Chapitre 20 (Réécrit)

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Le Renard ne s’était pas réveillé aussi reposé depuis… depuis toujours, en fait.

Le câlin de ses couvertures lui donnait envie de fermer les yeux et de replonger dans les bras de Morphée. Et pour une raison inconnue, le Renard était persuadé que Morphée avait une poitrine rebondie et confortable.

Une lourde masse noire reposait sur son torse. Une masse poilue et ronronnante. Le chat entrouvrit un œil lasse. Une perle verte surgissant dans l’obscurité de son pelage. Il le referma mollement, ses ronronnements reprenant de plus belle.

— Archibald, doucement sur le poisson. Tu commences à peser ton poids, p’tit père, souffla le Renard en caressant l’animal.

De satisfaction, les pattes du félin se mirent à pétrir les couvertures. Si les chats pouvaient sourire, Archibald aurait les babines jusqu’aux oreilles. Le Renard replongea sa tête dans son oreiller. Il n'essaya même pas de bouger, acceptant son destin de coussin humain.

— Ça y est, tu es réveillé ? demanda un homme en entrant dans la chambre du Renard.

Le chef de la garde devait définitivement être épuisé pour ne pas avoir entendu la porte s’ouvrir, ni même ressentir la présence d’une autre personne. Il se força à s'asseoir pour accueillir le nouvel arrivant, ce qui lui provoqua une décharge de douleur dans le crâne qui descendit jusqu’à ses orteils. Archibald, ennuyé d’avoir été dérangé pendant sa séance de caresses, lui lança un regard accusateur et se réinstalla en boule un peu plus loin dans le lit.

Landry, le domestique et seul ami du Renard posa une main sur le sommet du crâne du chevalier. D’un mouvement brusque, il lui fit pencher la tête. Le Renard ne voyait pas l’expression de son ami, mais ce dernier semblait en intense réflexion sur l’arrière de sa tête. Après quelques secondes, il se concentra sur sa figure, les mains pinçant les joues du Renard.

Landry était le seul, en plus des reines, à connaître son visage derrière le masque.

Le seul ?

Un éclair transperça le Renard. Puis un flot d’images floues passa dans son esprit. Les souvenirs, défilant à toute vitesse, lui donnaient envie de vomir. Des odeurs, des sons et des sensations se rappelaient à lui en un tel désordre que ça lui donnait le tournis.

— Tout va bien ? insista Landry, les mains entourant toujours le visage balafré du Renard.

— Ça va, répondit-il en rouvrant les yeux. Je n’ai jamais aussi bien dormi pour être honnête. Le réveil, par contre, est plus difficile. J’ai mal partout. Qu’est-ce qui m’arrive ? Tu crois que j’ai trop abusé du champagne pendant la fête ?

— Justement à propos…, commença Landry en se grattant le menton.

Le domestique amena jusqu’au Renard un plateau sur roulette où reposaient une tasse en porcelaine, une théière argentée et des biscuits à la confiture. Tout en servant l’eau fumante dans la tasse, il raconta au garde les évènements du bal. Il lui parla de sa perte de connaissance devant les portes du château, du mouvement de panique qui s’était emparé des invités et de la sécurité mise en place par Thelma.

— La reine a interdit à quiconque d'entrer ou de sortir de Silverthrown sans passer par un contrôle complet, expliqua-t-il. Elle est furieuse, c’est effrayant. Heureusement que t’es pas mort. Je pense qu’elle aurait explosé et aurait emmené tout le château dans sa tombe.

Le Renard assimilait avec attention les informations que lui donnait Landry. Il les classait dans sa tête par ordre d’importance, visualisant déjà ce qu’il devait entreprendre pour renforcer la protection du château et des reines. Avant tout, il devait calmer Thelma. Tout en écoutant son ami, il ne pouvait s’empêcher de penser que Lyra lui aurait bien mieux conté les derniers évènements.

— C’est la demoiselle Merryweather qui t'a porté jusqu’au château, poursuivit Landry d’un ton las. Tu devrais voir ça. Depuis, toutes les domestiques sont en admiration devant elle. Entre elles et tes gardes qui la surnomment « la chevaleresse servante », on entend son nom dans tous les couloirs. En plus, elle me lâche plus ! Elle passe te voir tous les jours, et à chaque fois que je la croise, elle demande à te voir. Elle est presque pire que la reine Ellyana, soupira-t-il en croquant dans un biscuit.

