Chapitre 39 (Réécrit)

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— Nos discussions plus intimes m’avaient manqué, avoua Lysandre de Lomond avant de croquer dans un petit croissant. Bien que j’apprécie toujours une bonne fête, surtout celle de notre altesse, un échange avec vous est de loin mon activité préférée.

— Vous allez me faire rougir, répondit aimablement Lyra. Il est vrai que vous semblez à votre place dans toutes ces festivités. Ce doit être une habitude lorsqu’on est le fils unique de la première ministre.

Pour toute réponse, Lysandre haussa les épaules.

Lyra ne savait plus que dire. Elle avait été emmenée ici, engoncée dans une robe bien trop serrée et parlait de la pluie et du beau temps. À chaque fois qu’elle essayait d’engager la conversation en mentionnant d’Opale de Lomond, le duc changeait de sujet ou haussait les épaules en silence. Et si Lyra continuait à le questionner sur sa mère, elle éveillerait ses soupçons.

Le nez dans sa tasse, elle laissa ses yeux naviguer à travers les quatre coins de la chambre. Le liquide opaque traversa la barrière de ses lèvres. Lyra réprima une grimace. Ce thé n’avait aucune saveur, et il refroidissait trop vite. Enfin, c’est tout ce qu’elle pouvait se permettre d’avaler. Si elle n’avalait ne serait-ce qu’une bouchée de la moindre gourmandise présente sur la table, les baleines de son corset exploseraient.

Pour en revenir à la chambre, Lyra trouvait que quelque chose était différent depuis la dernière fois. Outre le fait que cette fois, il faisait jour et qu’elle n’était pas accompagnée du Renard, les appartements de Lysandre étaient bien mieux rangés. Pas de partitions éparpillées au sol, pas de parchemin arraché, pas de plumes à la mine brisée.

Le violon.

Même si son cerveau lui hurlait d’abandonner cette piste. Son instinct, lui, tournait en boucle sur cet instrument. Mais elle avait beau regarder, il n’y avait aucune trace de l’étui.

— En parlant de vous faire rougir, poursuivit Lysandre, une lueur taquine dans ses iris gris. Avez-vous eu vent des rumeurs concernant notre relation ?

— Ne m’en parlez pas ! Je reviens tout juste d’une séance de commérage avec mes femmes de chambre, plaisanta Lyra. Visiblement, je n’ai pas été assez discrète quant à mes sentiments à votre égard. Oups !

Elle plaqua une main contre sa bouche, comme si elle avait révélé une information qu’elle ne souhaitait en aucun cas divulguer.

— Oh, non, ce… Je ne voulais pas… baragouina-t-elle, tout en jouant l’embarras et une timide naïveté.

— Mademoiselle Merryweather, venez-vous de m’avouer vos sentiments ? demanda Lysandre en s’asseyant à côté d’elle.

— Que je suis sotte !

— Vous êtes la plus belle des sottes, si vous voulez mon avis, répondit le duc en approchant son visage de celui de Lyra.

Un fin espace séparait leurs lèvres. Lyra eut un mouvement de recul. Son corps avait bougé tout seul. Tout comme ses doigts qui étaient venus se placer sur la bouche de Lysandre. Elle se ressaisit en tournant la tête.

— Je voulais vous faire une véritable déclaration. Bien plus romantique. Je suis tellement désolée. Pour être honnête avec vous, continua-t-elle en prenant les mains de Lysandre dans les siennes, je vous ai aimé dès le premier regard au bal d’Hiver de Silvertrhrown. Et hier, quand je vous ai entendu jouer du violon… Votre mélodie m’a fait vous aimer plus encore. C’est la raison pour laquelle j’ai eu les larmes aux yeux. Mes sentiments pour vous ont explosé à l’intérieur de mon être.

— Hé bien, si vous voulez mon avis, ça, c'est une déclaration comme rarement j’en ai entendu. Je vais avoir du mal à rivaliser. Mais je vais tout de même essayer, lui confia-t-elle avec un clin d'œil.

Il se leva et alla dans une autre pièce, accolée à ses appartements. Il revint rapidement, son étui de violon dans les bras.

— Comme vous appréciez tant ma musique, laissez-moi me déclarer de cette façon.

Sur ses mots, il ouvrit la boîte et en sortit son violon ainsi qu’une partition tâchée et raturée. Il plaça l’instrument sous son menton et, les paupières closes, commença à jouer.

Pour la deuxième fois, Lyra fut transportée hors de son corps. Ce n’était pas humain de créer une telle symphonie de sons et d’émotions. Elle se sentait en transe. Ses propres yeux luttaient pour rester ouverts. Elle devait rester concentrée. Il ne lui restait plus qu’à trouver une excuse pour se retrouver seule dans la chambre et faire ses recherches tranquillement. Plus elle essayait de se concentrer, plus sa tête devenait cotonneuse. Elle était bien ici. Le canapé était confortable et il faisait bien chaud. Personne ne lui en voudrait de faire une petite sieste. Et puis Lysandre était là pour la protéger.

La porte de la chambre s’ouvrit et laissa apparaître un domestique, transportant une missive sur un plateau d’argent. Surpris, Lysandre fit grincer l'archer sur les cordes du violon, ce qui eut pour effet immédiat de réveiller Lyra en un sursaut.

— Ne vous a-t-on jamais appris à frapper ! réprimanda Lysandre. J’avais demandé à ce que personne ne vienne me déranger.

— Je suis navré, monsieur, mais c’est important, répondit le domestique d’un ton neutre.

