Chapitre 28 (Réécrit)

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— Eugène Merryweather. Suite aux nombreuses preuves retrouvées à votre domicile de Rivermoore et aux témoignages entendus lors de ce procès. Vous êtes condamné coupable de haute trahison. La sentence est : la mort par pendaison, adjugea Thelma, du haut de son siège de magistrate.

Une exclamation commune s’éleva de l’assemblée. Le Renard doré, en retrait avec Damien et Alphonse, comme le reste des témoins, se concentra sur les femmes Merryweather.

La mère de famille éclata en sanglots, soutenue par ses deux aînées. Cassandra et Enora, le visage noyé par les larmes, ne parvenaient à trouver aucune parole réconfortante. La troisième sœur, Obélia semblait dans l’incapacité de rester debout, la tête dans ses mains, elle restait inerte sur le premier banc du tribunal.

Le plus difficile pour Kayden était de faire face à Lyra. Elle était restée silencieuse tout le long du procès. Des larmes coulant à chaque phrase prononcée par Thelma. Chaque témoignage accusant son père. Chaque seconde qui la plongeait un peu plus dans un cauchemar obscur.

À la fin de l’audience, elle tourna vers lui un visage aux traits déformés par la haine.

C’était trop tard. Plus de retour.

Il avait condamné un homme. Détruit une famille. Il l’avait brisé, elle.

L’audience avait déjà quitté les lieux, mais les Merryweather demeuraient prostrés à leur place. Après un dernier baiser déchirant avec sa femme, monsieur Merryweather venait d’être conduit en prison, où il passerait les derniers jours de sa vie avant la potence.

Thelma glissa quelques mots à l’oreille du Renard.

Il n’écoutait pas. Il n’arrivait à se concentrer sur rien d’autre que sur Lyra.

C’est le moment que choisit cette dernière pour s’avancer devant la reine. Ses gestes étaient tremblants. Peu assurés. Elle n’était plus que l’ombre de la conteuse que Kayden avait connu. Son teint était terne et de larges cernes creusaient son regard. Depuis quand n’avait-elle pas dormi ?

— Majesté, déclara Lyra d’une voix étonnamment forte pour son état. Je demande une audience.

— Le procès est terminé, Lyra, répondit Thelma en massant ses tempes du bout des doigts.

Elle aussi ne semblait pas avoir trouvé le sommeil depuis plusieurs nuits.

— Je suis désolée, mon enfant, ajouta Ellyana.

D’un geste tendre, la reine consort caressa la joue de la jeune femme. Kayden savait que la reine faisait tout son possible pour ne pas pleurer à son tour. Ellyana avait toujours été très sensible. Encore plus lorsqu’elle avait autant de tendresse pour une personne. Lorsque Kayden l’avait rencontré, les yeux de la reine s’embuaient toujours à la vue des cicatrices recouvrant son corps.

— Ambrume a toujours une dette envers moi.

Lyra ne flancha pas. Au contraire, ses muscles se raidirent plus encore, contractant sa mâchoire.

— Très bien, céda Thelma. Je t’accorde cinq minutes d’audience. Suis-moi.

Le Renard doré les escorta dans une salle annexe au tribunal. Un boudoir informel, utilisé pour les conciliabules plus personnels. Il n’y avait rien d’autre qu’un sofa pour les reines, une table basse et une chaise.

Lyra ne prit même pas la peine de s’asseoir. Elle se plaça juste le plus loin possible de Kayden.

— Je suis sincèrement désolée pour ton père, commença Thelma, en prenant la main de sa femme. Surtout par rapport à l’amitié que nous te portons, Lyra. Mais si je laissais passer ce… cas, ce serait une brèche pour le retour de Childéric. Une porte grande ouverte pour un futur coups d’État. Je ne peux pas laisser Ambrume sombrer de nouveau. Je ne peux pas épargner ton père.

Une larme roula sur la joue de Lyra et alla s’écraser à ses pieds.