— Attends ! l’arrêta le Renard qui sentait déjà ses oreilles rougirent. Tous les jours ? Mais j’ai dormi combien de temps ?

— Oh, tu sais… commença le domestique en s’essuyant la confiture au coin de sa bouche d’un revers du pouce. Le temps, c'est abstrait ce truc-là.

— Landry !

— Oui ! Bah, cinq jours à peu près. Et crois-moi, c’était coton de te laver tous les jours. Tu ne faisais aucun effort.

Le Renard s'affala contre son oreiller, le visage caché dans ses mains. Elle l'avait vu dormir pendant cinq jours. Plus ridicule, tu meurs. Si ça se trouve, il avait ronflé devant elle. Ou pire, il avait bavé dans son sommeil ! Et ça signifiait qu’elle l’avait vu. Sans son masque…

Non ! Ils commençaient à peine à se rapprocher. Ils avaient discuté. S’étaient promenés dans les jardins du château la nuit. Elle ne ressentait plus de rancune suite à leur première rencontre, enfin, c’est ce qu’il espérait. Et lui, son cœur ne menaçait plus d’exploser chaque fois qu’il posait les yeux sur elle ou qu’il entendait son rire. C’était un grand pas en avant pour le Renard doré, dont la seule perspective de parler à des inconnus lui donnait mal au ventre.

Mais à présent, tout était fichu. Jamais il ne ferait le poids face à la belle gueule du duc de Lomond. Par le soleil et la lune, pourquoi le sort s'acharnait-il contre lui ?

Trois coups secs mirent fin à la lamentation intérieure du chef de la garde. La voix étouffée de Lyra résonna derrière la porte. Le cœur du Renard se mit à tambouriner jusque dans ses oreilles. Bon, il n’en avait peut-être pas totalement terminé avec cette partie.

— Landry, c’est Lyra. Est-ce que je peux entrer ?

Landry se tourna vers son ami, le sourcil levé. Son expression semblait vouloir dire : « Tu vois, elle revient à la charge ». Le Renard posa un index sur ses lèvres, lui intimant le silence.

— Ne lui dis rien sur mon réveil. Pas un mot. Je ne suis pas… convenable, chuchota-t-il, le rouge aux joues.

— Je peux simplement lui demander de partir, tu sais ?

— Non ! Enfin… Je veux dire… Ce serait trop étrange. Fais comme d’habitude, puis va prévenir les reines.

Alors que Landry s'approchait de la porte, le Renard lissa ses cheveux de la paume de sa main. C’était peine perdue avec ses éternels épis. Il se recoucha dans ses couvertures et, de son jeu d’acteur le plus convaincant, se remit dans le rôle du grand blessé inconscient.

— Bonjour Landry, lança la voix mélodieuse de Lyra. Comment allez-vous aujourd’hui ?

— Je vais aussi bien que possible, Mademoiselle Merryweather. Je vous remercie pour votre sollicitude, répondit le domestique d’un ton monotone.

Landry fait un effort ! s’énerva mentalement le Renard, les paupières toujours closes. Il dut lutter pour ne pas pincer ses lèvres et froncer les sourcils. Elle fait un effort de politesse avec toi, tu pourrais le lui rendre !

— Par pitié, Landry. Je viens ici depuis presque une semaine et vous êtes toujours aussi protocolaire. Appelez-moi simplement Lyra, je vous en prie.

— Bien, Mademoiselle Lyra.

Pour Landry, c’était déjà mieux que rien. Le Renard était certain que son ami appréciait la conteuse, même s’il ne l’avouerait jamais. Il entendit Lyra répondre quelque chose, mais il ne comprit que quelques brides. Si seulement son cœur pouvait cesser de battre aussi fort, il pourrait se concentrer sur la conversation.

— Toujours aucune avancée ? demanda Lyra.

Sa voix était plus proche, elle devait être tout près de son lit. Il ne devait pas ouvrir les yeux. Surtout pas. Mais savoir que son visage était ainsi exposé le mettait mal à l’aise. Il aurait dû se cacher sous les couvertures. Ou au moins se mettre sur le côté.

