Chapitre 10 (Réécrit)

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Le lendemain, la petite troupe dit au revoir à Maximilien. Ce dernier agrippa les épaules de Lyra et lui flanqua deux grosses bises retentissantes sur chaque joue. Légèrement sonnée, la conteuse lui rendit son accolade. Il sentait bon l’odeur du pain grillé et du four à bois. Un géant au grand cœur. De nouveau en selle, elle lui promit de revenir le voir à son retour.

Après le départ de monsieur Rabat Joie. Non, du Renard doré. Cette soirée avait été plus amusante que reposante. Lyra, Alphonse et Damien ne s’étaient pas couchés avant que la bougie sur leur table ne se consume entièrement. C'est ainsi qu’elle avait eu le plaisir de découvrir qu’Alphonse était sujet à l'alcool triste. Alors que Damien entonnait des chants paillards coude à coude avec d'autres clients de l'auberge, Alphonse, lui, se lamentait de son éternel célibat.

La suite du voyage se fit aussi silencieusement que la veille. Cette fois-ci, en revanche, c’est parce que trois des cavaliers avaient une bonne gueule de bois.

Lyra partageait toujours sa monture avec l’homme masqué. Le balancement du cheval n’arrangeait rien à ses nausées. Elle essayait de rester droite, se tenant aussi fort que possible aux crins de la bête. Heureusement, le vent matinal calmait son irrésistible envie de rendre son petit-déjeuner.

Pour une fois, Lyra n’avait pas envie de parler. Un marteau faisait des claquettes à l'intérieur de son crâne, son estomac jouait à la corde à sauter et les muscles de son corps avaient lâché l’affaire depuis la danse sur les tables. Tout ça, c'était à cause du violon et de l'accordéon. Parfois, le silence avait quelque chose d’apaisant.

Lyra avait peu dormi. Ses membres commençaient lentement à s'engourdir. Les yeux mi-clos, elle regardait les arbres dénués de feuilles défiler mollement. Le pas lourd des chevaux la berçait. Elle se laissa aller. Derrière elle, le buste du Renard doré l’empêchait de tomber.

Cet instant entre le rêve et la réalité, celui juste avant de succomber au sommeil, c’est là qu’elle se trouvait. Tout lui semblait lointain, distordu. Elle voyait sans regarder, entendait sans écouter. Elle était bien. Et il faisait chaud.

Une secousse la réveilla en sursaut. Un renard venait de décamper devant les chevaux, ce qui les avait effrayés. Un renard, l’animal, pas celui qu’elle avait dans le dos. Dans la précipitation, ce Renard-là avait resserré ses bras autour de Lyra pour l’empêcher d’être désarçonnée. Le cœur palpitant, elle s’était accrochée à lui. Mais maintenant que le cheval s’était calmé, elle ne savait plus où poser les mains.

— M-merci, souffla-t-elle, encore dans le coton à cause de ce réveil brusque.

— Vous ronflez en dormant, informa simplement la voix derrière le masque d’or.

Elle était ravie de le savoir… Un de rien, c'était trop demandé ? Toujours aussi agréable celui-là.

Ils avaient quitté la forêt et longeaient à présent des étendues de champs en friche. Malgré la beauté du ciel bleu glacé, le paysage était terne. Des mottes de terres brunes retournées. Des herbes mortes. Et des cailloux gris. Au loin, des bœufs tractaient des charrues pleines d’outils agricoles. Des volutes de vapeurs s'échappaient du corps brûlant des animaux en plein travail. Les naseaux des chevaux envoyaient aussi des nuages à chacune de leurs expirations.

Lyra fut surprise de ne pas souffrir du froid. D’un rapide coup d'œil, elle remarqua les pans de la cape blanche du Renard doré les recouvrant tous deux. Il se servait donc de sa cape comme d’une couverture. C’était pratique. Perturbant qu’il en fasse profiter Lyra, mais pratique.

— Nous approchons de Silverthrown, déclara-t-il.

— Quatre mots. Eh bien, ne soyez pas trop généreux. Il ne vous en restera plus avant la fin de la journée.

Elle aussi pouvait piquer.

-§-

Lyra reconnut les ruelles et les maisons en colombages du bas de la capitale. Venaient ensuite les boutiques du centre. Elle nota dans un coin de sa tête qu’elle devrait y passer à un moment dans son séjour pour le châle d’Obélia. Et enfin, les jardins et les grandes demeures du haut de la ville. Le château se dessinait au sommet, ses tours blanches et sa toiture gris bleuté.

Le groupe se sépara dans la cour. Damien et Alphonse partirent en direction du bâtiment dédié à la garde pour faire leur rapport. Le Renard doré confia les chevaux à deux écuyers qui les attendaient devant les grilles du château et invita Lyra à le suivre.

Ce qu’elle fit sans lui poser de questions. De toute façon, il ne lui aurait pas répondu. Elle le savait à force. Pourtant, ça ne l’empêchait pas d'intérioriser tous ses questionnements. Où l’emmenait-il ? Pourquoi était-elle là au juste ? Pourquoi être venu la chercher ? Pourquoi portait-il un masque ?

