distincts.
Il était temps d’y aller.
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