Chapitre 8 (Réécrit)

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Il lui faisait face. De la même manière que le soir du bal. Son masque figeant une éternelle expression de neutralité sur son visage factice. Imperturbable.

Le visage de Lyra, lui, devait se décomposer à vue d'œil. Était-il offensé par ce qu’elle lui avait dit ? Venait-il chercher réparation ? Cela faisait des semaines que le Bal d’Hiver avait eu lieu. Ne pouvait-il pas tourner la page ? Il avait vraiment voyagé jusqu’à Rivermoore pour ça ?

Les trois hommes la saluèrent d’un claquement de talon, suivi d’un hochement de tête. Pas de doute, c’était bien des militaires. Alors qu’elle allait les questionner sur la raison de leur venue, sa mère la devança, agitant son éventail de plus en plus vite. Comment pouvait-elle souffrir de la chaleur lorsqu'il faisait si froid dehors ? Même avec sa cape encore sur les épaules, n’ayant pas eu le temps de la retirer, Lyra frissonnait.

— Ma chérie. Ne fais pas attention à ton père. Ces trois jeunes gens sont venus depuis la capitale pour te voir ! Il parait que tu as fait forte impression à leurs Majestés. Ce n’est pas étonnant si vous voulez mon avis, continua-t-elle en monopolisant l’attention des soldats. Ma fille est une conteuse hors pair. Les Wellington, nos plus proches voisins, ceux qui ont un troupeau d'oies dans leur jardin. Eh bien, ils souhaitaient recevoir notre Lyra au mariage de leur cadet. Bien entendu, ma fille a…

— Maman ! stoppa Lyra. Je ne suis pas certaine qu’ils aient fait tout ce chemin pour parler des Wellington.

— Ce que ta mère essaye de te dire, reprit monsieur Merryweather. C’est que tu es convié au château. Encore. Mais moi, ce que j’aimerais comprendre, c’est à quel moment tu y es allé une première fois ?

Voilà où Marie voulait en venir. C’était fini. Punie à vie dans sa chambre. Elle pourrait néanmoins se consoler avec du pain perdu. Il y avait pire comme façon de finir ses jours.

Attendez, elle était de nouveau invitée au château ?!

— Je suis désolée. Je ne voulais pas vous mentir.

— Pourtant, tu l’as fait, trancha monsieur Merryweather. Et en plus, tu as entraîné ta mère et tes sœurs dans ton mensonge. Et tu sais que le mensonge…

— N’est pas une affaire de famille, conclut Lyra d’un ton las. Je sais.

Si elle pouvait cesser de se faire réprimander comme une petite fille devant les trois hommes, cela serait déjà pas mal. Et maintenant, cette cape commençait à lui donner chaud. Heureusement pour elle, Enora prit la parole.

— Elle ne vous a pas écouté, et alors ? Ce n’est pas la première et ce ne sera certainement pas la dernière fois.

— Enora a raison, renchérit Cassandra. Vouloir nous protéger est tout à votre honneur, mais il est temps pour Lyra de sortir du cocon familial.

— En plus, Lyra m’avait promis de me rapporter un de ses châles à la mode de Silverthrown, donc elle doit y retourner, conclut Obélia, totalement désintéressée de sa toile.

Elle lui avait promis ça ? Première nouvelle. Sa sœur essayait clairement de lui soutirer un cadeau. Du style, je t’aide à partir, tu m’offres un truc. Est-ce qu’elle allait le faire ? Bien évidemment.

Monsieur Merryweather, qui n'avait que trop l'habitude avec les femmes de cette maison, s'affaissa dans son canapé. Il perdit un peu de sa superbe, dévoilant au passage de larges rides de fatigue aux coins de ses yeux.

— Je n’ai absolument aucune autorité dans cette famille, se lamenta-t-il.

— Eh oui, mon chéri, plaisanta madame Merryweather, une main affectueuse tapotant l'épaule de son mari. Lyra, demande à Marie de t’aider à préparer tes bagages.

— Je viens à peine de rentrer, contesta Lyra, que la perspective de faire le voyage avec un certain garde n’enchantait guère. Et je n’ai pas compris ce qu’on attendait de moi. Pourquoi être venu me chercher jusqu’ici ? Pourquoi ne pas m’envoyer une invitation comme la première fois ?

Les deux soldats lancèrent un regard à l’homme masqué, mais ce dernier ne prononça pas un mot.

— Je crois…, poursuivit madame Merryweather, que les désirs de nos reines sont nos ordres. Alors ne faisons pas attendre ces charmants soldats plus longtemps.

Lorsque Lyra redescendit, bagages en main, sa famille l'attendait sur le perron de la maison. Elle avait encore du mal à réaliser qu’elle repartait à l’aventure. Silverthrown. Le château. Elle voulait y retourner depuis qu’elle les avait quittés. Mais tout ceci était trop soudain.

Sa mère remarqua le teint subitement pâle de sa fille. Elle la prit dans ses bras, l'emprisonnant dans un cocon maternel qui sentait la framboise et la menthe poivrée.