Ils traversèrent le hall d’entrée sans s’arrêter. Le jour, l’intérieur était encore plus impressionnant. La première fois qu’elle était venue, Lyra n’avait vu le château que plongé dans la nuit. Le Renard leur fit prendre un escalier. Et puis un autre. Ils tournèrent à gauche, à droite et une nouvelle fois à droite. Ça y est, Lyra était perdue. Les couloirs se ressemblaient tous.

Une porte attira cependant son attention. Elle n’avait rien de particulier. Toute aussi blanche que les autres. Mais une table d'appoint en acajou et en laiton bloquait l’entrée. Et elle avait perdu sa poignée. N'était-ce pas le couloir dans lequel elle avait rencontré la domestique à la queue de cheval ? Celui du salon d’Émeraude ?

Elle n’eut pas le temps de réfléchir plus longtemps, le Renard ne diminuait pas la cadence. Si elle le perdait, elle n’était pas sûre de pouvoir retrouver la sortie. Ce château était un vrai labyrinthe. À tous les étages, ils rencontraient plusieurs domestiques. Bien qu'affairés, tous arrêtaient leur travail au passage du Renard doré et le saluaient humblement.

Mais qui était cet homme à la fin ?

Après avoir continué leur ascension tout en haut de l’une des tours, dont les escaliers en colimaçon avaient réveillé la nausée de Lyra, ils firent face à une porte en bois. Une simple porte en bois.

Le Renard doré toqua trois coups longs puis deux rapides. Un cliquetis sec provenant de l’autre côté indiquait que quelqu’un les attendait. Soudain, Lyra prit conscience de la situation. Elle avait suivi un parfait inconnu dans la plus haute tour du château. Un endroit où, vraisemblablement, personne ne passait. Elle s’apprêtait à passer une porte glauque. Et pour couronner le tout, elle ne savait toujours pas ce qu’elle faisait ici.

Si Lyra Merryweather avait eu un instinct de survie, il lui aurait dit de fuir. À la place, quand un domestique ouvrit, elle s’engouffra dans la pièce à la suite du Renard doré.

Assises sur une méridienne en velours rose pâle, Thelma et Ellyana, la lune et le soleil d’Ambrume, lui faisaient face. Les deux femmes resplendissaient d’autorité et de charme. Ce qui était encore plus effrayant et hypnotisant que tout ce que pouvait imaginer le cerveau fantasque de Lyra.

Le Renard doré passa devant la conteuse pour aller se placer derrière ses reines, en position de chien de garde.

— Ravie de te revoir, Lyra Merryweather, déclara Thelma.

— As-tu fait bon voyage ? ajouta Ellyana, à la suite de sa femme.

Les voix des reines réveillèrent Lyra de sa torpeur. Elle s’empressa de faire une révérence. La conteuse avait l’impression de perdre la tête. Peut-être était-ce dû à l'altitude. Elle devait être encore plus haute que ce qu’elle pensait. Elle se trouvait en présence des reines Thelma et Ellyana dans ce qui ressemblait à un boudoir secret. Les canapés, les coussins, les tapis et le service à thé sur la table ne laissaient pas vraiment planer le doute.

Il est vrai que dans les contes, les princesses étaient enfermées tout en haut des plus hautes tours. Lyra ne savait pas que les reines aussi en étaient cantonnées à ça. Était-ce une sorte de coutume royale ? De rite de passage ? Tu vas devoir vivre dans une tour mal isolée gardée par un dragon, ma fille. Y avait-il un dragon ici aussi ?

— Pardonne-nous pour cet accueil, s’excusa Ellyana. Nous voulions te voir le plus rapidement et le plus discrètement possible.

— Que puis-je faire pour vous, vos Majestés ?

— Nous avons besoin de toi, Lyra Merryweather, conteuse de Rivermoore.

— D'importants invités vont nous rendre visite, expliqua Thelma. Ils viennent d’Aldonya. Tu dois savoir que nous n’avons pas toujours été en bons termes avec ce royaume. Tu es, à partir de maintenant, une des rares personnes à savoir que nous négocions un traité de paix avec eux depuis des semaines. Ils vont nous envoyer des ambassadeurs pour parler des modalités du traité. Pour l'occasion, nous aimerions leur présenter notre conteuse de Rivermoore.

— Je… Je ne comprends pas. Comment pourrais-je vous venir en aide ?

— Nous prions le soleil et la lune. Eux prient l’art et la pensée humaine. Ils sont extrêmement respectueux des artistes. Toi qui es une artiste du spectacle vivant, la meilleure d’Ambrume. Nous sommes persuadées, qu’avec tes contes, tu parviendras à atteindre leurs cœurs. Ainsi, ils seront plus aptes à… discuter.

Les yeux de Thelma ne lâchaient à aucun moment Lyra. Une panthère. Elle ressemblait à une panthère surveillant sa proie. Et la proie, ici, c’était Lyra. Ellyana, elle, était plus mal à l’aise. Elle lançait des regards vers sa femme et vers le Renard doré, avant de reporter son attention sur la conteuse. Une moue désolée sur les lèvres. Ce plan n’avait pas l’air de l’emballer plus que ça. Et à Lyra non plus. Mais la détermination sur le visage de Thelma ne laissait place à aucune incertitude.

— Ce qui est en jeu, Lyra, c’est un traité de paix. Alors, nous comptons sur toi ! termina cette dernière, un large sourire fendant son masque de sévérité.

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