Chapitre 6 (Réécrit)

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— L’histoire que je m’apprête à vous conter se passe dans un temps ancien. Sur une terre lointaine. Une légende dit qu’il y a bien longtemps, les hommes cohabitaient avec les êtres surnaturels. Sur cette terre lointaine, entre les plaines mystérieuses et la brume traîtresse, se dressait le château d’un Laird prétentieux. Ce seigneur, à la bravoure qu’il disait sans égale, aimait obtenir tout ce qu’il pensait bon de posséder. Terres, femmes, animaux, trésors… Il vouait cependant une admiration particulière à tout ce qui avait trait à l’occultisme. Amulettes, pierres, grimoires, artéfacts magiques s’entassaient dans une pièce dont lui seul avait la clé. Gardant ainsi tous ces précieux objets à sa disposition, la poussière et l’humidité pour seules compagnes.

Surpris par la voix d'outre-tombe que venait d’emprunter la jeune femme, les invités tendirent l’oreille. Attentifs à la suite de ses paroles.

— Un jour, alors que le Laird arpentait ses terres à cheval, il eut vent d’un phénomène étrange. Un esprit blanchâtre serait apparu dans l’une des forêts voisines, il y a quelques jours de cela. Le seigneur, fier comme un paon qu’un mystère de cette ampleur ait lieu au sein de son domaine, chargea ses plus braves vassaux de partir en quête de cet esprit fantomatique. Tous connaissaient la soif de pouvoir et de possession de leur Laird. Rendus hardis par la promesse d’une belle récompense, ils partirent promptement à cheval. Dans ce fougueux cortège se trouvait un écuyer naïf, à la beauté candide. Encore jeune, il s’extasiait de vivre une telle aventure.

Lyra narra avec grandiloquence le passage de la recherche dans la forêt. Puis tout doucement, son intonation changea pour devenir plus douce, plus suave, plus sombre. Semblable à la mort personnifiée, elle décrivit la rencontre du jeune écuyer et de la Dame à la lanterne, le fantôme meurtri d’amour. Les nobles, absorbés par la voix de la conteuse, se tenaient les uns contre les autres. Certains ricanaient de la crédulité des plus peureux, jetant tout de même derrière eux des regards discrets. Histoire de s’assurer qu'aucun esprit ne rôdait autour d’eux.

— La dame s’immobilisa. Et lentement, doucement, précautionneusement, elle s’agenouilla à terre. Avec dévotion, elle contempla la lune un long moment. Puis, de ses mains blanchâtres, elle creusa la terre. Et plus elle creusait, plus des larmes translucides apparaissaient au coin de ses yeux, s'évaporant un instant plus tard dans les airs. Jamais l’écuyer n’avait vu une personne mettre tant de cœur à l’ouvrage. Bientôt, le trou devint si grand qu’il aurait pu contenir un corps adulte. Le jeune homme pensa immédiatement que la fosse lui était destinée. Pourtant, la femme, bouleversée, n’avait pas prêté la moindre attention à la présence de ce spectateur inopiné. Un long soupir fendit instantanément le cœur du garçon.

À ses mots, Lyra jura qu’un frisson parcourut l’ensemble de la foule. Elle conta la tragique histoire de cette femme mariée de force à un seigneur barbare. L’amour qu'elle portait à son amant, un homme bon et gentil qui mourut de la main de son mari. Son fantôme errant dans la forêt, transportant continuellement une lanterne, pour retrouver son âme sœur disparue depuis si longtemps.

À la fin de la représentation, quand la dame et son amant se retrouvèrent enfin, les invités applaudirent à tout rompre. Quelques-uns séchèrent les larmes aux coins de leurs yeux tandis que d'autres enlacèrent leur partenaire. C'est ce que préférait Lyra, être témoin de l'émerveillement qu'elle pouvait susciter chez les spectateurs.

La reine Thelma, debout sur son balcon royal, frappait vigoureusement dans ses mains. À côté d’elle, sa femme ne put contenir un rire amusé.

Lyra salua les reines puis son public. Les applaudissements de la foule accompagnaient les battements de son cœur. Elle eut du mal à descendre de l’estrade, les nobles lui bloquant le passage pour venir lui parler. Derrière elle, les musiciens reprenaient déjà leurs partitions et entamaient une valse dynamique.

La tête haute, le dos droit et l'œil vif, Lyra se dirigea vers la table sur laquelle était servi le champagne. Elle dut jouer des coudes, échanger quelques politesses, répondre à certaines questions, mais enfin elle y arriva. Une fois la coupe de cristal en main, elle alla se réfugier dans un petit recoin de la pièce pour enfin pouvoir respirer.

Autour d’elle, la fête reprenait son cours. Les danseurs dansaient. Les gourmands mangeaient. Et les commères comméraient. Madame Merryweather se serait bien plus ici. Toute cette effervescence, c’était son monde.