— Tu vas bien t'amuser, ma chérie. Tu verras. C’est une nouvelle aventure, dit-elle en caressant la joue de Lyra. Et quand tu rentreras, tu me raconteras tous les potins de la grande ville !

Sa dernière phrase fit rire Lyra. Elle ne perdait pas le nord.

Ce fut ensuite au tour de son père de l’enlacer. Elle s'attendait à une autre remontrance, mais il se contenta de l’embrasser sur le front et de lui glisser à l’oreille :

— Fais attention à toi. Les Merryweather ne sont plus les bienvenus au château. Ne fais confiance à personne.

Lyra n’avait jamais vu son père aussi grave. Elle n’allait passer que quelques jours à la capitale. Rien de plus. Elle l’avait déjà fait. Certes, les Merryweather n'étaient plus appréciés là-bas. Elle le savait. Mais c’était de l’histoire ancienne tout ça. Et elle allait lui prouver.

Sa première visite au château, elle avait conté pour son plaisir. Cette fois-ci, elle redorerait le nom de sa famille.

Pied à l’étrier, les trois gardes enjambèrent le dos de leur monture respective, avec une synchronisation déconcertante.

— J’espère pour vous, messieurs, que vous n'emmenez pas ma sœur à cheval et qu’un fiacre vous attend. C’est une vraie quiche, lança Enora.

— Saches, chère sœur, que je me carre ton avis là où…

— S’il vous plaît, emmenez-la vite avec vous, avant qu’elle ne me fasse honte, coupa madame Merryweather, sous les rires d’Obélia.

L’homme masqué fit claquer sa langue et dirigea son cheval vers Lyra. Il la dominait à présent de toute sa hauteur, et elle ne le trouvait que plus arrogant. Finalement, il se pencha et tendit une main à la conteuse pour l’inviter à monter. Dans cette position, elle pouvait prendre le temps de l’analyser. Masque sur le visage, gants et bottes de cheval. On ne distinguait pas un millimètre de sa peau. Était-il frileux ? En réalité, Lyra ne pouvait distinguer qu’une chose de lui. Sa chevelure rousse. Des cheveux flamboyants, attachés en une queue de cheval par une lanière de cuir. C’est tout. Le reste n’était que mystère.

— Elle a tout de même raison, avoua Lyra sur la défensive. Je suis une piètre cavalière.

Comme depuis le début de leur retrouvaille, il ne dit mot, se contentant de garder la paume de sa main en l’air.

Après une rapide salutation de la tête à sa famille, Lyra accrocha son sac à la selle du cheval et monta à l’arrière de l’homme masqué. Le pas lent, les quatre cavaliers et leurs montures s’engagèrent dans l’allée, sous les au revoir des Merryweather.

-§-

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis leur départ et Lyra souffrait du silence ambiant.

Au début, c’était plutôt agréable. Les bruits de la forêt lui parvenaient comme une mélodie. Le vent dans les branchages, le piaillement des oiseaux affrontant le froid de l’hiver, le craquement des feuilles sous le pas gracieux des biches, le martèlement des sabots des chevaux contre le chemin de terre. Elle s’émerveillait du moindre décor qui se présentait à elle. Source intarissable d’inspiration.

Enfin, ça, c'était il y a encore quelques heures. Maintenant, elle s’ennuyait. Elle s'était déjà rappelé trois contes, étudiant celui qui serait le plus à même de plaire aux reines. Et elle l’avait répété dans sa tête encore et encore. Ensuite, elle avait compté le nombre de rochers qui ressemblaient à des visages joyeux : 158. Et ceux avec des visages tristes : 84. Il y en a même deux qui imitaient à la perfection l’expression d’appréhension et d’extase de sa mère.

Elle s'ennuyait toujours. Et le mutisme des trois hommes la mettait mal à l’aise. Comme ils ne voulaient faire aucun effort de conversation, la conteuse prit les choses en mains.

— Je ne m'attendais pas à revenir à la capitale si rapidement. Mais j’ai hâte d’arriver. Et de manger un bon plat chaud. Je n’ai pas eu le temps tout à l’heure puisque… Eh bien, puisque vous êtes arrivés. Il me tarde aussi de revoir Madeleine. Je ne sais pas si vous la connaissez, elle travaille comme femme de chambre au château. Elle ressemble à une poupée de porcelaine, avec deux nattes blondes.

Seul le croassement d’une corneille lui répondit. Répercutant le sombre cri entre les branches nues des arbres. Les deux premiers gardes, l’asperge et le panda, lancèrent des regards au troisième qui resta muet comme une tombe. Mais lorsque leurs yeux rencontrèrent ceux de Lyra, ils détournèrent la tête.

Très bien. Ils semblaient n’avoir le droit à aucune forme d'interaction avec elle. Et ils n'avaient même pas fait la moitié du trajet. Génial. Le voyage n'allait pas du tout être long...

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