Chapitre 26 (Réécrit)
Lyra reconnut les champs de la famille Armandelle. La ferme de la famille Chazeaux. Et le chien qui courait derrière les moutons, là-bas, c’était celui du petit Cole ! Tous les paysages qui l'entouraient, à présent si familier, lui réchauffaient le cœur. Les différentes parcelles de terres agricoles formaient un patchwork de couleurs, allant du jaune blé au marron terre humide. Comme une couverture géante, qui recouvrait la terre, en ce mois hivernal. Il n’y a pas à dire, Rivermoore était vraiment un endroit magnifique. Encore plus lorsque le soleil du matin éclairait la cime des sapins aux alentours. Enfin à la maison.
Après tout ce que la conteuse avait vécu, sa campagne lui paraissait bien paisible. L'effervescence de la ville était loin. Tout comme la volupté des bals. Les dangers des assassins cachés dans les arbres. Et les capitaines de la garde déserteur.
En parlant d’eux, elle en avait justement un sous le nez. Distant, muet et le masque vissé sur sa tête. Ni lui, ni elle, n’avaient essayé de prononcer ne serait-ce que le moindre son. Depuis ce matin, Lyra en était au troisième mouchoir qu’elle tordait et déchiquetait morceau par morceau. Est-ce qu’elle imaginait que c’était la tête de Kayden ? Oui. Est-ce qu’elle était toujours en colère, vexée, désœuvrée ? Oui. Est-ce qu’elle commençait à manquer de mouchoir ? Aussi.
Il ne leur fallut pas attendre longtemps avant d’arriver devant le perron de la demeure des Merryweather et d’entendre le cri aigu d’une femme.
— Ma chérie ! Mon bébé ! Tu es là. Tu es rentrée à la maison !
Madame Merryweather n'attendit même pas que le véhicule s’arrête pour ouvrir la portière. Elle fit sortir sa fille, manquant de la faire tomber, et la serra fort dans ses bras. Tout en lui caressant les cheveux, elle lui embrassa le front, marquant sa peau de baisers roses.
Cette sensation avait tant manqué à Lyra. Le parfum de sa maman. La chaleur de ses bras. Sa force de taureau.
— Maman… Tu m’étouffes.
— J’ai mis plus de six heures pour te faire sortir de mon ventre. Alors câline ta mère, jeune fille !
Ne pouvant désobéir à cet ordre irréfutable, Lyra abandonna toute sa fierté d'adulte devant ses amis et se laissa aller à l’embrassade. Son père et ses sœurs les rejoignirent rapidement, heureux d’être enfin tous réunis.
— Rentrons vite, enjoignit madame Merryweather, bras dessus, bras dessous avec Lyra et Obélia. Vous devez être épuisés par la route. Et frigorifiés. Et affamés. Marie va vous préparer une bonne tasse de thé. Allez, allez. Tout le monde à l’intérieur !
Avant de rentrer chez elle, Lyra eut juste le temps d’apercevoir le Renard en pleine conversation avec Alphonse et Damien. Les deux gardes lui lançaient des regards graves à travers leurs sourcils froncés. Que pouvait-il bien leur dire ?
Sa mère avait raison : Lyra rêvait d’une tasse de thé bien chaude. Justement, Marie semblait avoir lu dans ses pensées, car c’est le moment où elle arriva avec la théière et le sucrier.
Les Merryweather et leurs invités avaient pris place dans le salon. Cet agencement lui rappela la première fois que les garde de Silverthrown étaient venus la chercher, il y a maintenant plus de deux semaines. Le Renard, Alphonse et Damien installés sur le canapé. Ses parents en face. Cassandra et Obélia sur la table. Enora, jamais assise, ses jambes ne connaissant pas le repos. Seul Achim, qui n’était pas là la première fois, témoignait que le temps ne s'était pas arrêté. Que tout ce que Lyra avait vécu n'était pas le fruit de son imagination débordante. À présent, tout ça lui paraissait tellement loin. Le bal, le traité de paix, la proposition de Lysandre et Opale de Lomond, la tentative d’assassinat, le visage du Renard doré, Kayden.
