Chapitre 27 (Réécrit)

8 minutes de lecture

Kayden ne parvenait pas à trouver le sommeil. Déjà parce que dormir avec son masque était franchement désagréable et parce que les ronflements d’Achim n’avaient rien d’une berceuse.

Madame Merryweather avait un peu surestimé la grandeur de sa maison. Ils n’avaient pas assez de chambres. Ou en tout cas pas suffisamment pour que tout le monde en ait une. Résultat, après le repas (qui était excellent, Kayden devait le souligner), ils étaient partis sur un jeu éliminatoire pour déterminer qui dormirait où.

Lyra avait perdu la première. Kayden s'attendait à ce qu’elle soit mauvaise joueuse. Il avait vu juste. Elle était terriblement, incontestablement et adorablement mauvaise joueuse. La conteuse avait donc dû laisser sa chambre et dormir avec sa sœur Cassandra. Enora, la deuxième perdante, devait partager la chambre d’Obélia.

Kayden, quant à lui, n’avait pas perdu. Il ne perdait jamais. Surtout pas à un jeu aussi enfantin, dont le but était de deviner l’arme de son adversaire, symbolisé par un mime de la main. Il avait deviné chaque assaut de Lyra. C’était encore plus facile avec elle.

Pourtant, il s’était retrouvé avec Achim le ronfleur, dans la chambre d’Enora. Évidemment, il ne l’avait pas choisi. Mais Damien l’avait supplié de le laisser avec Alphonse. Il avait besoin de lui parler. Son ton insistant n’avait pas vraiment laissé le choix au capitaine.

Un ronflement plus perçant que les autres fit sursauter Kayden. Il devait sortir de là où il étoufferait le cocher dans son sommeil. À tâtons, dans l’obscurité de la chambre, il se dirigea vers la porte.

Alors qu’il déambulait dans la maison silencieuse, il se rappela les paroles de ses soldats. Avant d’accompagner Lyra jusqu’à Rivermoore, le capitaine de la garde avait exposé le véritable objectif de cette mission. Découvrir si Lyra et les Merryweather conspiraient contre la Couronne. Alphonse était revenu sur cet ordre juste avant d’aller se coucher.

— Êtes-vous sûr, capitaine ? Je n’imagine pas Lyra trahir le royaume. Et cette famille, bien que bruyante, est touchante. Loin de l’image que l’on peut se faire de partisans de Childéric.

Kayden ne pouvait que lui donner raison. Il accordait l'innocence aux femmes de la famille, elles étaient aussi franches que Lyra. Le père, en revanche, était plus suspect. Trop distant. Et des tics incontrôlés témoignaient son angoisse. De plus, il n’avait montré aucune joie, ni aucun soulagement devant la récompense de Lyra. La réaction de madame Merryweather était plus légitime. Avec tout cet argent, leur fille venait quand même de les sauver de la ruine. Pour un temps du moins.

— Surtout pas à vous, avait surenchéri Damien.

— Pardon ?

— Lyra. Elle ne vous trahirait pas. Elle est en colère contre vous. Ça, croyez-moi, elle nous l’a dit en long, en large et en travers, sur tout le retour du marché. Mais elle ne vous trahirait jamais. Pas vous.

Et c’est sur cette phrase qu’ils l’avaient abandonné à Achim.

Kayden avait bien vu qu’elle était en colère. Elle n’essayait même pas de le cacher. Les seules fois où elle l’avait regardée, pendant le repas, c’était avec des yeux aussi durs et froids que les œufs à la mayonnaise de Marie. Puis, elle tournait la tête ostensiblement, la moue boudeuse. Ou elle se mettait à rire très fort avec Damien, assis à côté d’elle. D’ailleurs, les deux soldats étaient devenus proches de la conteuse. Ils les avaient même entendus se tutoyer respectivement.

Il leur en toucherait deux mots.

