Chapitre 35 (Réécrit)

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Le réveil était douloureux. Des mini danseurs de claquettes martelaient le crâne de Lyra avec leurs petites chaussures aux semelles métalliques. Plus sa bouche anesthésiée au champagne, il ne fallait pas être un génie pour comprendre que la soirée de la veille avait été arrosée.

Elle se souvenait vaguement d’avoir descendu plusieurs flûtes. Elle avait également accepté plusieurs danses, dont une avec la pieuvre. Enfin, elle espérait que ça se soit vraiment passé et que ce n’était pas une illusion due à l’alcool. Bien qu'éméchée, elle avait maintenu son rôle de Lysbeth avec le professionnalisme d’une comédienne. Elle se rappelait encore la tirade dithyrambique qu’elle avait sortie à un groupe de jeunes nobles, concernant les fèves bidules-chouettes et leur effet aphrodisiaque. Elle était certaine qu’une bonne partie de la noblesse de Polaris allait s’arracher les cheveux à force de chercher inlassablement un aliment imaginaire.

Il fallait qu’elle arrête les boissons avec des bulles ainsi que les petits fours au saumon, ça ne lui réussissait pas. Le miroir de plain-pied qui faisait face à son lit lui renvoya l’image d’une femme fatiguée et cernée, au teint aussi brouillé que les œufs que Madeleine lui préparait au château de Silverthrown. Elle était bien loin de l'image parfaite de la conteuse de la veille. En se grattant la tête, elle ressortit de ses cheveux emmêlés une barre beige et croustillante. Comment ce gâteau aux graines de sésames avait atterri là ?

Alors qu’elle s’apprêtait à replonger dans ses draps pour profiter d’une bonne sieste après sa nuit, les domestiques qui l'avaient préparé la veille firent irruption dans sa chambre. Elles levèrent Lyra à bout de bras et commencèrent à s’agiter autour d’elle. Pendant que l’une brossait les cheveux de la conteuse, une autre lui enfilait une robe, une encore lui passait une serviette humide sur le visage et une dernière la paraît de bijoux. Toutes quatre répétaient en boucle : « En retard. En retard. Nous sommes très en retard ! »

Et avant même que Lyra n’ait le temps de leur demander la raison de cet affolement, elle était déjà prête. Dans le miroir se tenait à présent une jeune femme aussi éclatante qu’elle l’avait été le soir du bal. Une robe aux nuances de bleu et de lavande cintrait sa taille et ses hanches. Sa bouche et ses yeux avaient pris une teinte d'un rose gourmand. Son cou et ses oreilles étaient habillés de fins bijoux en or blanc. Pour finir, ses cheveux avaient été attachés en une lourde natte qui pendait sur son épaule gauche.

Si Lyra n’avait pas peur de détruire son maquillage, elle se serait frottée les yeux. Ses femmes avaient des doigts de fées. La conteuse avait déjà entendu parler des marraines les bonnes fées qui, d’un coup de baguette magique, transformaient les paysannes en princesses, mais elle ne pensait pas qu’elles existaient réellement.

— Merci, leur souria-t-elle. Je ne peux qu’avouer être magnifique grâce à vous.

Les domestiques rougirent au compliment de Lyra et deux d’entre elles piaffèrent comme des poussins.

— Qu… Qu’est-ce que c’est ? demanda Lyra en apercevant dans son reflet une broche piquée à la naissance de sa natte.

Elle savait pertinemment ce que c’était. Elle avait admiré cette décoration sous toutes ses coutures. Un peigne à cheveux blanc, représentant des perces neiges. Un cadeau du Renard. Un cadeau empoisonné. Que faisait-il là ? Elle était persuadée de l'avoir laissée à Silverthrown.

— C’est un peigne, mademoiselle, commença l’une des femmes de chambre. Nous l’avons trouvé dans vos affaires. Il se marie à merveille avec vos bijoux. C’est un très bel objet que vous avez.

— Retirez-le, s’il vous plaît. Je ne l’aime pas, déclara Lyra en déviant son regard de son reflet.

Le peigne pesait trop lourd. Elle ressentait sa présence comme si une chape de plombs s’abattait sur elle. Avoir ça, c’était l’avoir lui à ses côtés. La veille était déjà de trop pour Lyra. Le revoir. Entendre sa voix. Le sentir si proche d’elle…

— Nous n’avons plus le temps, renchérit la plus âgée des femmes. Notre altesse vous attend pour son déjeuner. Nous sommes déjà en retard.

Le déjeuner. Lyra se rappelait maintenant l’invitation de Jude. Ne voulait-iel pas qu’elle conte pour ses invités ? Elle n’avait rien préparé. Rien ne lui venait en tête. La fatigue prenait possession de son corps et de son esprit. Et si on lui servait encore le moindre saumon, elle rendrait les restes des petits-fours du bal.