Sans s’en rendre compte, ses yeux s'étaient machinalement posés sur le masque doré. À quoi pouvait-il bien penser en ce moment ? Qu'avait-il dit à Alphonse et Damien pour qu’ils aient l’air si inquiets ? Est-ce qu’il repensait à ce qu’il s’était passé la veille, à l’auberge ? Enfin, à ce qui aurait pu se passer…
— Pourquoi as-tu mis autant de temps à rentrer à la maison ? demanda Madame Merryweather en servant deux morceaux de sucres dans le thé de Damien. Tu étais censée revenir il y a au moins cinq jours. On était mort d’inquiétude. Pas de nouvelle. Pas de lettre !
Marie versa l’eau chaude dans la tasse de Lyra. Pomme cannelle, son thé préféré. Marie savait comment remonter le moral de la jeune femme. Et pour continuer, la domestique lui tendit un biscuit au citron et au gingembre. Lyra la remercia d’un sourire fatigué mais sincère.
— Je suis désolée. Je vous avais envoyé une lettre. Enfin, je crois bien l’avoir envoyé. Il s’est passé beaucoup de choses. Vous savez, mère, l’effervescence de la ville. Quant à mon retard, disons qu’il y a eu des complications.
Du coin de l'œil, elle remarqua les épaules du Renard tressauter. Oui, je parle bien de vous. C’est vous mes complications.
— Peu importe, notre Lyra est rentrée à la maison, c'est le principal. J’imagine que ces messieurs aimeraient faire de même et rentrer chez eux. Alors, on ne va pas les retenir plus longtemps, conclut Monsieur Merryweather, son genou sautillant sur place.
Déjà ? Ils partaient déjà ? Après toute cette aventure, c'est ainsi que ça se terminait. Aussi simplement. Le paquet était bien livré, donc il ne restait plus qu’à repartir. Juste un au revoir et ils se quittaient. Pour ne peut-être plus se revoir ?
— On ne va pas les laisser repartir le ventre vide et si fatigué. Eugène, voyons, l'hospitalité ! Non, non, non. Ce soir, vous dînez avec nous et vous restez dormir. La maison peut vous paraître petite, mais n’ayez crainte. Nous avons suffisamment de chambres.
Monsieur Merryweather plissa le nez, ce qui fit frémir sa moustache poivre et sel. Il intima quelques mots à l’oreille de sa femme. Le sujet de leur conversation n’était pas un mystère pour Lyra. Son père devait certainement faire remarquer à sa mère qu’ils n’avaient pas les moyens pour préparer une si grande tablée.
— Il n’est pas encore trop tard. Je peux me rendre au marché avec Marie pour acheter de quoi cuisiner ce soir, hasarda Lyra. Leurs Majestés ont été généreuses.
Pour appuyer ses propos, elle sortit du bagage qu’elle tenait encore à la main une bourse pleine, qu’elle tendit ensuite à son père. Le père de famille desserra le cordon. Ses gestes étaient lents et peu confiants. Lorsqu’elles atterrirent dans la paume de monsieur Merryweather, les pièces s’entrechoquèrent en un tintement aigu. Trois d'entre elles trébuchèrent sur le parquet.
— Je n’en reviens pas… C’est tout un banquet que l’on pourrait payer avec ça ! s'enorgueillit sa mère, rose de plaisir. Très bien ! Lyra, tu accompagnes Marie de ce pas avant que les boutiques ne ferment. Prenez tout ce qui vous plaît plaisir, de la viande, du poisson, des fruits et même des pâtisseries ! Eugène, sors ta plus vieille bouteille de la cave !