Pas que ça l’énervait qu’elle les tutoie et pas lui. Qu’elle soit plus proche d’eux que de lui. Non, absolument pas. Ce n’est pas comme s’il lui avait fait visiter la capitale. Qu’il lui avait montré son visage. Qu’il avait pris sa défense devant Thelma. Qu’il lui avait révélé son prénom. Qu’il avait eu tant envie de l’embrasser à l’auberge…

Ça n'avait rien à voir. Ce n’était juste pas professionnel de la part d’Alphonse et Damien. Ils restaient des chevaliers de Silverthrown. Et elle, une simple mission.

Justement. Il devait se reconcentrer sur sa première mission. Trouver des indices.

Il descendit l’escalier à pas de loup. Plus tôt dans la journée, il avait vu une porte fermée en face du salon. La maison n’était pas bien grande. Il avait visité le salon, les cuisines, la salle à manger et était passé devant toutes les chambres. La seule pièce qu’il n’avait pas encore parcouru était celle-ci. En toute logique, il devait s’agir d’un bureau. Un ancien noble comme monsieur Merryweather avait forcément un bureau pour traiter de ses affaires. Un endroit parfait pour cacher des lettres compromettantes ou des plans concernant le coup d'État d’un ancien roi.

Une fois devant la porte, Kayden posa la main sur la poignée.

Fermée.

Pas étonnant. Le père de famille avait dû s’empresser de fermer son bureau dès qu’il avait vu les soldats de la reine arriver devant sa demeure. Comme si ça allait l’arrêter. Il sortit une épingle du fourreau où se trouvait sa dague. Il ne retirait sa petite arme que très rarement d'ordinaire, mais depuis l’attaque, il dormait même avec. C’était encore moins confortable que dormir avec le masque.

Deux-trois mouvements circulaires et la serrure céda en un cliquetis sec.

La porte s’ouvrit sur une petite salle carrée. Une odeur de poussière lui piqua le nez. Bien que plongé dans l’obscurité, Kayden n’avait aucun mal à analyser son environnement. Il avait l’habitude. Les deux pans à gauche et à droite étaient recouverts d’étagères où s'entassaient des livres et des parchemins. Une fenêtre, sur le mur d’en face, donnait sur les champs. Et au centre, un bureau affreusement mal rangé. Il aurait pensé monsieur Merryweather plus ordonné. Finalement, sa fille lui ressemblait davantage que le garde ne l’imaginait.

Il referma la porte derrière lui et alluma la bougie qui trônait sur le bureau. Il arrivait peut-être à appréhender l’emplacement des meubles, mais lire dans le noir était une autre paire de manche. Archibald, lui, aurait pu. Enfin, si le chat avait eu la capacité de lire.

Il commença par chercher dans les livres. Il était facile de glisser une missive entre les pages. Pas très original, mais les hommes comme monsieur Merryweather étaient rarement innovants. Kayden parcouru les titres des yeux. Des biographies, des documentaires sur les navires et la mer en général, des romans et des contes. Forcément, lorsque votre fille est la plus célèbre conteuse du royaume. Aucun ouvrage ne semblait plus consulté, plus usés qu’un autre. Aucun mots-clés dans le titre qui pourrait aiguiller Kayden. Il n’allait quand même pas les ouvrir un par un…

— Le lit n’est pas à votre convenance ? Vous préférez peut-être dormir avec les chevaux. Après tout, vous y êtes accoutumé.

Même en pleine nuit, il ne pouvait lui échapper. Lyra était entrée dans la pièce sans faire un bruit. Il aurait dû placer une chaise devant la porte pour bloquer le passage.

Bien qu’il n’ait rien laissé paraître, entendre sa voix le surprit. Ce n’était pas la première fois qu’elle se faufilait derrière lui. Le soir du bal d’hiver, elle s’était cachée derrière un rideau. Il n’avait pas senti sa présence. Comment une femme avec autant de présence en public, pouvait être aussi discrète quand elle le voulait ?

Seulement vêtue de sa chemise de nuit en mousseline, la conteuse semblait tout droit sortir de l’un des rêves du Renard. Ses longs cheveux bruns ondulaient le long de son corps, l’enveloppant comme une cape recouvrirait une reine. Il lui était impossible de se détourner de cette apparition nocturne. La lumière de sa bougie léchait les formes de ses courbes en une danse envoûtante.

