Chapitre 16 (Réécrit)

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— Bienvenue, chers invités ! s’écria Lyra d’une voix forte. Certains, parmi vous, me connaissent seulement de réputation. D'autres m'ont déjà vu à l'œuvre. Mais la plupart ignorent encore qui je suis. Laissez-moi me présenter : Lyra de Rivermoore. Et ce soir, je serais votre conteuse ! Mon rôle : vous faire voyager dans mes rêves, déclara-t-elle, en exagérant une révérence adroite, perchée sur la rambarde du balcon.

Le silence de la Grande Salle laissa place à des applaudissements enjoués. Les nobles, impressionnés par cette soudaine apparition, ne détournaient pas leurs yeux de l’acrobate en robe jaune.

De si haut, Lyra avait du mal à reconnaître les visages. Surtout que les spectateurs s’étaient agglutinés en un amas de tulles et de frous-frous. Le seul qu’elle distinguait aisément était le Renard doré. Enfin, pour lui, ce n’était pas bien difficile. Toujours un peu à l’écart du reste du groupe. Son masque d’or relevé vers elle.

— L’histoire que je m’en vais vous conter, m’a été transmise par une cigogne. L’oiseau avait beau porter un lourd fardeau, il n’en restait pas moins bavard. La cigogne m’expliqua se rendre dans un royaume très lointain pour apporter le futur héritier à un couple aimant dont l’histoire d’amour avait été jonchée de péripéties. Et il est temps, chers amis, que je vous raconte cette histoire à mon tour.

Comme elle avait eu peu de temps pour inventer une nouvelle histoire, elle s’était tournée vers l’une de son répertoire. Et le conte qu’elle avait le plus en tête était celui de la petite paysanne et de l’ogre doré. Elle l’avait tellement répété pour sa dernière représentation au marché de Rivermoore qu’elle n’avait même plus besoin de réfléchir. Les mots sortaient d’eux-mêmes de la bouche de la conteuse.

Plus la paysanne accomplissait de miracles, plus Lyra sentait le public entrer dans son récit. Certains invités, rester près du buffet au départ, tendaient l’oreille avant de finalement rejoindre le reste du groupe. Lorsqu’elle arriva au passage des sirènes, elle avait réussi à avoir l’attention de toute l’assemblée.

— Pour celles et ceux qui l’ignorent, les sirènes sont des êtres intransigeants, qui prônent la perfection. Et pour elles, il n’existe que deux choses absolument parfaites : leur maison, l’océan et leur seule source d’émotion, la musique. L’unique moyen que la petite paysanne avait d’émouvoir les sirènes et de récupérer leurs larmes était de chanter. Bien entendu, si je vous raconte cette heureuse histoire, c'est parce qu’elle a réussi. Vous vous doutez donc bien que sa voix était si douce, si mélodieuse qu’elle leur fit verser un torrent de larmes qui, une fois cristallisé, devint des perles de lune. Et, parce que je tiens à vous, chers amis, je ne vous ferai pas étalage de mon talent de chanteuse, j’aurai bien trop peur de vous rendre sourd jusqu’à la fin de cette histoire, plaisanta Lyra.

Les rires de la foule s’élevèrent jusqu’à elle. C’était pour ce genre de réactions, vives et spontanées, que Lyra aimait tant son métier. Les spectateurs, emportés par une même émotion, un sentiment pur et enfantin, lui donnaient des frissons de plaisir qui lui picotaient les joues.

La paysanne avait à présent accompli les cinq premiers miracles. Il ne lui en manquait plus qu’un. Le plus ardu, le plus dangereux. Terrasser l’ogre d’or, dont la peau était si dure que rien ne pouvait la transpercer. C’était la partie préférée de Lyra.

— Monsieur l’ogre, commença Lyra d’une petite voix pour imiter la paysanne. On dit de partout que ta peau est faite d’or, est-ce vrai ?