Lyra se frotta les yeux. Cette voix. Elle avait l’impression de l’avoir déjà entendu. Il lui fallut un effort colossal pour se concentrer. Une silhouette longiligne. Des cheveux blonds coupés en carré. Un visage fin aux pommettes saillantes.

Lysandre s’empara de la missive d’un geste vif. Ce qu’il dut y lire l’énerva encore plus, car il chiffonna la lettre dans un râle.

— Je dois m’absenter. Mais je n’en ai pas pour longtemps. Attendez-moi sagement ici, et nous pourrons reprendre là où nous en étions, promit le duc en baisant la main de Lyra.

D’un regard sévère vers le domestique, il s’en alla à grande enjambée.

— Alphonse ? C’est toi ? demanda Lyra, la bouche pâteuse.

— Lyra ? Est-ce que tout va bien ?

— Oui, juste un peu de fatigue. Mais que fais-tu là ?

Pendant qu’elle parlait, elle se releva, mais faillit retomber sur le canapé. Heureusement, Alphonse réagit assez vite pour la rattraper et la soutenir.

— Ça n'a pas l’air d’aller, constata-t-il en chuchotant. Je suis venu, car le capitaine m’a demandé d’aller voir ce que te voulait le duc. Est-ce qu'il était en train de… te faire la cour ?

— En quelque sorte. Mais tu as bien fait, tu es ma parfaite diversion, indiqua Lyra en reprenant ses appuis.

Elle voulait lui dire de regarder dans l’étui, mais sa langue s’engourdissait et le souffle lui manquait. De son côté, Alphonse jetait des regards inquiets vers la porte.

— Je n'ai pas beaucoup de temps, si le duc revient et me trouve encore ici, il va trouver ça étrange. Je ne suis censé être qu’un coursier.

C’est pour ça qu’il était habillé de cet étrange accoutrement rouge et guindé. Pratique pour récupérer les informations circulant en interne au sein du palais. Lyra plissa des yeux en l’analysant. L’uniforme bleu de la garde de Silverthrown lui allait définitivement mieux au teint.

— Damien aussi est au palais, déguisé en garde. On se faisait trop de soucis pour toi. On ne pouvait pas rester les bras croisés. Il faut vraiment que j’y aille, es-tu sûr que tu n'as pas besoin d’aide ?

Lyra était contente de revoir le visage familier d’Alphonse. Elle l’enlaça. Alphonse lui rendit son étreinte. Il était tellement grand qu’il pouvait poser son menton sur le haut du crâne de la jeune femme.

— Je vais bien, répondit-elle. Je suis sur le coup.

Alphonse hocha la tête puis reparti aussi vite que possible.

Il n’y avait pas de temps à perdre. Lyra fondit sur le violon. Elle passa sa main sur le bois de l’instrument. Elle laissa son toucher l'alerter du moindre creux, de la moindre aspérité qui pourrait révéler une cachette. Elle bougea les clés, fit retentir les cordes. Rien.

Elle se concentra ensuite sur l’étui. Comme la veille lors du déjeuner, à première vue, il était vide. Un étui, tout ce qu’il y a de plus simple, recouvert d’un velours rouge. Lyra tâta le fond. Elle sentit que le côté droit était plus bombé. Elle trouva une poche dans la doublure et y glissa sa main.

Elle sentit un papier lui piquer le bout du doigt.

Faux espoir. Ce n’était qu’une énième partition. Son instinct l’avait trahi. Lysandre ne cachait rien dans son violon. Elle était revenue au point de départ. Et vu l'enchaînement des évènements, elle serait bientôt mariée au duc, prisonnière à jamais du palais de Polaris.

Elle avait l’impression que son cœur battait au ralenti. Sa tête redevenait lourde. Et elle avait terriblement soif.

Alors qu’elle refermait l’étui, un souvenir lui revint en mémoire. Sa sœur Obélia était une professionnelle pour dissimuler des objets aux yeux de ses parents. Une fois, elle avait réussi à cacher le tambour à broder de leur mère pendant plus d’un mois et demi. Ce qui leur avait évité les séances hebdomadaires de point de croix, avant que madame Merryweather n’en rachète un.

— Les gens s’arrêtent toujours au deuxième obstacle. C’est pour ça que je cache mes dessins de nu sous la première cachette. Si des gens farfouillent dans mon tiroir à dessins, ils pourraient facilement trouver le faux plancher. Je n’y cache donc rien de bien intéressant. Pour eux, ils ont trouvé la cachette. Mais en réalité, il y a un autre compartiment juste en dessous. C’est là que je mets les croquis les plus intéressants. Je suis sûr que papa et maman ne les trouveront jamais. Et si tu leur racontes, gare à tes fesses, Lyra !

Une deuxième cachette.

Lyra replongea la main dans la poche interne. Encore une fois, elle concentra son attention sur les sensations au bout de ses doigts. Tout au bout de l'ennui, elle sentit une autre poche. Comme si le tissu avait été effiloché, abîmé par une trop grande utilisation. Ses doigts passèrent tout juste à travers le trou. Cette fois-ci, elle récupéra plusieurs papiers.

Lyra n’en revenait pas. Elle avait sorti des plans avec les positions de la garde d’Aldonya, des troupes de Childéric et des repères des défenses de la frontière d’Ambrume. Il y avait également des lettres et des messages codés. Elle avait mis la main sur une mine d’information !

Au loin, elle entendit des pas claquer sur le sol. Elle plia et rangea tous les documents dans son corset. Elle dut retirer tout l’air de ses poumons, ne serait-ce que pour y glisser un doigt. