Chapitre 5 (Réécrit)
— Votre nom, mademoiselle ? demanda aimablement un domestique habillé d’un élégant costume bleu roi.
Ses épaulettes blanches dansaient en même temps qu’il se tourna vers Lyra, un parchemin dans les mains. Il était bien plus souriant que le valet devant le château.
Lyra n’en était pas sûre, mais le rouleau ressemblait fortement à celui qui lui avait valu de se faire écraser la main, il y a quelques heures à peine. Un papier épais, d’une couleur crème, avec, aux deux extrémités, des axes dorés.
— Lyra Merryweather, répondit-elle. Je suis là parce que…
Le domestique déroula le parchemin d’un geste adroit et plongea son nez à l’intérieur. Pendant qu’il cherchait le nom de Lyra sur sa liste, elle en profita pour contempler ce qui l’entourait. Et ce qu’elle voyait était à couper le souffle.
Un grand escalier en pierres blanches tournoyait jusqu’en bas. Il avait été taillé de façon à mettre en relief des motifs végétaux. Du lierre, des orchidées et d’autres fleurs que Lyra était incapable de reconnaître. Une ribambelle de bougies et de bouquets de roses et de lys avait été déposée sur la rambarde, traçant ainsi un chemin vers la fête. Un chemin tracé par les fées ne put s’empêcher de penser la conteuse. D’ici, elle entendait la musique jouée par l’orchestre. Et au-dessus de sa tête, un gigantesque lustre d’or et de cristal dominait les invités.
Il ne fallut pas longtemps à l’homme aux épaulettes avant de proclamer d’une voix forte :
— Dame Lyra Merryweather de Rivermoore !
Après cela, il invita Lyra à descendre l’escalier d’un mouvement de la main. Cette dernière ne s'en fit pas prier. C’était comme évoluer dans un rêve.
Vêtue de sa plus belle robe, elle descendait lentement les marches du grand escalier. Elle fit glisser sa main le long de la rampe. Elle aurait eu froid au contact de la pierre, si elle n’avait pas porté ses longs gants d’opéra.
En bas, le tableau était encore plus merveilleux. Pour l’occasion, la salle de bal était parée des froides couleurs de l’hiver. Des fontaines d’eau représentant des ondines aux longs cheveux de grès glougloutaient aux quatre coins de la pièce, entourées par des arabesques sculptées dans la glace. Un festin de mets délicats, de hors-d'œuvre, de fruits exotiques, de faisans gras et de champagne occupait les invités affamés sur des tables nappées d’un tissu nacré. Au centre, sur la piste de danse, les couples valsaient en une osmose presque trop synchronisée, comme s'ils avaient répété ce moment toute leur vie.
Le regard de Lyra fut détourné par un balcon au premier étage. Sa rambarde était décorée de la même façon que le grand escalier qui lui faisait face. Elle était trop loin pour bien les distinguer, mais elle était certaine que les deux sièges qui y trônaient étaient vides.
Émerveillée par son environnement, Lyra ne remarqua pas que la musique venait de s’arrêter. Elle descendit la dernière marche et se trouva nez à nez avec une femme d’une beauté terrifiante.
La surpassant d’une tête et demie, son regard d’un bleu perçant glaça immédiatement Lyra. Une longue chevelure noire comme la nuit, attachée en une haute queue de cheval, encerclait un visage noble et digne, sur lequel reposait une large couronne d’or et d’argent. Les muscles saillants des bras nus de la femme se mouvaient à chacun de ses gestes. Lyra n’avait jamais vu une telle tenue. Une robe, portant les armoiries du royaume d’Ambrume, dont la jupe fendue au centre laissait entrevoir un pantalon et des hautes bottes métalliques. Une longue traine blanche était rattachée à une épaulette de métal, elle-même rattachée à un bustier bleu et argent dont la finesse de la dentelle et des diamants incrustés était impressionnante.
Les joues de Lyra prirent feu à la vue de cette femme à la beauté dangereuse. Et son cœur tambourina à tout rompre dans sa cage thoracique. C’est alors qu’elle remarqua les danseurs immobiles, les musiciens silencieux, les invités tournés vers elle. Tous, têtes baissées, en signe de révérence.
Une révélation éclata dans le cerveau de Lyra. Comme une bulle de savon. Cette femme. C’était la reine. Sa reine.
— La voilà enfin ! s’exclama la reine Thelma. Ma conteuse !
Sa voix était puissante comme le coup d’un tonnerre. Lyra en sursauta. Prise au dépourvu, elle fit la révérence comme le lui avait appris sa mère. En se baissant, ses genoux heurtèrent le sol glacé.