— Bien sûr que c’est vrai ! s’exclama Lyra d’une voix caverneuse, caricaturant cette fois-ci le monstre. Et c’est ce qui fait de moi le plus beau, le plus fort et le plus riche de tous les ogres !

— Prouve-le-moi, alors !

À ce moment, Lyra détailla les nombreux stratagèmes de la petite paysanne pour que l’ogre soit la cause de sa propre perte. Elle lui fit faire des roulades pour le désorienter. Elle le fit grimper à la cime des grands arbres de la forêt sombre pour le fatiguer. Elle le fit courir jusqu’au bout du monde puis revenir, sans prendre aucune pause, pour l'essouffler.

Une fois que le géant était revenu plus rouge que doré, les yeux fiévreux et la respiration sifflante, elle lui affirma être en effet surprise de sa force et de sa détermination. Mais, que pour tout à fait le croire et le vénérer éternellement, il devait réussir une dernière épreuve.

L’ogre, fou de joie à l’idée d’être élevé au rang de divinité, accepta sans réfléchir. Alors la petite paysanne lui ordonna de grimper tout en haut de la plus haute montagne du royaume.

Celle où vivait le grand dragon blanc, le gardien des lieux. Trop orgueilleux pour s’avouer vaincu, l’ogre escalada le flanc de la montagne, mais ne redescendit plus jamais.

— Est-il mort de fatigue ou alors a-t-il été dévoré par le dragon ? Nul ne le saura jamais, ajouta Lyra après avoir laissé une pause énigmatique dans son récit. Néanmoins, ce que nous savons, c'est que la petite paysanne épousa l’amour de sa vie, le prince, dont le cœur battait également pour la dompteuse d’ogre. La reine fut bien obligée d’accepter leur union et de laisser la paysanne prendre sa place sur le trône. Et alors que les cloches sonnaient les noces des deux jeunes époux, une pluie de pétales de rose accueillit l’heureux couple !

Ses mots transpercèrent le tissu de l’imagination et une pluie de pétales rouges et jaunes tombèrent mollement sur les spectateurs. Les exclamations ne se firent pas attendre.

Les nobles, le visage rivé au plafond, profitaient de la pluie de rose. Les amoureux s’enlaçaient, tandis que d’autres s'amusaient à retirer les pétales des perruques de leurs voisins. Les domestiques avaient joué leur rôle à merveille. Ils s’étaient postés aux différents balcons qui encerclaient la Grande Salle, attendant la fin de l’histoire avec des paniers remplis de pétales de fleurs. Au moment du signal, ils avaient renversé le contenu des paniers, pour un effet onirique garanti.

Lyra avait donné tout ce qu’elle avait. Tout son souffle, toute sa passion. Il ne restait plus qu’à espérer que ce soit suffisant.

Les applaudissements invitèrent la conteuse à descendre du balcon et à se joindre à la foule. Sur son chemin, les nobles la remercièrent pour ce spectacle. Elle recroisa Lysandre de Lomond qui lui baisa la main, assurant qu’il n’avait jamais vu pareille merveille. Lyra se demanda s'il parlait de son histoire ou d’elle. Dans les deux cas, ça lui allait parfaitement. À ses côtés, Opale de Lomond félicita à son tour la conteuse.

— Vous êtes une jeune femme tout à fait étonnante, mademoiselle Merryweather. Et vous n’avez fait que confirmer qu’Aldonya a besoin de vous pour l'anniversaire de son altesse ! Je suis prête à doubler ce que je vous avais proposé.

— C’est trop d’honneur madame, affirma poliment Lyra, qui allait lui rappeler qu’elles n’avaient cependant convenu d’aucune somme. Mais sa bouche était tellement pâteuse après avoir tant parlé, que les mots s’embourbèrent sur ses lèvres.

— Nous devons partir demain, mais vous aurez bientôt de mes nouvelles, la coupa la première ministre. Oh non ! s’écria-t-elle en se cachant le visage derrière son éventail. Voilà que revient le chambellan à la charge. S’il me parle encore une fois de ses peignes à moustaches, je ne réponds plus de moi. Excusez-moi, je dois… me repoudrer le nez, déclara-t-elle avant de s’enfuir dans la direction opposée au vieil homme.