— Vous… avez une belle bibliothèque, finit-il par articuler.

— Elle est malheureusement bien vide. On a dû se séparer de beaucoup d’ouvrages à cause de nos problèmes financiers, expliqua Lyra en s'adossant au battant de la porte. Que faites-vous là ?

— Je vous retourne la question. Il est tard.

— Je suis dans ma maison. Je vais où bon me semble.

Son ton était aussi tranchant que la lame d’une épée. Pas de doute, elle lui en voulait encore.

Elle se glissa jusque devant lui, pour se mettre contre la bibliothèque. Les bras croisés, elle l’étudiait en silence. La lumière chaude des flammes faisait ressortir l’air sévère de son visage, ainsi que le doré de ses iris. Elle posa une main sur son masque et le retira lentement. Tellement lentement, qu’il aurait pu l’arrêter d’un simple geste. Il n’en fit rien. L’air frais dans le bureau lui refroidit les joues.

Lyra enfila le masque, disparaissant derrière la figure sans expression qu’arborait le Renard doré en public. Cette désinvolture, cette confiance en elle, c’est ce qui avait tant attiré Kayden lors de leur première rencontre.

Ses mains devinrent moites. Et des images de la veille lui revinrent en mémoire. Ses doigts emmêlés dans les boucles brunes de la jeune femme. La sensation de son corps chaud contre le sien. Le soulèvement de sa poitrine à chacune de ses respirations. Les grains de beauté qui parsemaient sa peau comme la plus belle des constellations. Et ses lèvres. Ses lèvres qu’il ne rêvait que de goûter.

— Vous en revanche…, poursuivit Lyra, qui était bien loin de se douter des tourments qu’elle suscitait chez le chevalier.

— Je n’arrivais pas à dormir. À cause d’Achim. Je me suis dit qu’un peu de lecture m'aiderait.

— Me voilà rassurée. Vous quittez donc le lit de tous ceux qui partagent votre chambre. J’avais peur d’être la seule à qui vous avez fait faux bond, lança-t-elle froidement en retirant le masque. Quelle est la véritable raison de votre présence ici. Je veux dire, à Rivermoore. Vous n’êtes pas venu seulement pour me ramener saine et sauve. La reine n’aurait pas laissé son capitaine de la garde partir pour si peu.

Elle cogna le masque contre le torse de Kayden pour le lui rendre. La méfiance qu’il lut dans ses yeux était comme un coup de poignard. Affûté, dévastateur et douloureux.

Il se reconcentra sur l’étagère. Avec un peu de chance, il ne trouverait rien. Il rentrerait au château. Dirait à Thelma que les Merryweather ne conspiraient pas avec Childéric. Et il pourrait se réconcilier avec Lyra. Ainsi, il pourra lui avouer sa véritable mission. Tout lui avouer.

Ses doigts effleurèrent un livre à la couverture plus rugueuse que les autres. Un roman vert clair, sans titre, sans auteur. Non. Le seul parfaitement vierge sur toute l’étagère. Non. Il était lourd et gonflé à cause de tous les papiers qui marquaient ses pages. Non !

— Kayden, pourquoi êtes-vous là ?

Un frisson lui parcourut l’échine. Il aurait pu être de plaisir, d’avoir entendu Lyra prononcé son prénom pour la deuxième fois. Surtout si proche, qu’il avait senti son souffle dans son cou. Mais non. C’était un frisson de terreur.

Dans ses mains, il tenait la correspondance entre monsieur Merryweather et les partisans de Childéric. Des dizaines de lettres, toutes plus compromettantes les unes que les autres. Tout y était écrit noir sur blanc. Aucun code, aucun langage crypté, pour ne serait-ce que cacher l’évidence. Une cachette minable choisie par un homme naïf, désabusé et avide de retrouver un statut social perdu.

— Pour arrêter votre père. Pour crime contre la Couronne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire NeverlandClochette ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0