Chapitre 30 (Réécrit)
Les appartements de Lysandre aux palais de Polaris étaient somptueux. Un peu comme tout le palais lui-même, d’ailleurs. Sculptures gigantesques, tableaux grandioses, statues plus vraies que natures, la demeure de son altesse Jude de Lior n’avait décidément rien à voir avec le château de Silverthrown. Tout y était plus ostentatoire, plus massif, plus intimidant, plus…, plus… Juste plus.
Lyra avait déjà du mal à mentir à un pays entier, maintenant, en plus de ça, elle se sentait minuscule. Son égo en prenait un coup depuis qu’elle avait commencé son nouveau loisir d’espionne. Certains font de la pâtisserie. D’autres se mettent au jardinage. Lyra, elle, devenait une délatrice. Ce n’était pas vraiment ce qu’elle imaginait comme évolution de carrière.
Lysandre avaient fait venir des domestiques pour emmener les affaires de Lyra dans la chambre qui lui avait été allouée. Chambre qu’elle aurait aimé visiter après un si long voyage. Le duc de Lomond en avait décidé autrement. Et pour le bien de sa mission, elle ne pouvait refuser une invitation au thé. Adieu sommeil réparateur dans un lit aux draps de soie.
C’est ainsi que Lyra s’était retrouvée assise sur le sofa du beau Lysandre, une tasse de thé fumante dans la main, les cernes aux yeux et une migraine pointant le bout de son nez. Voilà comment elle allait devoir le séduire… C’était pas gagné.
— J’espère que le voyage n’a pas été trop pesant, s’enquit Lysandre après une gorgée dans sa tasse d’or et de porcelaine.
Même la vaisselle était plus délicate que celle de Silverthrown. Leur rivalité n’avait donc pas de limite ?
— Un peu long, mais je mets cela sur mon envie hâtive de découvrir Aldonya et ses richesses artistiques.
— Je ne peux que vous comprendre, souffla le duc. Bien que j’ai apprécié mon séjour dans votre royaume, je dois avouer que le palais me manquait. Mes appartements, mes petites habitudes…
Lyra prit une gorgée à son tour. Elle réprima une grimace. La boisson manquait de sucre, et de goût. Si seulement Landry était là pour lui servir ce thé dont lui seul avait le secret. Et Madeleine avec ses gaufres. Le duc avait raison, les petites habitudes ont la vie dure, et elle avait déjà le mal du pays.
Ses ongles pianotèrent contre la porcelaine, émettant des cliquetis aigus. Elle devait faire la conversation, mettre son plan à exécution. L’enjôler. Mais une boule se formait au fond de sa gorge. Ses paupières papillonnaient en même temps qu’elles dispersaient ses pensées. Et son esprit refusait de se concentrer sur leur discussion.
— Je vous retiens alors que vous devez être épuisé, je fais un hôte impitoyable.
— Oh, non ! Ne vous en faites pas, je suis ravie de prendre le thé en votre compagnie. J’aurais tout le temps de me reposer cette nuit. Permettez-moi de rester encore avec vous, répliqua-t-elle, une moue de détresse sur les lèvres.
Heureusement qu’elle n’avait pas besoin de réfléchir, les mots sortaient d’eux-mêmes. Maintenant, il fallait juste qu’elle se rappelle ce qu’elle disait.
— J’imagine que vos journées ont dû être plus que mouvementées depuis le soir de notre dernier bal. À Silverthrown, je veux dire. Après tout, vous êtes la sauveuse du célèbre Renard doré. La Cour ambrumienne n’a pas dû vous lâcher d’une semelle.
— Co… Comment le savez-vous ?
Lysandre se mit à rire devant l’air surpris de la conteuse. Il fit danser ses jambes l’une sur l’autre avec grâce. Son sourire en coin fit apparaître sa parfaite fossette. Lysandre de Lomond avait l’aura de ceux qui aiment avoir du pouvoir sur ses interlocuteurs. Lyra reconnut immédiatement le même air fier et suffisant qu’avait emprunté Opale de Lomond lors de leur dernier échange. Pas de doute, il était bien son fils. Ce qui faisait de lui un adversaire aussi séduisant que redoutable.
— Mais, voyons, très chère. Tout le monde est au courant ! Vous avez débarqué avec le Renard doré aux portes du château, trempés jusqu’aux os. Certains nobles vous ont vu à travers les fenêtres. La rumeur n’a pas mis longtemps à se répandre. Notre altesse a encore plus souhaitée vous rencontrer. Iel est passionné.e par les mystères qui entourent votre capitaine de la garde.