En réalité, Lyra avait reçu bien plus qu’une bourse de pièces d’or. Dans le fiacre attendaient encore plusieurs bourses, un coffre rempli de bijoux et trois robes provenant de la modiste de Silverthrown. Elle préférait ne pas en parler tout de suite à sa mère. Vu sa réaction à la simple vue de ces quelques pièces, elle ferait un malaise devant le reste de son dû.
Après sa dernière interaction avec leurs Majestés, Ellyana avait pris Lyra à partie. Elle lui avait expliqué avoir ajouté quelques petits suppléments. Par la suite, Lyra comprit que c'étaient les bijoux et les robes. « Pour te remercier d’avoir sauvé le Renard », avait expliqué la reine consort.
Lyra se leva précipitamment. Elle en avait assez que ses pensées tournent toujours autour de lui. Elle en avait assez de sa posture droite. Assez de ses cheveux roux arrogants. Assez qu’il ne lui offre même pas un regard.
Elle empoigna le bras de Marie et récupéra la cape qu’elle avait posée sur son siège.
— On y va alors !
— Attends, la stoppa Cassandra. On vient avec vous. J’ai envie de choisir ma pâtisserie.
Enora et Obélia acquiescèrent, décrochant à leur tour une cape en laine sur le porte-manteau du salon.
— Damien. Accompagne-les, déclara le Renard.
Le soldat, sans protester l'ordre de son capitaine, suivit les sœurs de Lyra devant la porte de la maison. Cette dernière lâcha Marie et se posta devant le capitaine de la garde. Au moins, de cette façon, il ne pouvait pas l’éviter.
— Pourquoi ?
— Pour qu’il vous protège.
— On est à Rivermoore. Pas au château. On n'a pas besoin de votre protection. Ici, c’est chez nous. Et comme vous avez pu le remarquer, Monsieur le Renard doré, je sais très bien me sauver toute seule.
Ce n’était pas le fait que Damien les accompagne qui énervait Lyra. Au contraire, elle était contente de pouvoir présenter son ami à ses sœurs. Elle voulait juste s’opposer au Renard. Elle voulait aller à l'encontre de tout ce qu’il disait.
— Ne fais pas ta mauvaise tête, Lyra ! la réprimanda sa mère. Et dépêche-toi, sinon ce sera haricot à la vapeur ce soir. Et rien d’autre !
Les poings serrés, Lyra le contourna pour rejoindre le reste du groupe. Sa mère était déjà en train de vanter à Achim et Alphonse les mérites de ses filles et à quel point elle les avait bien éduqués. Son père, en revanche, était aussi muet que le Renard. Ce qui surprit le plus Lyra, c'était le regard noir et inquiet qu’il lançait à l’homme masqué.
-§-
— Tu nous caches quelque chose, affirma Cassandra sur le chemin du marché.
— Quoi ? Mais non !
Fichu lien sororal ! Lyra détestait quand ses sœurs avaient raison. Encore plus lorsqu’elles avaient raison à propos d’elle. Et de toutes, Cassandra était de loin la plus perspicace. Elle lança une expression confiante, agaçante, vers Lyra.
Enora passa un bras sur les épaules de la benjamine.
— Si. Quand tu parles trop bien aux parents, c’est que tu caches la vérité. “L'effervescence de la ville” la parodia Enora, d’une voix faussement noble.
— Ce n'est pas ma faute si j’ai plus de trois mots de vocabulaire, se moqua Lyra à son tour.
Avant que sa sœur ne lui agrippe la capuche, elle s'échappa et courut se cacher derrière Damien.
Le pauvre garde n'en menait pas large avec toutes ses demoiselles autour de lui. Lyra supposait qu’il aurait préféré rester à la demeure des Merryweather avec le reste des garçons. Surtout avec Alphonse. Et justement, ses sœurs l'avaient rendu d’humeur taquine. Il était temps de se décharger de son trop-pleins d’émotions et de penser à autre chose qu’à Kayden.
— Au fait, Damien, commença Lyra. Ta nuit s’est bien passée ?