— Alors comme ça, vous nous quittez demain, répéta Lyra, une pointe de déception dans la voix. Votre séjour a été court, mais j’espère qu’il vous aura plu cependant.

— Mon séjour était tout à fait plaisant. D’autant plus que j’y ai fait une rencontre… stimulante, déclara-t-il en glissant une mèche de cheveux derrière l’oreille de Lyra.

Un frisson lui parcourt le corps et ses joues s'empourprèrent au contact des doigts froids de l’homme sur sa peau. Comment faisait-il pour l’immobiliser d’un seul regard d’acier ? C’était déloyal d’être aussi beau. Et charmant. Et séducteur !

Sans doute avait-il remarqué l’expression peinée de Lyra, car sa main caressa sa pommette et arrêta sa course sous le menton de la jeune femme. D’un geste doux, il lui fit relever la tête et ajouta :

— Ne soyez pas triste, chère Lyra. Nous nous reverrons bientôt pour l’anniversaire de son altesse. Et puis, si cela ne vous dérange pas, j’aimerais correspondre avec vous.

— J’en serais ravie !, répondit-elle précipitamment.

L’idée de garder contact avec le beau duc par lettre, fit s'enflammer son cœur. Elle s’imaginait déjà répondre à ses missives tard le soir, au coin du feu, tout en rêvant de leur prochaine rencontre. Ah… C’était aussi romantique que dans les romans qu’elle dévorait.

Ses paupières papillonnèrent, la ramenant à la réalité. Malheureusement, le duc prit rapidement congé, lui indiquant qu’il devait parler à certains invités avant de devoir s’en aller. Le lourd fardeau d’être le fils de la première ministre, avait-il renchéri avec ironie. Il eut tout de même le temps de déposer un rapide baiser sur la joue de Lyra, puis de disparaître dans la foule.

Lyra en était restée coi. Ce n’était qu’un petit baisé chaste. Rien de plus. Mais il avait procuré tant d’émotions à la jeune femme qu’elle avait cessé d’habiter son corps le temps d’un instant.

Reprends-toi, ma fille ! s’agaça-t-elle. C’est un petit bisou de rien du tout. Tu en as déjà vu d’autres ! En effet, il y avait eu Noah, le fils du boulanger, Isaac, un apprenti forgeron et aussi Nour, une voyageuse qui avait passé quelques semaines à Rivermoore. Et avec eux, elle ne pouvait pas dire que les baisers avaient été aussi innocents. Pourtant, dès qu’elle repensait à Lysandre de Lomond, ses jambes se transformaient en flaques et elle perdait tous ses moyens.

Ce dont elle avait besoin, c'était de prendre l’air. Oui, voilà ! Un bon bol d’air frais allait la revigorer, et lui remettre les idées en place.

Elle traversa la foule de mondains avec difficultés. Beaucoup l'arrêtaient en chemin pour engager la conversation avec la fameuse conteuse et lui poser des questions. Elle réussit à attendre les fenêtres menant à la terrasse extérieure au bout d’une heure de discussions intenses. Elle avait encore plus chaud et encore plus soif.

Une fois dehors, l’air de la nuit l’agrippa des pieds à la tête. Bon, il est vrai que sortir les épaules découvertes en plein hiver n'était peut-être pas le plus judicieux, mais cela lui fit un bien fou. Son mal de tête, dû à la cacophonie du bal, s'estompa à chacune de ses respirations. Le froid mordant la ragaillardie. Et la beauté du ciel étoilé l’apaisa après tant d’émotions. Mais, c’est à ce moment que sa gorge sèche se rappela à son bon souvenir.

— Vous désirez peut-être boire quelque chose ? proposa une voix étouffée dans son dos.

Le Renard doré venait d’arriver sur la terrasse, un verre d'eau dans la main, son masque et ses cheveux roux flamboyants dans l’obscurité.

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