Chapitre 22 (Réécrit)
Le Renard marchait, la tête baissée, à travers les couloirs du château, ressassant sa discussion de la veille. Il revoyait toute la scène. Le calme des cuisines. Lyra dans sa chemise de nuit, aussi envoûtante que l’était sa fantomatique dame à la lanterne. L’odeur du pain perdu. Et finalement, la révélation du meilleur dessert du monde !
Vous allez me manquer, Monsieur le Renard doré.
Il avait envie de se donner des baffes. Si seulement elle savait qu’ils allaient se revoir. Et plus vite qu’elle ne le pensait. Et si elle en connaissait la raison…
Assez !
Il devait se ressaisir. Son devoir allait envers Ambrume et ses reines. Il était le Renard doré, bon sang ! Les jambes qui flagellent, les joues qui chauffent, le cœur qui palpite, il laissait tout ça aux jeunes recrues.
D’autant plus que Lyra restait une potentielle menace pour la couronne.
Plus il essayait de l’imaginer et plus il trouvait cette idée stupide. Lyra, une espionne. Et puis quoi encore ?
— Mais regardez où vous allez, non ? Y'en a qui travaillent ici. C’est pas vrai ! Je vais devoir tout relaver, c’est malin !
Oh non, il avait envie de tout sauf de régler une querelle entre domestiques. Il n’en avait ni le temps, ni la patience. Mais il était obligé de passer par ce couloir pour rejoindre la chambre de Lyra. Les poings fermés et la mâchoire serrée derrière son masque, il marcha d’un pas rapide. Si on l’interpellait, il dirait qu’il était en mission pour Sa Majesté. Ce qui n’était pas faux.
En passant, il ne put s’empêcher d’analyser la scène. Son cerveau de guerrier avait l'habitude de tourner à cent à l’heure, de prendre pleinement conscience de son environnement, être bien préparé pour ne pas se faire surprendre.
Une domestique à genoux ramassait des draps éparpillés par terre. Son visage rouge de colère ressortait encore plus entouré de tout ce linge blanc. Un amas de domestiques, de courtisans et d’autres habitants du château s’était agglutiné autour d’elle. Se repaissant du spectacle tels des vautours.
Le Renard identifia le chancelier parmi ce groupe de curieux. Le vieil homme était à côté d’une femme d’une grande taille, à la chevelure brune. Sa voix ne laissa plus aucun doute quant à son identité. C’était la voix qu’il avait entendue pendant toute sa convalescence. Celle qui hantait ses plus beaux rêves.
— J’ai souvenir, commença Lyra Merryweather, que tu éprouves quelques difficultés à t’orienter dans ce grand château, non ? Sans doute la raison pour laquelle tu avances sans regarder devant toi. Peut-être désires-tu te reposer un temps. Il y a un confortable sofa vert qui n’attend que toi, rétorqua-t-elle en lui tendant une main pour l’aider à se relever.
Le Renard n’était pas un fin connaisseur des méthodes passives agressives. Il préférait de loin l’honnêteté, sans cacher ses véritables intentions derrière des mots doux ou des phrases alambiquées. Quitte à être trop brutale. Il comprenait bien mieux les actes que les paroles. Mais il sentait qu’un sous-entendu se cachait derrière le comportement de Lyra. De plus, les sourcils froncés et le sourire crispé de la conteuse indiquaient une certaine rancœur envers la domestique. Que s'était-il passé entre elles ?
Et l’histoire du sofa vert faisait tiquer le chef de la garde. Il n’y avait pas de mobilier vert dans le château. C’était la couleur de l’ancien roi. En l’exilant, Thelma avait supprimé toutes traces de sa présence dans le château. Ses portraits, ses blasons, sa couleur. Elle avait enfermé toutes ces reliques du passé dans le Salon d’Émeraude. Mais il était fermé au public. Lyra ne pouvait pas connaître son existence… À moins qu’elle ait fouillé.
Impossible.
Il l’avait affirmé aux reines, Lyra n’était pas une espionne.
Pourtant, en imaginant la jeune femme dans le Salon d’Émeraude, lettres de Childéric en main, le corps du Renard se raidit.
Le chancelier fut le premier à prendre conscience de la présence du Renard, il se tourna vers lui et le salua d’un hochement de la tête. Il fut vite suivi par le reste du groupe.
— Je peux savoir ce qu’il se passe ici ? demanda le chevalier, sa voix vacillant à la fin de sa question.