— S’il a fait tout ça, c’est parce que nous étions dans une situation critique. C’est un père aimant. Fidèle à sa famille. Pendant toutes ses années. Il nous l’avait caché. Je… Je savais que nous manquions d’argent, mais nous ne l’avions jamais ressenti, la voix de Lyra n'était plus qu’un filet étranglé. Il a tout fait pour que nous vivions heureuses. Mais, c’était encore plus grave que je ne l’imaginais. Et moi qui pensais le soutenir, simplement en racontant des histoires… Nous avions besoin d’argent ! Mon père est un homme naïf. Vous avez lu les lettres. Il s’est fait manipuler. Les partisans de Childéric lui avaient promis assez d’or pour que nous ne plus manquer de rien. Il a fait tout ça pour sauver sa famille.

— Je suis désolée, répéta Thelma. Ma décision est irrévocable. Nous avons trop à perdre.

Ellyana posa son autre main sur l’épaule de sa femme. L’attention de Thelma se reporta sur le Renard. Un bref instant, il perçut des remords dans le regard de sa reine. Elle se ravisa la seconde d’après, reprenant son rôle de cheffe de la nation. Droite et inflexible.

— Renard, préviens deux de tes hommes. Ils partiront en mission pour le royaume d’Aldonya. Qu’ils te fassent un rapport tous les trois jours, elle pivota vers Lyra. Nous parlerons des détails plus tard.

La main toujours dans celle d’Ellyana, Thelma se dirigea vers la sortie. Elles étaient inséparables. L’une soutenant toujours l'autre, peu importe ses décisions. Kayden trouva cruel de montrer ce tableau d’un amour parfait à Lyra, alors que ses parents allaient être séparés à jamais. Et cruel pour lui, qui voyait la femme qu’il aimait s’effondrer devant ses yeux.

La femme qu’il aime…

Je… Je suis amoureux de Lyra ?

Il y avait certainement meilleur moment pour prendre conscience de ses sentiments. Cette révélation le laissa sonner, les bras ballants.

— Une vie pour une vie, murmura Lyra, pensive.

— Pardon ? se retourna Thelma, avant de passer l’encadrement de la porte.

— J’échange la vie de mon père contre la mienne. C’est la dette que je demande.

Seul le tintement de l’épée de Kayden avait brisé le lourd silence qui s’était abattu dans la pièce. Il avait bougé machinalement. Avançant d’un pas vers Lyra. L’œillade toujours meurtrière contre lui, la jeune femme recula pour remettre de la distance entre eux.

— Ne dis pas ça, tenta de la raisonner Ellyana. Tu es sous le choc. Ta mort ne sera pas une solution, bien au contraire.

— Je ne mourrai pas. Et mon père non plus, annonça Lyra. Je vous donne ma vie. Mon corps. Mon être. Utilisez-moi comme espionne. Je pourrais me rendre à Aldonya, sans éveiller les soupçons. Opale de Lomond m’y a convié pour l'anniversaire de Jude de Lior. De plus, je suis proche de son fils, le duc de Lomond. S’ils ont des informations sur le retour de Childéric, je pourrais les récupérer. Et je vous en ferai part. En empêchant le retour de l’ancien roi, nous évitons le coup d'État et alors mon père n’aura pas à… mourir. N’est-ce pas ?

— Te rends-tu compte de la dangerosité de ce que tu proposes ? Personne ne pourra te venir en aide. S'ils te soupçonnent, je ne pourrais rien faire, car cela reviendrait à avouer que nous avons engagé des espions pour leur nuire. La guerre serait déclarée et alors tout ce que nous avons entrepris pour conserver cette paix tombera à l’eau. Et comment pouvons-nous être sûrs que tu ne joues pas un double jeu, que tu n'aides pas ton père et le clan de Childéric ? demanda Thelma.

— Parce que je vous ai toujours été fidèle, déclara Lyra en posant un genou à terre, à la façon des chevaliers prêtant serment à leur souverain. Gardez mon père en prison, le temps que je revienne et surveillez ma famille si cela est votre souhait. Je jure sur le nom des Merryweather de vous être utile et de vous servir jusqu’à mon dernier souffle. Mais pour cela, mon père doit rester en vie.

— C’est de la folie, s’emporta Ellyana.