Lyra porta le verre à ses lèvres, le liquide doré lui picota la langue. Sa robe de bal avait beau être magnifique, elle lui tenait affreusement chaud. Elle jeta un coup d'œil à droite, un autre à gauche, personne ne la voyait. Elle avait réussi à se planquer dans une petite alcôve entourée de lourds rideaux. Seul un buste en marbre pouvait la juger. Et à en croire la tête de la statue, elle avait vu bien pire que ça.

Alors, elle plaqua la coupe de cristal contre son cou. Pas très séant, mais au moins ça la rafraichissait. Enfin, elle se sentait revivre. Le regard inerte de la statue pesait toujours sur elle. Lyra lui répondit d’un clin d'œil aguicheur.

— Aviez-vous déjà entendu parler de Rivermoore ? demanda une voix de jeune homme derrière l’un des rideaux.

— Je me fiche de ce qui se passe dans ces petits patelins, gloussa une femme. Pour inventer des histoires pareilles, c'est qu’ils doivent bien s’y ennuyer.

— Tout à fait ! Il faut tout de même avouer que cette demoiselle a le sens du spectacle, renchérit une troisième personne.

— En effet, j’ai trouvé cela palpitant ! Et puis, comme c’était romantique, reprit la voix du jeune homme.

Un sourire se dessina sur les lèvres de Lyra. Il est vrai que c’était toujours plaisant d’entendre des compliments à son égard. La conteuse était prête à sortir de sa cachette et à leur faire l’honneur de lui poser toutes les questions qu’ils souhaitaient. Oui, elle était talentueuse, mais il ne faut pas croire, c’était aussi beaucoup de travail. Bien sûr, sa grande beauté était tout à fait naturelle et pas du tout l'œuvre de plusieurs heures de Madeleine. Évidemment qu’elle pourrait leur signer un autographe. Sur l’éventail ? Avec plaisir !

Flatter l’égo d’une Merryweather, et elle se prenait pour le soleil lui-même.

— Et vous, monsieur, qu’en avez-vous pensé ? demanda la voix de la femme.

— Je n’en ai rien pensé, maugréa un homme qui n’avait pas encore pris la parole. C’est simplement une histoire que les gens de la campagne doivent raconter le soir à leurs enfants pour leur faire peur. Juste des mots. Juste du vent. Rien de plus.

Une vague de colère s’empara de Lyra. Alors lui, là, elle ne l’aimait pas. Mais alors pas du tout. À tel point qu'elle avait un peu envie de lui mettre un poing dans la figure. Juste un peu. Rien de plus qu’une bonne gifle.

— Vous avez parfaitement raison, monsieur, renchérit une nouvelle voix. Et puis vous ne trouvez pas cela barbare ? Franchement, des meurtres, des esprits et cette femme qui trompe son mari, je trouve cela immoral !

Flatter l’égo d’une Merryweather n’est pas une bonne idée. La vexer est une idée encore pire. Elle allait leur sortir une série de mots barbares qu’ils trouveraient immoraux. Mais ce n’est rien, ce seraient juste des mots.

Furieuse, Lyra empoigna le pan de tissu qui la séparait du groupe. Cinq jeunes gens la regardaient, les yeux ronds. On fait tout de suite moins les malins lorsqu’on se retrouve face à la personne concernée !

Enfin, ils la regardaient presque tous avec des yeux ronds. L’un d’eux, celui du centre, avait le visage entièrement recouvert d’un masque d’or. Grand, fin, il portait un costume différent d’il y a quelques heures. Pas de longue cape blanche. Pas d’armoiries d’Ambrume brodées. Et pas d’épée au flanc.

Encore lui ! À sa vue, l’élancement dans la main de Lyra se réveilla, comme une douleur fantôme. Il lui avait marché dessus au sens propre, et il le refaisait au sens figuré. Devant témoins, qui plus est.

— Je suis désolée que mon conte ne vous ait pas touché, commença Lyra d’une voix neutre, en faisant rouler le pied du verre de champagne entre ses doigts.

Le secret, dans cette situation, était de ne pas élever la voix, sinon on perdait toute crédibilité pour son interlocuteur. Il fallait garder la tête haute. Faire preuve d’amabilité, tout en dissimulant des sous-entendus dans ses politesses. Jouer sur le passif-agressif. Encore une bonne leçon apprise par sa mère.

— À la différence de nos Majestés, qui ont toutes deux eu l’air d'apprécier. Que voulez-vous, souffla-t-elle, lasse. Tout le monde ne peut pas avoir autant de goût qu’elles. Mais continuez de médire, vos rosseries ne feront qu'alimenter ma réputation à travers le royaume. Toute publicité est bonne à prendre. Oh, rosserie signifie paroles blessantes, définit-elle en les regardant avec pitié.

Et les prendre pour des imbéciles, c’était pas mal aussi.

— Quant à vous, monsieur, conclut-elle en se tournant vers l’homme masqué. Vous savez ce qu’elle vous dit, la campagnarde ? Allez au diable.

Elle eut envie de rajouter « cordialement ». Mais s’en abstient. À présent, il ne lui restait plus qu’à les quitter, triomphante.

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