Ses yeux gris transpercèrent Lyra de part en part. Elle avait déjà entendu parler du coup de foudre. Elle était sûre que cela ne ressemblait pas à cela. Le coup de foudre définissait un amour au premier regard. Une sensation si puissante et suffocante que vous aviez l’impression d’avoir été frappé par un éclair de bonheur en plein cœur. Là, le cœur de Lyra battait tout aussi vite. Mais ce n’était pas de l’amour. C’était de la peur.
— Il n’est pas mon capitaine… Enfin, je veux dire… Le Renard doré est en effet un homme qui cache beaucoup de secrets. Mais vous devriez dire à son altesse, Jude de Lior, de ne pas perdre son temps à ce genre d’homme.
Cette fois, ce fut au tour de Lysandre de jouer la surprise. Il avança sur son fauteuil, l’oreille tendue, pour se rapprocher des ragots.
— Je suis assez étonné. Vous en parlez avec un certain mépris. Pourtant, vous sembliez assez proche au bal. C'est-il passé un quelconque… drame entre vous ?
Lyra, les deux pieds dans le plat, c’est comme ça qu’on devrait la nommer à présent. Si Lysandre apprenait que la haine de Lyra envers Kayden était en réalité liée à l’emprisonnement de son père, elle perdait sa seule carte en main dans sa mission d'espionnage. Le problème, c'est qu’elle était trop en colère contre le chevalier pour le cacher. Surtout qu’elle était mauvaise menteuse, elle le savait.
Justement ! Pas la peine de mentir. Alors, Lysandre était une commère ? Parfait. Elle pourrait l'utiliser à son avantage.
— Disons qu’il m’a déçu. Il y a bien eu un rapprochement entre nous. Mais au moment où je pensais que nos sentiments étaient réciproques, il s’est enfui. Pas très courageux pour un capitaine, n’est-ce pas ? esquissa Lyra en un sourire.
Lysandre se mit à rire, ce qui fit claquer sa tasse contre sa coupelle. Ses boucles brunes dansaient aux moindres de ses mouvements. Il était aussi différent de Kayden, qu’Aldonya était différente d’Ambrume. Plus expressif. Plus fier. Plus démonstratif. Moins franc, aussi.
Lyra se détesta de penser ça. Mais franc, Kayden l’avait été. Il ne lui avait jamais dissimulé la vérité derrière des mensonges ou des sourires charmeurs. Il ne lui avait juste rien dit. Les paroles de Lysandre, au contraire, semblaient toutes cachées des doubles sens complexes.
— Vous êtes donc en froid avec lui ? Vous savez qu’être en froid avec le capitaine de la garde, c’est être en froid avec ses supérieures.
— J’ai bien d'autres raisons d’être en froid avec ses supérieures.
Elle restait suffisamment évasive pour ne pas passer immédiatement pour une traîtresse contre son royaume, tout en donnant un indice sur sa position par rapport à la Couronne. Si Lysandre connaissait l’histoire de sa famille et qu’il faisait partie de la rébellion de Childéric, alors, il comprendrait.
— Toujours est-il, reprit Lyra sur un ton plus taquin, qu’il ne m’intéresse plus du tout. Une fois qu’on a vu l’homme derrière le masque, le mystère s’évapore.
— Vous m’en voyez ravie.
Lyra ne sut s’il faisait mention de sa rancune factice envers Thelma ou de sa réelle indifférence pour le Renard. Dans les deux cas, c’était bénéfique pour elle.
Va dire à ta mère que je suis de votre côté. Fais-moi entrer dans votre cercle. Libérez vos secrets et je délivrerai mon père.
— Quel spectacle avez-vous prévu pour demain soir ? J’espère que vous n’avez pas lésiné sur les moyens. Son altesse a la critique acerbe.
— Vous devriez avoir plus confiance en moi, Lysandre. Après tout, vous connaissez déjà les talents de la conteuse de Rivermoore.
Il la désarma d’un haussement de sourcil. Comment pouvait-on être aussi beau ?
Un domestique toqua à la porte et entra sans attendre d’y être invité. Un plateau en argent posé sur une main, il le présenta au duc. Ce dernier saisit une lettre cachetée qui reposait dessus. D’un mouvement de la main, il pria le domestique de s’en aller.
— Vous conversez avec beaucoup de monde, monsieur le duc ?
— Ce sont des informations internes qui circulent au palais. Rien de bien palpitant, croyez-moi.
Il cassa le sceau des deux pouces avant de se plonger dans la lecture. Son visage avait revêtu un masque de neutralité. Impossible pour Lyra de déterminer si le contenu du pli avait un lien avec Childéric, avec son arrivée à elle ou avec simplement le menu du dîner.
Après quelques secondes, Lysandre froissa la lettre en boule et la jeta au-dessus de la tête de Lyra. La balle de papier alla directement se nicher dans une corbeille, sans un bruit. Un tir parfait.
Annotations
Versions