L'image d’une Lyra traîtresse restait bloquée dans son esprit. Non ! Il refusait d’y croire. Il devait y avoir une explication logique. Il secoua la tête pour chasser le sentiment qui lui enserrait la poitrine.
La conteuse, qui continuait d’aider à ramasser le linge au sol, se releva prestement.
— Ce n’est rien., affirma-t-elle en s’époussetant. Je n’ai pas regardé où je mettais les pieds, expliqua-t-elle. J’imagine que vous êtes venue pour m'emmener auprès de leurs Majestés. Alors ne les faisons pas attendre, je vous suis.
Elle passa une main autour du bras du garde et partit en grandes enjambées. Passant devant le groupe qui commençait déjà à murmurer leurs prochains ragots. Le Renard eut juste le temps de voir le regard haineux de la domestique.
Après plusieurs minutes à marcher sans direction précise, virant à droite puis à gauche, elle s’arrêta.
— Je dois avouer que je ne sais pas où on va, concéda-t-elle en lâchant le bras du Renard, au grand regret de ce dernier.
Il allait devenir complètement fou. Son corps était incontestablement attiré par la jeune femme. Son esprit, en revanche, ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle n’était peut-être pas aussi innocente qu’elle voulait le faire croire.
— C’était quoi cette scène ? demanda-t-il plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu.
— Rien, je vous l’ai dit.
— Lyra !
Son ton s’était encore plus durci, ce qui surprit Lyra, au vu de l'expression qui peignait son visage. Elle se mordit les lèvres et détourna le regard. Une barrette blanche dans ses cheveux capta l’attention du Renard. C’était le peigne qu’il lui avait offert. À croire qu’elle le faisait exprès.
— Je me suis un peu emportée, c’est vrai. Mais c’est elle qui a commencé ! se justifia-t-elle comme le ferait une enfant. Je ne regardais pas devant moi et je lui ai foncé dessus. Et quand je me suis excusée, elle a répondu que c’était ma faute. Alors qu’elle non plus ne regardait pas où elle allait. Je n’aime pas que l’on me crie dessus et encore moins lorsqu’il y a du monde autour, dit-elle en lui lançant une œillade pleine de reproches.
Elle se sentait acculée. Il ne devait pas perdre le peu de confiance qu’il avait réussi à gagner. S’il voulait en apprendre davantage sur le lien entre Childéric et les Merryweather, il devait calmer le jeu. Et il se détesta de penser ça.
— Je suis désolé, je ne voulais pas vous crier dessus. J’ai juste… été surpris. Ça ne vous ressemble pas. Et quelle est cette histoire de sofa vert ?
Ils se remirent en marche, mais cette fois, c'est lui qui indiquait le chemin.
— Quand je suis arrivée le soir du Bal d’Hiver, cette domestique m’a accueilli et m'a emmenée dans un salon pour patienter. J’ai poireauté pendant des heures ! Entre le voyage, vous qui m’aviez franchement fait mauvaise impression et l’angoisse de parler devant toute la cour, ce furent les heures les plus longues de ma vie. Heureusement, Madeleine m’a retrouvé dans… comment elle l’avait appelé déjà… Le boudoir de jade ? Non, ce n'était pas ça. Le salon de jade ? Tout était vert et c’était en lien avec une pierre…
— Le Salon d’Émeraude, termina le Renard.
S’il n’avait pas porté son masque, Lyra aurait vu le regard du chef de la garde s’assombrir.
— C’est ça ! Vous le connaissez ?
Ils étaient arrivés devant la porte, tout en haut de la tour est du château.
— Donc, si vous vous êtes retrouvé dans le salon condamné de l’ancien roi, c’était par hasard ?
Difficile à croire et si c’était vraiment ça son excuse, elle était nulle.
— Je ne pense pas. La domestique à la queue de cheval avait l’air pertinemment de savoir que je n'avais pas le droit d’y être. Depuis, à chaque fois que je la croise, elle me lance des regards mauvais. Je ne l’apprécie pas du tout, celle-là.
Elle n’avait pas l’air de mentir. Enfin ça, c'est ce que lui criait son cœur. Sa tête essayait encore de trouver des indices de sa culpabilité.
— Je ne vous savais pas aussi rancunière.
— Alors, c’est que vous me connaissez très mal, répliqua Lyra, son éternel sourire taquin sur les lèvres.
Ça, c'était mauvais pour lui.
Il toqua et entra le premier. Thelma et Ellyana les attendaient, l’une assise sur le canapé du boudoir, l’autre, une tasse de thé à la main, regardait le paysage à travers la fenêtre de la tour.