— De la folie, certes. Mais cela pourrait marcher, confirma Thelma.

En se retournant, la reine rompit le contact avec sa femme et se dirigea vers Lyra. Kayden, quant à lui, n’avait plus bougé. Il était incapable d’effectuer le moindre mouvement. Ses muscles étaient paralysés, depuis la décision irréfléchie de la conteuse. Il l’avait dit et répété : Lyra n’était pas une espionne. Elle sera découverte avant même de passer les portes du palais d’Aldonya.

Thelma posa une main sur l’épaule de Lyra et l’autre sous son menton, l’obligeant à relever son visage vers elle.

— Tu es encore plus courageuse que je ne le pensais. Ou bien, tu es simplement désespérée. Mais j’adore ça ! s’émerveilla Thelma. Lyra Merryweather, selon ta volonté, tu es à présent une arme de la Couronne. Tu partiras pour Aldonya lorsque nous aurons reçu ton invitation pour l’anniversaire de Jude de Lior. D’ici là, tu resteras dans l’une des chambres du château, sous surveillance. Jusqu’à ce que tu me prouves que je peux te faire confiance, ton père restera en prison, vivant. À partir de maintenant, Ambrume n’a plus de dette envers toi.

Lyra les remercia d’une révérence, attendant le départ des reines pour se relever. Le passage de ses larmes laissait un sillon humide sur ses joues rondes. Il était loin le sourire franc et rieur de la conteuse de Rivermoore.

C’était trop. Il ne pouvait pas la laisser faire ça ! Il empoigna les épaules de Lyra et la tourna vers lui.

— Tu es folle de faire ça ! Ils vont tout comprendre. Lyra, tu sautes à pieds joints dans la gueule du loup !

D’un coup sec de l’épaule, elle se dégagea de la poigne de Kayden. Les lèvres serrées, elle luttait contre une rage dévastatrice. Ses mains étaient prises de tremblements.

— Je ne savais pas que nous étions proches au point de nous tutoyer, grogna-t-elle finalement.

Dans la panique, ça lui avait échappé. Lyra ne voyait plus que le Renard doré. Kayden avait disparu de son cœur. Le capitaine de la garde essaya de reprendre une certaine constance. C’était peine perdue. Désormais, c’est dans ses yeux que Kayden sentait les larmes monter.

— Une vie pour une vie, murmura-t-il, la gorge serrée. Lyra… C’est injuste ! Tu… Vous ne devriez pas être punie pour les crimes de votre père !

Il eut tout juste le temps de voir la fureur incendier les yeux de la jeune femme. Avant l’impact de la main de Lyra.

La gifle partit si vite, qu’il ne put empêcher son geste. De toute façon, il n’avait aucune envie de l’arrêter. Il méritait toute sa haine et tout son dégoût. Après tout, il était le chien de la reine.

En tombant au sol, le masque du Renard doré répercuta un bruit métallique dans la petite salle du tribunal.

— Tout ça… Tout ce qui m’arrive est votre faute ! hurla-t-elle à Kayden. C’est pour ça que vous avez été envoyé chez moi ? Pour me surveiller ! Démasquer la trahison de mon père ! Détruire ma famille ! Félicitations, Renard doré, vous avez bien fait votre travail… Et moi qui commençais à…

Elle se tut, reprenant sa respiration après avoir tant crié. Puis, elle le considéra gravement. La paume de sa main avait rougi. Elle avait dû frapper fort. Le masque avait amorti le coup, ce qui fit qu’il n’avait rien ressenti. Physiquement, du moins.

La douleur devait la lancer.

— J’imagine que je reprends la chambre qui m'avait été confiée lorsque j’étais une invitée. J’attendrais sagement les ordres, comme la bonne arme d’Ambrume que je suis, cracha-t-elle.

— Lyra…

— Non. Je ne veux plus ni vous voir, ni vous entendre, souffla-t-elle, avant de partir à son tour.

Se faire tirer dessus par une flèche et tomber dans l’eau glacée par une nuit d’hiver était une sensation mille fois plus agréable que de se faire détester par Lyra Merryweather.

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