Landry hésita un instant avant de répondre par la négative. Il prétexta ensuite qu’il devait aller chercher de l’eau chaude pour le thé. Pire excuse. Si Lyra était assez observatrice, elle verrait la fumée s'échapper de la tasse sur le plateau. Et le Renard savait qu’elle l’était. Il l’avait remarqué le soir de son premier bal. La façon dont elle analysait son environnement et les gens autour d’elle. Pareil lors de leur excursion dans les boutiques. Son regard était vif et perspicace.

Avec une aisance déconcertante, elle s’assit au bord du lit, près de ses pieds. Il ne devait pas avoir de réaction. Pas le moindre soubresaut. Et par la lune, faites qu’elle n'entende pas les battements de son cœur !

— Bonjour. Comment allez-vous aujourd'hui ?

Le silence lui répondit. Elle ne lui en tint pas rigueur visiblement, puisqu’elle continua à monologuer.

— Je sais que vous n’allez pas manger votre petit-déjeuner. Alors, vous ne m’en voudrez pas de vous retirer le pain de la bouche. Landry fait un thé à se damner ! J’ai l’impression qu’il rajoute un sirop spécial, mais il refuse de me donner sa recette. J’ai demandé à Madeleine de jouer les espionnes, révéla-t-elle en riant.

Elle souffla plusieurs fois. Puis de nouveau le silence. Il en conclut qu’elle devait boire une gorgée de la boisson chaude. Il l’avait dit, elle était observatrice.

— Vous le savez certainement, mais vous manquez à beaucoup de personnes, continua-t-elle. Vos admirateurs sont au bord de la crise de nerfs. Même si je crois que ce sont les reines qui sont le plus affectés par votre état. Enfin, elles, et moi… J’ai bien peur que Landry ne m’en veuille d’être venue vous rendre visite si souvent. Oh ! Et vos soldats aussi vous réclament. D’ailleurs, Alphonse et Damien m’ont donné cette lettre pour vous. Ce sont des mots d'encouragement de toute la garde. J’ai commencé à leur rendre visite pour les tenir au courant de votre état. Vous avez fait un sacré travail avec eux. Je dois avouer que leur entraînement est impressionnant.

Lyra se mit à tousser, comme si elle cherchait à dissimuler un sanglot. Le truc avec la conteuse de Rivermoore, c’est qu’il était très facile de connaître ses émotions. Elles se lisaient sur son visage. Et dans sa voix.

— Je suis désolée, souffla-t-elle. Pour tout. Si je n’avais pas détourné votre attention. Si j’avais fait plus attention, vous ne seriez pas… J’aurais dû mieux réagir. J’aurais dû être plus rapide.

Le cœur du Renard se serra. Non, elle avait parfaitement réagi. Grâce à elle, il était encore vivant. C’est lui qui n’avait pas été assez vigilant. Et voilà qu’il lui jouait un bien vilain tour. Faire semblant d’être encore alité. Mais il ne pouvait pas se lever d’un coup et crier « Surprise ! » Elle le taperait, c’est sûr.

Lyra s’éclaircit la gorge.

— Si je suis venue ce matin, outre pour votre discussion éloquente, plaisanta-t-elle. C’est pour vous rendre ceci. Leurs Majestés ont demandé à ce que l’on vous en forge un nouveau. Je le mets à côté de vous, comme ça quand vous vous réveillerez, il sera là.

Il l'entendit souffler. Et alors, il se demanda quelle expression pouvait bien peindre ses yeux d’ambres, à cet instant. Les sentiments de Lyra faisaient briller ses iris de mille façons. Il l’avait vu en colère. Il l’avait vu joyeuse. Il l’avait vu embêté.

Quel pouvait-être l’éclat de son inquiétude ?

— Je ne sais pas pourquoi vous vous cachez derrière ce mur doré. Et je ne vous poserai pas la question. J'aimerais que cela vienne de vous. J’aimerais que vous me fassiez assez confiance pour me le dire. Un jour, qui sait. Si on se revoit… En réalité, je suis venue vous prévenir… Je rentre chez moi demain.

Il sentit la présence de Lyra plus près de lui. Elle était très proche. Trop proche. Ses cheveux caressaient ses joues. Ne bouge pas ! Son parfum si caractéristique de lavande et de miel chatouillait ses narines. Ne bouge pas ! Elle passa une main sur son front. Pitié, ne bouge pas !

— Votre fièvre a du mal à tomber… Les médecins ont dit que c’était normal, mais quand même. Si seulement vous pouviez vous réveiller avant que je ne parte. Simplement pour me rassurer. Vous êtes bien cruel, Monsieur le Renard doré.

