Chapitre 15 (Réécrit)

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C’était seulement le deuxième bal auquel assistait Lyra. Elle le redoutait cependant moins que le premier. Désormais, elle savait à quoi s’attendre. La descente des marches. Les regards des nobles. L’intimidante présence des reines.

Ce soir, elle n’était pas là pour s’amuser. Elle avait un objectif bien en tête. Et il n’était pas question qu’un seul spectateur ait une remarque à faire sur sa prestation. Elle devait être parfaite.

Pour marquer le coup, elle avait revêtu l’un de ses derniers gains. Une robe jaune offerte par les reines, salaire du premier bal. Bien entendu, c’était un bijou de couture. La dentelle qui recouvrait le bustier remontait jusqu’à son cou, dessinant des ornements délicats sur sa peau brune. Le tafta de la jupe dansait au moindre de ses mouvements. Et des cristaux éclatants brillaient à chacun de ses pas.

Madeleine avait bataillé pour dompter la chevelure de la conteuse, mais le résultat était splendide. Ses cheveux lâchés et tressés sur le haut de sa tête, telle une couronne, laissaient cascader de lourdes boucles chocolat dans le bas de son dos dénudé. Ajouté à cela un maquillage faisant ressortir ses yeux et une bouche peinte d’un rouge sang, Lyra Merryweather semblait tout droit sortie d’un conte de fée.

Comme la première fois, la conteuse retrouva les mêmes profils d'invités : les gourmands, les vantards, les danseurs et les charmeurs. Cette dernière catégorie déambulait dans la salle de bal, toujours en charmante compagnie. Lyra avait pu constater qu’ils préféraient néanmoins les coins sombres, à l’écart, où ils pouvaient aisément voler un baiser.

Et visiblement, le Renard doré était de cette catégorie-là.

Elle le surprit dans un coin de la Grande Salle, entouré d’une dizaine de jeunes gens. Exactement comme le soir de son premier bal. Le même coin isolé. Et si ses souvenirs étaient bons, les mêmes aristocrates à son bras.

Elle l’avait rapidement repéré. Pas qu’elle le cherchait du regard. Non. C’est juste qu’il sortait du lot, le fameux chef de la garde. Dans son élégant costume noir comme la nuit, brodé de fil d’or, il se démarquait des autres costumes aux couleurs vives. Le visage toujours recouvert de son masque. Le jour de leur rencontre, la figure impassible du garde avait mis Lyra mal à l'aise. Ce soir, elle trouvait que les lueurs des bougies dansant sur la surface d’or le paraît d’une expression malicieuse.

Le Renard doré, qui jusque-là avait gardé le masque baissé dans son verre, releva la tête dans sa direction. D’ailleurs, comment faisait-il pour boire sans enlever son masque ? Utilisait-il une paille ? Cette image fit sourire la conteuse. C’est alors qu'il s’avança vers elle, ses admirateurs emperruqués sur les talons. Et en moins de temps qu’il en fallut à la jeune femme pour s’apercevoir de sa présence, il lui faisait face.

— Bonsoir, commença Lyra, après une courbette de politesse.

Le Renard doré hocha la tête, muet. Il attendait devant elle, ses doigts gantés tapotant les bords de son verre de vin. Il était certes chef de la garde. Et conseiller de guerre. Mais Lyra ne comprenait quand même pas pourquoi il était invité à ce genre de réception. Ça se faisait d'inviter le chef de sa sécurité ? À moins qu’il soit avant tout un noble ?

Un ange passa. Puis deux. Trois. Et c’est toute la population du paradis qui leur passa devant le nez, au vu du peu de réaction du garde. Pour ajouter à ce moment gênant, les musiciens arrêtèrent la musique, le temps de tourner les pages de leurs partitions.

— Lyra Merryweather ! Je suis ravie de vous revoir, très chère ! lança d’une voix forte le duc de Lomont qui venait de faire son apparition.

Par le soleil et la lune, il était arrivé à point nommé. Lyra n’aurait pas supporté une seconde de plus d’être dévisagée par la suite du Renard. Ils leur lançaient des regards à l’un, puis à l’autre, comme s’ils assistaient à une compétition d’un jeu de raquette où personne n’avait la balle.

— Lysandre, s’exclama Lyra à son tour. Je me demandais si je vous verrais ce soir.

Le duc, bon gentilhomme qu’il était, offrit son verre à Lyra. Autour d’eux, le troupeau du Renard avait encore grandi, sans doute attiré par la beauté de ce noble étranger. Lysandre passa outre, les yeux rivés sur Lyra, ne prêtant pas la moindre attention à l’homme masqué. Il avait beau ne pas être un habitant d’Ambrume, cela restait impoli de ne pas saluer une personne, encore moins lorsqu’il s’agissait d’un conseiller de la reine.

— Lysandre, laissez-moi vous présenter notre chef de la garde, le Renard doré, déclara Lyra en désignant le garde. Renard, voici Lysandre, le…

— Duc de Lomond, termina le Renard d'une voix sèche.

Les deux hommes se serrèrent la main sous les piaillements de leur public. Lysandre était plus petit que le garde, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir plus de prestance. La différence de rang social était flagrante. Le duc avait un maintien des plus noble. Le menton relevé comme si le monde lui appartenait. Le sourire de celui qui sait que rien ni personne ne peut lui résister. Et la confiance de celui qui avait vécu toute sa vie dans l'opulence.

Le Renard ne pouvait pas être du même statut. Il avait les jambes arquées des cavaliers. Le corps en avant des épéistes. Et il ne jaugeait pas sa force, à en croire la moue de surprise du duc lors de leur poignée de main.

