Chapitre 34 (Réécrit)
De là où se situaient les gardes, ils ne distinguaient que deux personnes en pleine séance de… de démonstration affective intense.
Ils devaient penser être tombés sur un couple particulièrement fougueux qui avait abandonné la piste de danse pour se trouver un coin tranquille et intime. C’est du moins ce qu’essayait de leur faire croire Lyra.
Elle arrêta de jouer avec les cheveux de Kayden et tourna son visage masqué vers les deux gardes. De sa voix haut perchée, la même qu’elle avait utilisée pour parler avec Lysandre il y a quelques minutes, elle s’écria.
— Voyons, mon cœur ! Je t’avais bien dit qu’il ne fallait pas faire ça ici, gloussa-t-elle en faisant mine d’être gênée. Excusez-nous, messieurs, mon fiancé est très… empressé. Nous ferons nos petites affaires ailleurs !
Et elle termina sa phrase par un rire aigu tout en tapant l’épaule de Kayden. Ce dernier tournait toujours le dos aux deux gardes. Si la situation n’était pas aussi dangereuse et qu’elle ne lui en voulait pas autant, elle aurait ri devant son visage déconfit. Sa bouche entrouverte lui donnait des airs de poisson hors de l’eau. Il avait beau la fixer, il semblait absent, comme si son âme avait quitté son enveloppe corporelle. Et malgré l’obscurité, Lyra distinguait sans problème le teint rouge pivoine qui tentait sa peau.
Ce n'était quand même pas le fait de l’avoir qualifié de « fiancé » qui le mettait dans cet état ? Ni leur faux baiser ? Leurs lèvres ne s'étaient même pas rencontrées. Enfin, celles de Kayden avaient embrassé le masque de porcelaine de Lyra, c’est tout. Ce n’était pas comme pendant l’attaque, le soir du bal. Là, Lyra l’avait… Mais ça n’avait rien à voir avec un baiser. En tout cas, pas la peine de faire cette tête !
Lyra ferma les yeux pour s’empêcher de repenser à cet instant. Elle porta le masque du Renard devant le visage de Kayden pour lui indiquer de le remettre maintenant. Puis, elle se plaça devant lui afin de garder toute l’attention des gardes.
— Vous… Vous n’avez pas le droit d’être ici, répéta l’homme de gauche.
Tout en triturant les boutons de sa manche, il n’osait pas lorgner vers Lyra. Ses yeux s’attardaient sur le plancher en bois ciré.
— Quel est votre nom, mademoiselle ? demanda ce dernier, d’un ton sec.
Il plissa son nez d’un air sévère, la main sur la garde de son épée. C’est lui qui allait être le plus difficile à convaincre. Mais Lyra en faisait son affaire.
— Oh oui, bien sûr ! Quelle impolie je fais ! s’exclama-t-elle, en posant une main sur son front. Mais où sont mes bonnes manières ? Je suis Lysbeth Agradavel de Chandelskan. De la famille de Chandelskan. Vous devez certainement nous connaître grâce aux commerces de fèves de mon cher papa. Oh mon cher papa ! se lamenta-t-elle soudainement. S’il savait ce que je fais pendant les bals donnés à la capitale, il ne me laisserait plus jamais sortir. Je lui ferai trop honte. Je suis une mauvaise héritière. Il n’a de cesse de me le répéter ! Et ça va être encore pire après ce soir, vous pouvez me croire. Oh messieurs, se mit-elle à chouiner. Je vous en prie, ne dites rien à mon cher papa ! Je ne veux pas rester enfermé dans ma chambre jusqu'à mon cinquième anniversaire ! Quelle horreur ! J’ai encore trop de choses à vivre !
La garde abandonna son épée pour attraper les épaules de la fameuse Lysbeth. Cette dernière imitait à la perfection une crise de larme.
— Allons, mademoiselle. Calmez-vous. Nous ne dirons rien. S’il vous plait, arrêtez de pleurer, la supplia-t-il d’une voix cassée.
— Vraiment ? demanda-t-elle entre deux reniflements.
— Je vous l’assure. Mais retournez dans la salle. On risque de se faire taper sur les doigts si on vous trouve ici.