Voilà que les doigts graciles de la jeune femme glissaient sur sa peau. Elle venait de placer une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. C’était de la torture. C’est ça, elle le torturait pour faire semblant de dormir.

Il entendit les draps se froisser, puis la présence de Lyra à côté de lui disparut. Elle partait déjà. Elle partait demain. C’était trop tôt. Trop brusque. Il ne pouvait pas… Il ne voulait pas…

— Hum… Bonjour, lança le Renard.

Elle était dos à lui. Ses longs cheveux cascadant jusqu’aux creux de ses reins. Ses formes soulignées par son pantalon de voyage. À croire qu’elle était prête à partir dans l’heure.

— Alors vous ! Vous vous êtes bien payé ma tête ! s’exclama Lyra en se retournant vers lui.

Enfin, il pouvait la revoir. Revoir ce sourire qui le mettait sens dessus dessous. Revoir ces yeux qui le rendaient muets d’admiration. Yeux qu’elle cacha derrière ses mains avant de s’exclamer :

— Vous êtes nu !

— Je ne suis pas nu ! J’ai un pantalon ! s’écria le Renard, dont la teinte du visage avait viré au rouge tomate.

Il releva la couverture jusqu'au-dessus de son nez, s’il n’était pas encore mort, c’est de honte qu’il allait finir par succomber. En s’asseyant, le drap avait glissé, dévoilant son torse mutilé. Le visage caché dans ses genoux, il ne pouvait qu’entendre Lyra glousser.

— Je n'irai pas vérifier, assura-t-elle entre deux éclats de rires.

Comment pouvait-elle être si familière, si désinvolte, si frivole, si… Il n’avait plus de synonymes. Et s’il avait vraiment été nu, aurait-elle encore ri ? Lyra Merryweather n’avait que faire de la pudeur, pendant que lui ne dérougissait pas. La chambre était redevenue silencieuse. Elle devait être partie.

Les sens du Renard étaient complètement hors services. Il n’avait même pas senti qu’elle s’était rapprochée et attendait à sa droite, le nouveau masque tendu vers lui. Il jeta un œil à la figure en or avant de retourner son attention vers elle. Les grains de beautés se fondaient sur sa peau brune, comme des milliers d’étoiles s'effaçant dans l’aube d’un ciel aux couleurs chaudes. Heureusement qu’il n’avait pas attaché ses cheveux, ils étaient assez longs pour cacher sa mine embarrassée, tout en lui permettant de la contempler.

— Vous ne voulez sans doute pas que je vois votre visage, déclara Lyra, les paupières closes.

Comment pouvait-elle être si gentille, si attentionnée, si prévenante ?

Si facile à aimer.

— Si vous voulez mon avis, vous en avez déjà assez vu, plaisanta-t-il en retour, sa tête et ses bras reposant sur ses genoux.

Lorsqu’elle ouvrit enfin les yeux, le Renard aurait pu parier qu’elle avait rougi. Mais deux tornades envahirent la chambre et mirent fin à … peu importe ce que c’était, elles y mirent fin.

— Tu es réveillé ! On s’est tellement inquiétées, pleura Ellyana avant de couvrir le chef de la garde de baisers sur le front.

— Ne nous refais plus jamais une telle frayeur ! s’emporta Thelma en lui donnant une petite tape sur l’arrière du crâne, ce qui lui décrocha un gémissement de douleur.

Pile là où ça fait mal.

Les deux reines l’encerclèrent de leurs bras dans un geste maternel.

Le Renard n’était pas une personne très tactile. Pas tant qu’il n’aimait pas le contact des autres. Enfin si, un peu aussi. C’est surtout qu’il n’avait pas l’habitude. Alors, malgré ces dernières années avec Thelma et Ellyana, son corps se crispait toujours lorsqu’elles le câlinaient ou l’embrassaient.

Et autant Thelma lui ressemblait sur ce point. Autant Ellyana était bien plus démonstrative.

— Je crois que je ferais mieux de vous laisser, confia Lyra à voix basse.

Elle avait posé le masque sur une commode et, la main sur la poignée, s’apprêtait à partir.

— Je vous expliquerai, répondit-il entre deux bisous d’Ellyana. Pour ça… et pour mon masque.

Les iris brillants de curiosité, elle s’en alla en lui cédant un dernier sourire.

C’est définitif. Je vais mourir de honte.

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