Chapitre 17 (Réécrit)

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La conteuse était adossée contre la rambarde en pierre, en face du Renard doré. Trois autres personnes étaient déjà dehors. Un couple, qui posa à peine un regard sur le chef de la garde à son arrivée, trop occupé à minauder à l'écart de la foule. Et un vieil homme à la bedaine joviale qui sirotait son verre de vin en contemplant la lune.

Les bruits de la fête étaient étouffés par les fenêtres fermées. À l’intérieur de la salle de bal, les invités ressemblaient à des oiseaux colorés, enfermés dans une cage rendue dorée par les lumières chaudes des bougies. Ce qui faisait donc de Lyra et des quatre autres des oiseaux de nuit. Le vieil homme avait une bonne tête de hibou, pensa Lyra amusée.

Elle prit le verre tendu par le Renard et le but d’une traite. L’eau n’était plus fraîche, mais elle avait le mérite de lui redonner un peu de sensation dans la bouche. Entre son spectacle et les diverses conversations qu’elle avait eu, c’est tout un tonneau qu’elle aurait pu boire.

— Merci, dit-elle au garde après s’être éclairci la voix. Mais c’est que vous avez récupéré l’usage de la parole ? plaisanta-t-elle pour l’embêter. Vous ne vous adressiez qu’à Lysandre. J’ai bien cru que vous me faisiez la tête.

Il hocha la tête. C’était difficile de comprendre les émotions derrière sa muraille dorée et sa stature si droite. Il se plaça à côté d’elle, les bras croisés.

— Je suis désolé pour tout à l’heure. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Quand je vous ai vu… Je… J’ai… J’avais envie de… Et puis, il est… Enfin… C’est… assez confus, concéda-t-il, avec difficulté, une main derrière la nuque.

— Je vois ça, constata la conteuse.

Elle reporta son attention sur le vieil homme, mais il avait disparu. Tout comme le couple, qu’elle voyait à présent sur la piste de danse, à travers la vitre. Ils n’étaient à présent plus que tous les deux. Cette situation lui rappela la vieille, leur réconciliation à l’écurie et leur virée dans les boutiques. Elle avait encore du mal à cerner l’homme à ses côtés. Il pouvait se montrer gentil et doux. Mais également froid, distant et impoli.

— Il est plus facile de vous parler dans la pénombre, ajouta le chef de la garde.

Lyra ne ressentait même plus la brise glaciale lui chatouiller le dos. Non. Elle ne sentait que ses joues chauffées et embrasées son visage. La conteuse ne savait pas comment interpréter ses paroles, comme beaucoup de fois avec le soldat. Et elle ne comprenait pas non plus la réaction de son corps à cette petite phrase. Une phrase bien trop honnête pour le Renard doré.

— Et alors ? demanda-t-elle d’une façon qu’elle espérait détacher. Que vouliez-vous me dire ? Avez-vous apprécié cette histoire ?

Les épaules du Renard tressautèrent. Au départ, Lyra crut qu’il avait froid ou bien qu'il allait se mettre à rire pour une raison inconnue. Et comme elle ne l’avait jamais entendu rire, elle se demanda quel son sortirait de son masque. Mais son visage factice était tourné vers la Grande Salle, où un attroupement de six personnes lançait des coups d'œil à la recherche de quelqu’un. Lyra en reconnut certains. C'étaient les jeunes gens toujours collés au chef de la garde.

— Oh non, pas eux, souffla-t-il, énervé.

Avant même que l’un d’eux ne tourne la tête dans leur direction, le Renard empoigna la main de Lyra et s’enfuit dans les escaliers de pierre. Ils se dissimulèrent derrière les épais buissons du jardin et passèrent sous des arches végétales, entremêlées de lierres et de fleurs sauvages en forme de trompette blanche.

Le costume noir du Renard doré se fondait à merveille dans l'obscurité de la nuit. Seule sa chevelure rousse perçait le voile sombre dans le champ de vision de Lyra.

Cette dernière riait aux éclats, ce qui rendait sa course plus difficile encore, empêtrée dans sa lourde robe. Elle riait de la situation. De la tête des nobles cherchant désespérément le Renard doré. Du Renard doré qui avait fui ses admirateurs. Et d’elle-même, car dans sa course, elle avait perdu une chaussure.

Le Renard doré, essoufflé, arrêta finalement sa fuite devant le ruisseau qui traversait les jardins du château.

— Et bien ! souffla Lyra, tentant de reprendre une respiration convenable entre deux rires. Je ne pensais pas que vous pourriez fuir de la sorte.

— Je n’ai pas fui ! s'indigna le Renard. J'ai profité d'un moment d'inattention pour éviter une conversation. C’était purement stratégique.

Lyra ria de plus belle. D’autant plus que l’herbe humide chatouillait son pied nu. Elle ne savait pas si c’était sa course effrénée, sa crise de rire ou la beauté particulière de cette pleine lune, mais à cet instant, elle se sentait incroyablement vivante.

C'est alors qu'elle se rendit compte que sa main tenait toujours celle du Renard doré. Lui aussi sembla le remarquer, car il la lâcha aussi précipitamment que si le contact de la conteuse l’avait brûlé. La chaleur qui en émanait se dissipa dans l'air, faisant frissonner Lyra et lui laissant une étrange sensation de vide dans le creux de sa paume.

— Ne vous inquiétez pas, ils ne penseront pas à venir vous chercher ici, le rassura Lyra.

Elle avisa un pont en bois à sa gauche, monta dessus et posa ses coudes sur la balustrade. L’air sentait le pin et la terre humide. C’était plus rafraîchissant encore que de boire tout un tonneau d’eau.

D’ici, la lune d’un blanc argenté se reflétait dans l’eau scintillante. Les arbres aux alentours ressemblaient à des géants figés dans la pénombre. Et si elle faisait abstraction des remparts qui les entouraient, elle aurait pu se croire à Rivermoore.

Le Renard l’avait rejointe sur le pont, ses pas faisant craquer le bois au moindre appui. Le ruissellement de l’eau s’élevait dans les airs en une mélodie féerique. Lyra n’aimait pas le silence, déformation professionnelle sans doute. Pourtant, lorsqu’elle était avec le Renard, qui n’était pas un grand bavard, elle se surprenait à apprécier le calme qui entourait toujours le chef de la garde.

— Un ogre doré ? questionna faussement le Renard doré.

— Mouais, je sais… Pas très subtile ? badina Lyra.

— Si, pour un vieillard sourd et aveugle.

Pour la deuxième fois de la soirée, Lyra ria aux éclats. C’est que le chef de la garde pouvait faire de l’humour. Ce devait être la fatigue qui jouait sur elle, car ce n’était pas particulièrement drôle, mais elle ne pouvait s’en empêcher.

Une brise plus violente que les autres vint les frapper de plein fouet, ce qui eut pour effet immédiat de faire taire Lyra. Sortir sans cape était définitivement une mauvaise idée. Voilà qu’elle tremblait de toutes parts et elle avait beau essayer de se réchauffer en se frottant les bras, rien n’y faisait. Elle allait devoir rentrer avant d’attraper la mort. Elle le devait, mais elle n’en avait pas envie. Elle voulait rester un peu plus longtemps. Ne pas briser cet étrange moment de complicité avec le Renard doré.

Une lourde chape de chaleur se déposa alors sur ses épaules. Le Renard venait de retirer sa redingote et l’avait posé sur Lyra, ne le laissant qu’en simple chemise.

— Vous allez attraper froid, l’avertit Lyra, soucieuse.

Pourtant, elle resserra ses doigts sur la veste noire et enfoui sa tête dans ses épaules. Toute la chaleur du garde se diffusait à présent dans le corps de Lyra. Les yeux fermés, elle profita de ne plus être mordue par le froid. Elle prit une profonde inspiration. Le col sentait le feu de bois et le métal. Pas étonnant pour un chevalier. Étonnant, par contre, que le mélange des deux soit si plaisant.

— Ne vous inquiétez pas pour moi.

Des oiseaux s’envolèrent d’un arbre à proximité, croassant à grand bruit. Dans un sursaut, Lyra rouvrit les paupières. Suite à leur départ précipité, la cime du pin dansait encore dans la nuit.

— Ne soyez pas fâché pour l’ogre. C’était avant que l’on ne fasse la paix.

— Je ne suis pas fâché, répondit-il. J’ai trouvé ça assez drôle. Vous avez vraiment une imagination débordante pour me grimer en ogre.

— On me le dit souvent, avoua Lyra dans un sourire.

— Comment vous êtes vous retrouvé à devenir conteuse ? demanda-t-il.

— C’est une histoire très longue, je doute que vous désiriez réellement la connaître.

— J’ai tout mon temps.

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