Bien que leur première rencontre était pour le moins rigide, Lyra avait appris à aimer les deux gardes. L’un aussi ouvert et gauche que l’autre était discret et inflexible. L’attaque contre le Renard les avait aussi rapproché. Pendant que Monsieur dormait, elle leur avait rendu visite dans le bâtiment d'entraînement. Leur apportant des nouvelles de leur capitaine et des gâteaux préparés par ses soins (et beaucoup d’aide de Madeleine).
— Euh, oui… Merci… , répondit le soldat sur ses gardes.
Il se mit à marcher plus vite, la tête baissée. Lyra le talonna. Il ne lui échapperait pas.
— Je me demandais si Alphonse était du genre câlins ? Parce que tu semblais ne plus vouloir le lâcher, hier soir.
Un tir parfait ! Damien rougit jusqu’à la pointe de ses cheveux coupés en brosse. Sa bouche imita à la perfection un poisson hors de l’eau.
— Oh, oh ! De la romance dans l’air ! s’invita Obélia dans leur conversation. Je parie qu’Alphonse, c'est le grand blond, celui aux yeux aiguisés.
— Et Obélia est une professionnelle de l’amour, précisa Enora en se plaçant à côté de sa sœur. Elle devine toujours les futurs couples du village, avant même qu’ils ne se parlent pour la première fois ! C’est impressionnant. Et assez frustrant. Elle avait deviné pour Marco et moi avant même que j’annonce nos fiançailles. Tu me dois encore des excuses, d’ailleurs, pour avoir gâché l’effet de surprise !
— Que veux-tu ? Je suis un génie de l’amour, fanfaronna l’intéressée. Et je peux vous dire, Damien, que vous avez toutes vos chances. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure qu’il vous aime aussi. Un peu comme votre étrange collègue masqué et Lyra.
— QUOI ? s’étouffa la conteuse.
— Mais, c’est vrai ça ? renchérit Damien en se tournant vers son amie, un sourire diabolique sur les lèvres. Et ta nuit à toi, Lyra ? Tu devais dormir avec la capitaine et on le voit revenir une heure après, d’une humeur massacrante. Qu’est-ce qu’il s’est passé entre vous ?
Tel est pris qui croyait prendre. Ça lui apprendra à s’immiscer dans les relations des autres.
— Rien. Il ne s’est rien passé.
Dans les faits, ce n’était pas faux. Elle se mit à son tour à avancer d’un pas plus rapide. Dans la poche de sa cape, elle serrait fermement le peigne que lui avait offert Kayden. C’était la première fois, depuis qu’elle l’avait, qu’il n’ornait pas ses cheveux. Pour montrer son irritation, elle refusait de le porter. Mais elle ne pouvait se résigner à s’en éloigner pour autant.
— Vous ne savez pas mentir Lyra, gloussa Marie.
La femme de chambre était restée en arrière, pour laisser les sœurs se retrouver Mais la situation était trop amusante, visiblement, pour ne pas taquiner la conteuse à son tour.
Lyra n’essayait pas de mentir. Simplement, de cacher son embarras. Et de trier ses sentiments. Entre sa colère, sa méfiance et son attirance pour Kayden, elle ne savait plus où donner de la tête.
— Plus sérieusement, reprit Cassandra. J’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose de grave au château. Tu sais que tu peux nous en parler, pas vrai ?
Lyra prit la main de sa sœur dans la sienne. Elle était glacée. De son autre main, elle prit celle de Marie. Ça faisait du bien d’être de retour à la maison. Même si elles l’embêtaient, ses sœurs, sa famille, étaient tout pour Lyra.
— Tu me dis ça pour que j’apaise les tourments de mon âme ? Ou parce que tu es très curieuse ?
— Pour toi, voyons ! Et aussi parce que je suis très, très, très curieuse.
Il lui fallut au moins tout le chemin du retour pour raconter ses aventures. Heureusement qu’elle était douée pour parler. En revanche, elle l'était moins pour cacher ses sentiments.
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