— J’ai entendu bon nombre d'histoires sur vos exploits, Renard doré. Notre altesse à Aldonya, en est très friande, expliqua le duc avant de reporter son attention sur Lyra. Enfin, les gens ne racontent pas ces histoires avec autant de passion que vous, Lyra.

— Ce ne sont pas des histoires, rétorqua froidement le garde masqué.

Mais le duc avait cessé de l’écouter depuis longtemps.

— J’ai promis à quelqu’un de vous emmener jusqu’à elle, si vous le permettez ?, dit-il en prenant la main de Lyra et en la posant sur son avant-bras. Je vous l’emprunte un instant, Renard doré.

Lyra se laissa guider avec plaisir, ravie de s’éloigner de ce combat de coq. Elle n’avait pas le temps pour le concours d’ego des deux hommes. Jetant un coup d'œil à la grande horloge au-dessus de l’escalier principale, elle estima qu’il lui restait encore une dizaine de minutes.

Lysandre la mena devant le buffet où une femme à la chevelure de jais mangeait avec délectation un petit pain aux épices. Lorsque Lyra arriva à sa hauteur, la femme s’empressa de lui prendre la main. Décidément, ce soir, Lyra passait littéralement de main en main.

— Ah ! La talentueuse conteuse ! Je voulais justement vous voir.

— Lyra Merryweather, voici ma mère Opale de Lomond, première ministre du royaume d’Aldonya.

— Je me souviens de vous, madame la duchesse, s’empressa de saluer Lyra.

Au moins, elle avait la confirmation. Lysandre et la première ministre avaient bel et bien un lien de parenté.

— Et moi de vous, mademoiselle Merryweather. Comment oublier une telle prestation, confia-t-elle en buvant une gorgée de champagne. Justement, je vous ai fait chercher pour parler affaires. Aldonya aimerait vous engager pour la fête d’anniversaire de son altesse, Jude de Lior. Votre prix sera le nôtre.

— Hum… Eh bien… Oui. Enfin, je veux dire que j’en serais ravie, madame. Cependant…, Lyra regarda l’horloge, il était bientôt l'heure. Pourrions-nous en parler plus tard ? Je crains devoir m’éclipser pour une affaire urgente.

— Parfait ! Alors c’est réglé, conclut Opale de Lomond en terminant sa coupe. Nous échangerons plus en détails par lettre pour tout ce qui concernera votre dû ainsi que la date. Mais je vous compte déjà parmi nos invitées. Vous êtes une jeune femme intelligente, j’étais sûre que vous accepteriez.

Sur ses mots, elle empoigna la main de Lyra pour sceller leur accord. À retenir, la première ministre d’Aldonya n’était pas une femme à qui on pouvait dire non. Comme son fils, elle obtenait toujours ce qu’elle désirait. Mais contrairement à son fils qui faisait monter le feu aux joues de Lyra, Opale lui faisait froid dans le dos. Ce n’était peut-être pas judicieux d’avoir accepté aussi rapidement.

— Une dernière chose, la retint la duchesse de Lomond. Votre nom, Merryweather, ne m’est pas inconnu. Êtes-vous certaines de ne pas avoir de famille à Aldonya ?

— Je ne crois pas… Non. Excusez-moi, déclara finalement Lyra en partant en direction des musiciens, Lysandre sur les talons.

Ils traversèrent la piste de danse au moment où l'orchestre entama une nouvelle valse. Lysandre de Lomond attrapa Lyra par la taille et l'entraîna jusqu’à lui ?

— M'accorderiez-vous cette danse ?

Elle leva les yeux au ciel, un sourire sur les lèvres. Elle ne pouvait rien refuser à ce bellâtre. Et une danse lui ferait le plus grand bien afin dissiper le sentiment de malaise qui avait germé après son échange avec la mère du duc. Un bon moyen de décompresser avant de se produire devant le public.

Elle posa une main sur son épaule et l’autre alla se loger dans le creux de la paume du jeune homme. Ensuite, elle se laissa guider par le rythme de la musique et les mouvements de son partenaire. C’est qu’il était bon danseur en plus de tout le reste.

— Je suis désolé pour le comportement de ma mère. Elle peut se montrer… assez directive.

— Ce n’est rien, le rassura Lyra, en laissant échapper un rire. J’ai moi-même une mère qui sait ce qu’elle veut. Je comprends.

— Oublions un peu nos chères mères et concentrons-nous sur le moment présent. Votre affaire urgente serait-elle en lien avec l’une des surprises dont vous avez le don ?

Lyra ne répondit pas. Mais le doigt qu’elle posa sur sa bouche et son clin d'œil laissait présager une autre de ses interventions.

À la fin de la musique, elle s’éclipsa après avoir intimé au duc de se placer au centre de la Grande Salle. Tel une ombre, elle se faufila derrière l’estrade des musiciens où un escalier en colimaçon menait à l’un des balcons intérieurs entourant la salle de bal.

Dans un whoosh sonore, toutes les bougies s'éteignirent. Les invités étouffèrent un cri de peur. À présent, seuls les rayons de la lune, perçant à travers les fenêtres, éclairaient les visages inquiets des nobles.

Sur l’un des balcons, une flamme rouge vacillait, dessinant les traits d’une jeune femme dans l’obscurité de la nuit. Maintenant que toute l’attention était tournée vers elle, les spectateurs ne faisaient plus attention aux domestiques qui rallumaient les bougies une par une. Dévoilant ainsi, petit à petit, Lyra dans toute sa superbe.

L’effet était au rendez-vous. Les nobles applaudirent, tournés vers Lyra. La jeune femme devrait se rappeler de remercier Madeleine. Sans l’appui qu’elle avait demandé aux domestiques, le spectacle aurait été moins impressionnant. Surtout, que ce n’était que le commencement.

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