— Ah voilà notre conteuse ! s’exclama Thelma.
— Vos majestés, salua poliment Lyra en une révérence. J’ai cru comprendre que vous désiriez me voir avant mon départ.
Le Renard trouva qu’elle était de plus en plus à l'aise dans le plier de genou.
Les différents tapis, coussins et drapés colorés de la pièce réchauffaient l’atmosphère de la pièce. Il était difficile de se rappeler que cet endroit était autrefois un endroit inhabité du château.
Ellyana avait rejoint sa femme et s’installa à ses côtés. Elle posa un regard plein de douceur sur la conteuse. Elle non plus ne pensait pas que Lyra était capable de se retourner contre la couronne, le Renard en était certain. Il fallait juste convaincre Thelma.
— Nous voulions te parler de ta récompense pour le dernier bal ainsi que de ta demande concernant le statut de ta famille, annonça Ellyana en glissant une main dans celle de sa femme. Comprends bien que ce que tu nous demandes est… vraiment…
— Conséquent, compléta Thelma.
— J’en ai bien conscience, votre Majesté. Ce que je souhaite, c’est réparer les erreurs du passé. Et j’espère simplement que ma contribution aura aidé au traité de paix. Je ne désire rien d’autre que de servir Ambrume.
— Tu es douée, petite conteuse, souffla Thelma, un rictus amusé sur les lèvres.
— Tout d’abord, nous t’offrons le double de ce que nous t’avions donné pour le Bal d’Hiver, comme nous l’avions convenu toutes les deux, promit Ellyana. Plus quelques cadeaux : des bijoux, des robes et des livres provenant de la bibliothèque royale.
— Et pour ce qui est de cette histoire de titre de noblesse, laisse-moi encore le temps d’y réfléchir. Je dois m’assurer de certaines choses, ajouta Thelma en lançant un regard en direction du Renard.
Il avait parfaitement compris l’allusion. Pas la peine de le fixer de la sorte.
— Mais il nous reste une dernière chose à te dire.
Le Renard vit les épaules de Lyra tressauter. Il aurait aimé lui dire que tout irait bien. Qu’elle rentrerait chez elle et qu’avec un peu de chance, pour elle, ils ne se reverraient jamais.
La jeune femme garda le menton baissé, comme le voulait l’étiquette, lorsque l’on se tenait face aux souveraines d’Ambrume.
— Merci d’avoir sauvé notre chef de la garde, termina Ellyana d’une voix enrobée dans du miel. Tu as risqué ta vie et tu nous l’as ramené sain et sauf. Le royaume aura toujours une dette envers toi, Lyra Merryweather.
La conteuse releva la tête. Les yeux ronds, la bouche entrouverte, elle semblait chercher ses mots sans parvenir à garder les idées claires. D’une main distraite, elle jouait avec le cordon de la manche de sa chemise.
— C’est… C’est trop d’honneur, vos Majestés. J’ai réagi comme tout le monde l’aurait fait, dit-elle, la gorge serrée.
Thelma lâcha la main d’Ellyana pour avancer jusqu’à Lyra. En face l’une de l’autre, la différence de taille était prenante. Lyra était déjà grande, Thelma était imposante. Et le Renard fut frappé par un détail. Il chercha le regard d’Ellyana pour confirmer ce qu’il pensait. Elle opina du chef. La reine consort avait raison. Ce qu’il y avait dans les yeux de Lyra lorsqu’elle regardait sa reine n’était pas de la mesquinerie ou du mensonge. C’était une admiration forte et inébranlable. Il en aurait presque été jaloux, si cela ne l’avait pas tant rassuré.
— L’assassin est peut-être toujours dans les parages. Et s’il a eu vent du rétablissement du Renard doré, il pourrait s’en prendre à toi pour se venger. C’est pourquoi tu seras escortée jusqu’à Rivermoore par les meilleurs chevaliers de notre garde.
Lyra ouvrit la bouche, sans doute pour riposter, mais Thelma ne lui en laissa pas le temps. Elle leva la main pour l’interrompre avant de pivoter vers le Renard qui se tenait en retrait, derrière la conteuse.
— Renard, je compte sur toi. Et sois vigilant cette fois. Nous n’aimerions pas qu’il arrive malheur à notre conteuse.
Pour toute réponse, le concerné se pencha en avant en signe d’obéissance. Il avait parfaitement compris le double sens derrière les paroles de sa reine.
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