Lyra se jeta dans les bras du garde.
— Vous êtes un véritable chevalier en armure, monsieur ! Bien sûr, nous y retournons de ce pas. Venez, mon chéri, lança-t-elle à l’attention du Renard. Il est temps que vous m’accordiez enfin cette danse que je vous réclame depuis trop longtemps !
Lysbeth et Kayden furent escortés de prêt par les deux hommes. Ils ne les lâchèrent qu’une fois sûrs que les deux amants s'étaient fondus dans la foule d’invités.
Lyra avait gardé la main du Renard dans la sienne tout le long du trajet. Le cuir de ses gants chauffait sa paume aux moindres de ses mouvements. Une fois près de l’orchestre, elle souffla un grand coup et lui lâcha la main. Il s’en était fallu de peu. Mais au moins, elle avait une nouvelle piste pour trouver des informations. Le violon de Lysandre.
— Vous m’aviez caché votre talent pour le mensonge.
Le ton de Kayden était tranchant. Mais Lyra hésita. Était-il déçu de contacter sa facilité à mentir ? Ou était-il encore sous le choc de leur rencontre avec les gardes ? D'autant plus que c’était faux. Lyra n’avait jamais su mentir. Elle bafouillait, inversait les mots ou rougissait. Le pire était lorsqu’elle révélait la vérité dans un lapsus. Non, elle ne savait pas mentir.
— Ce n’était pas un mensonge. C’était de la comédie.
En effet, elle avait incarné Lysbeth de la même façon qu’elle jouait les personnages de ses contes. Elle lui avait imaginé une personnalité, un passé, une famille. Elle espérait que son interprétation ait autant convaincu les gardes que le Renard.
Elle lui fit une rapide révérence avant d’essayer de s'éclipser. Même si son identité était dissimulée sous ce déguisement de pâte à chou, elle ne devait pas être vue avec lui. Des rumeurs pourraient circuler et arriver aux oreilles de Lysandre, ou pire, d’Opale. Ce ne serait pas bon pour sa mission. Son objectif était toujours d'entrer dans le cercle privé de la première ministre et de récupérer des informations. Elle devait garder les idées claires. Ne pas se laisser distraire, malgré le parfum de feu de bois et de métal de Kayden qui avait accéléré son cœur pendant leur faux baiser.
Sa rage contre le capitaine de la garde et sa peur de perdre son père étaient tout ce qui maintenait Lyra encore debout. Tout ce qui l’empêchait de flancher. Le haïr c’était rester assez forte pour sa famille. Assez forte pour survivre.
Lyra se retourna lorsqu'elle sentit qu’une chose la tenait en arrière. La main de Kayden enserrait son poignet. Il n’avait mis aucune force, à peine une caresse sur sa peau.
— Qu’est-ce que…
— Ne m'avez-vous pas réclamé une danse, plus tôt ?
Elle avait dû attendre d’être dans un pays étranger, en pleine mission suicide, pour qu’il daigne l’inviter à danser. Sérieusement ?
Un rire sarcastique s’échappa des lèvres de porcelaines. Elle arracha sa main de la prise de Kayden.
— Est-ce de cette façon que vous essayez de vous faire pardonner d’avoir brisé ma vie ? Avec une simple danse ? Vous me pensez si niaise ?
D’une grande enjambée, elle se colla contre son torse. Assez proche pour lui chuchoter à l’oreille.
— Je ne vous ai pas dénoncé, car cela m'aurait mise en danger. Mais la prochaine fois, je n'hésiterai pas. Ne m’adressez plus la parole.
Sur ses mots, elle claqua des talons et partit aussi loin de lui qu’elle le pouvait. À chaque noble qui la bousculait, un nouveau coup de poignard lui martelait le ventre. La musique lui donnait mal à la tête. Et les larmes montaient d'elles-mêmes.
Finalement, elle était peut-être meilleure menteuse qu’elle ne le pensait. Car la première qu’elle arrivait à berner était elle-même.
Lyra contempla les danseurs dans leurs beaux costumes. En haut de son balcon, Jude dansait toujours au rythme des musiciens. Pas une once de fatigue ne creusait son visage juvénile. La fête allait encore être longue…
Annotations
Versions