Un garde vint la chercher pour la conduire à la salle de réception. Le corps de Lyra se raidit en le voyant. C’était l’un des soldats qui l’avait retrouvé dans la chambre de Lysandre avec le Renard. Le plus timide. Il n’eut pas l’air de la reconnaître (fort heureusement) et la guida sans un mot.

Sur tout le chemin, Lyra essaya de retirer le peigne, mais ce satané bijou restait accroché à ses cheveux comme une moule à son rocher. Les femmes de chambre avaient un peu trop bien fait leur travail au goût de la conteuse.

Finalement, ils arrivèrent devant une porte qui s’ouvrit d'elle-même lorsque Lyra lui fit face. Un petit homme chauve avec une monture de lunettes gigantesque la pria d'entrer.

Assis autour d’une longue table rectangulaire, Jude de Lior présidait le repas. D’un rapide coup d'œil, Lyra reconnut Lysandre, sa mère, Opale de Lomond et une autre noble avec qui elle avait échangé au bal. Elle s’était costumée en abeille. Lyra eut envie de rire en se remémorant les deux antennes plantées dans sa perruque d’un jaune jonquille zébré de lignes noires.

Deux autres nobles, que Lyra ne connaissait pas, la saluèrent d’un mouvement de tête élégant. Et pour finir, il y avait le Renard doré. Assis à la gauche de Jude. Évidemment qu’il était là. À croire qu’il la suivait partout. Lyra ne connaissait pas encore la raison de sa présence ici, mais elle était persuadée qu’il ne lui faisait pas confiance. Il devait la surveiller afin de faire son rapport à Thelma sur la fidélité de la plus jeune des Merryweather. Elle avait encore plus envie de s’arracher le peigne des cheveux. Et de le lui lancer en pleine figure par la même occasion.

Le domestique, qui avait ouvert la porte, invita la retardataire à s’installer sur le dernier siège libre. Celui à côté de Lysandre. Celui qui faisait face au Renard. C’était une blague ? Ou alors Jude la testait.

— Ah notre chère conteuse ! s'exclama-t-iel. Mes invités vous ont trouvé resplendissante hier, pas vrai ?

Son verre de vin dans la main, une serviette de table dans l’autre, iel riait à gorge déployée. Ses joues étaient rougies par l’alcool et ses yeux brillaient plus que d’ordinaire. Ils n’avaient pas attendu Lyra pour boire.

Les convives affirmèrent en lançant des sourires à Lyra. Opale commença une analyse détaillée de la prestation de la conteuse. D’une oreille distraite, Lyra riait poliment aux commentaires de la première ministre.

Lysandre prit la relève et la noya de compliments à son tour. Ils s'étaient passé le mot ces deux-là. Bien qu’elle répondait à Lysandre, Lyra ne parvenait pas à le regarder dans les yeux. Elle ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qu’il s’était passé dans sa chambre, avec le Renard. Renard, dont le masque ne cessait de la fixer.

Lysandre était-il réellement un partisan de Childéric ? Il semblait si gentil. Si honnête. Il était apaisant. Lyra se sentait bien en sa présence. D’un autre côté, sa mère aussi ressemblait à un sujet modèle. Pourtant, il était plus que probable que ce soit elle la première impliquée dans ce coup d'État.

Mais Lyra avait encore besoin de preuves.

Elle déglutit avec difficultés. Il faisait une chaleur harassante dans la salle de réception, sans doute à cause du feu qui flambait dans l'imposante cheminée derrière Jude.

Dehors, la pluie battait contre les fenêtres. Le ciel, d’un gris sombre, obscurcissait l’intérieur du palais. Si ce n’était pas le déjeuner, on aurait pu penser qu’il était une heure avancée de la soirée.

Lyra était déçue. Elle aurait aimé voir la célèbre neige d’Aldonya. Le royaume du nord n’était pas baptisé ainsi pour rien. Il était fréquent que de la neige tombe à cette période de l’année. Lyra avait toujours souhaité voir le monde recouvert de ce manteau d’un blanc pur. Quelques flocons tombaient parfois à Rivermoore, mais le climat ne se prêtait pas à faire tenir la neige.

Ses yeux papillonnèrent. Elle réprima un bâillement. Non ! Ce n’était pas le moment de somnoler. Mais il faisait si chaud et le bruit de la pluie ainsi que les discussions la berçaient. Elle n’avait pas assez dormi cette nuit.

Les autres autour de cette table avaient également fait la fête jusqu’au bout de la nuit. Comment faisaient-ils pour être aussi frais ?