— Relève-toi, ordonna-t-elle à Lyra, en posant sur elle ses yeux bleus glacés. Tu es l’entrée de notre bal, petite conteuse de Rivermoore. On nous dit de partout que tu es capable de transporter tes spectateurs, seulement grâce à la force de ta voix. J’espère que tu es prête, car j’ai promis à ma femme une aventure ce soir. Et tous nos invités ont hâte de la vivre avec nous, lança-t-elle aux nobles qui l’entouraient.
Sa dernière phrase fut accueillie par leurs applaudissements. D’un claquement de talon militaire, elle se retourna vers le balcon et, accompagnée d’un geste de la main, elle indiqua le trône de droite. Une femme était apparue, vêtue d’une robe qui ferait pâlir le soleil. Lyra ne savait pas qu’une telle étoffe pouvait exister. Le tissu se déversait sur les courbes généreuses de la femme comme une rivière d’or, glissant sur sa peau brune. Ses cheveux encerclaient son visage de boucles blondes, lui donnant l’air d'un ange auréolé de grâce. Elle dégageait une telle chaleur et une telle douceur, que l’espace d’un instant, Lyra oublia comment respirer.
Si la reine Thelma avait une beauté froide et acérée, sa femme, la reine consort Ellyana, possédait une beauté lumineuse et réconfortante.
— Chers invités ! C’est une joie pour nous que de tous vous retrouver pour ces festivités, poursuivit Thelma. Comme vous le savez, le Bal d’Hiver est un symbole de force pour notre royaume. Qu’importent les vents glacés, les froids hivernaux, les tempêtes de grêle, tels les rayons du soleil, nous percerons toujours l’obscurité des nuages ! Telle la lueur diaphane de la lune, nous continuerons d'éclairer l’obscurité ! entonna-t-elle, les yeux vifs et le poing serré sur la poitrine.
Les nobles fixaient silencieusement leur reine, intimidés par sa verve. Lyra se demanda s’il était temps d'applaudir. Alors qu’elle enjoignait les mains, la reine Ellyana prit la parole à son tour.
— Ce bal est avant tout une pause dans le temps. Un petit moment de chaleur et de réconfort pendant la période la plus froide de l'année. Nous espérons que la fête vous plaira et surtout, chers convives, amusez-vous bien !
Des applaudissements enjoués s’élevèrent à la fin du discours de la reine consort.
— Longue vie au soleil et à la lune d’Ambrume! s'exclamèrent les invités en chœur.
Lyra contempla la foule extatique. Contrairement à la reine Thelma qui restait campée sur son statut de cheffe militaire, la reine Ellyana avait l’art et la manière de s’adresser au peuple avec dignité et tendresse. Une main de fer dans un gant de velours.
— Et pour vous faire honneur, chers convives, nous avons une surprise. Je vous présente la conteuse de Rivermoore !
Était-ce le moment où Lyra devait prendre la parole ? Elle n'en était pas certaine. Alors, à défaut de paraître insolente, elle préféra paraître stupide et ne bougea pas d'un millimètre.
— N’aie pas peur et vient au centre de la piste, que tout le monde puisse t’entendre, l’invita la reine Thelma.
Lyra, que tous regardaient à présent avec attention, s’avança dans la direction que lui indiquait la souveraine. Elle grimpa les marches de la petite estrade où, quelques minutes auparavant, jouaient les musiciens.
Les nobles s'étaient agglutinés autour d’elle. Engoncés dans leurs robes et leurs costumes, éventails sur le nez, perruques emplumées sur la tête, ils étaient un patchwork d’âme et de couleurs. Lyra lisait dans leurs regards de la surprise, de la curiosité, de l'ennui, de la méfiance et pour certains un excès de boissons alcoolisées.
Sa salive restait coincée dans sa gorge. Elle avait l’habitude que les regards soient posés sur elle lorsqu’elle contait. Mais là, c’était différent. La place du marché, c’était sa scène. Et sur scène, elle n’était plus Lyra Merryweather, elle était la conteuse de Rivermoore.
Elle prit une profonde inspiration et fit le vide autour d’elle.
Elle allait le faire. Elle devait le faire.
Thelma avait pris place à côté de sa femme, sur le balcon.
— Je te dédie cette histoire, mon amour, déclara-t-elle en embrassant le dos de la main d’Ellyana.
La salle de bal était plongée dans un silence tel que Lyra avait entendu le mot doux de la reine.
Cette dernière reporta son attention vers la conteuse et d’un hochement de la tête lui somma de commencer.
Annotations
Versions