Lyra n’eut pas le temps de se poser d’autres questions qu’une domestique posa devant elle une cloche en argent. Une fois tout le monde servi, les domestiques soulevèrent les cloches à l’unisson.

— Ah, lança Jude avec satisfaction en se frottant les mains. Renard, je suis ravie que vous puissiez goûter à notre spécialité ! Les célèbres poires au foie gras de Polaris ! Vous m’en direz des nouvelles. Et vous aussi, Lyra, ce doit être la première fois que vous mangez un tel mets.

Iel avait beau avoir parlé à Lyra, toute son attention était concentrée sur le Renard. Jude ne le lâchait pas d’une semelle. Le capitaine de la garde, égal à lui-même, répondait par monosyllabe sur un ton neutre.

Il ne ressemblait plus à l’homme qui lui avait demandé une danse. Encore moins à celui qui avait rougi jusqu'aux oreilles, collé contre elle, à la lueur de la lune.

Lyra se reconcentra sur son assiette. La présentation, digne d’un véritable artiste culinaire, était splendide. La poire avait été sculptée en forme de cygne. On distinguait clairement dans la chair blanche et granuleuse du fruit le long cou gracieux de l’animal surmonté d’une fine tête. Ainsi que les ailes déployées qui protégeaient la rondelle de foie gras. Et autour de l’oiseau, comme l’ondulation d’un lac, serpentait une confiture de figue.

Malgré des étoiles plein les yeux, Lyra redoutait le goût. Le sucré-salé n’a jamais été sa tasse de thé.

Au moins, ce n’était pas du saumon. Ni du champagne. Et encore moins du saumon à la sauce de champagne. Rien que de l’imaginer, elle en avait mal au ventre.

Les autres invités et Jude, paré de leurs couverts, piquèrent dans le pauvre oiseau en fruit. Même le Renard, qui faisait glisser sa fourchette sous son masque, mangeait avec appétit.

Lyra ferma les yeux et porta un morceau à sa bouche, s’apprêtant à être écœurée.

Le goût, légèrement sucré, était d’une douceur semblable aux câlins de mille édredons en plumes de cygne. Lyra n’avait jamais touché un tel duvet, toutefois elle était persuadée que la sensation devait être similaire. Le foie gras fondait sur sa langue. Et la confiture de figue relevait le tout en une note plus acidulée. Un pur régal. En son for intérieur, elle était catégorique, elle n’avait jamais rien goûté d’aussi bon de toute sa vie. Même le pain perdu de Marie ou les gaufres de Madeleine ne pouvaient rivaliser face à un tel génie culinaire.

C’était peut-être aussi dû à l'alcool de la veille, mais elle en aurait presque pleuré.

Lyra eut tout de même une pensée pour Maximilien. Le gérant du Cochon grillé serait tellement déçu s'il savait. Elle se promit de retourner manger dans l’auberge de son ami dès qu’elle rentrerait. Si elle rentrait.

Il ne fallut pas longtemps pour que les assiettes soient vidées et saucées. Les domestiques débarrassèrent l’entrée et partir en direction des cuisines, sans doute chercher le reste des plats.

— En attendant la suite, déclara Jude. Lysandre. Nous feriez-vous l’honneur d’un morceau de violon. Cela fait longtemps que je n’en ai pas profité de votre talent. J’aimerais constater vos progrès. Vous savez, dit-iel en se tournant vers le Renard. C’est moi qui lui ai tout appris. Bon, le duc à rapidement pris en main l’instrument et j’ai bien peur qu'aujourd'hui il soit meilleur violoniste que moi.

— Voyons, votre altesse, il n’y a pas meilleur musicien que vous sur tout le continent. Et même si je me débrouille avec un violon, je suis loin de savoir jouer d’autant d'instruments que vous, complimenta Lysandre en prenant l’étui que lui tendait son domestique. Mais je me ferai une joie de vous divertir.

Pendant qu’il ouvrait l’étui, Lyra en profita pour jeter un coup d'œil à l’intérieur. Il n’y avait rien. Un simple fond en satin rouge. Ce ne pouvait pas être aussi facile. L’étui devait posséder un compartiment secret ou bien c’était caché à l’intérieur du violon. C’était forcément dedans. Il le fallait. C’était la seule piste à laquelle elle se raccrochait.

Lysandre se plaça devant la table, de sorte à faire face à Jude. Puis, il posa son menton sur l'instrument et ses doigts caressèrent les cordes. La façon dont le duc tenait son violon prouvait son affection pour la musique. Ses mouvements étaient délicats. Plus délicat encore que toutes les fois où il avait dansé avec Lyra ou qu’il lui avait pris la main. Les sourcils froncés par la concentration et les lèvres pincées, il commença à faire vibrer les cordes sous son archet.

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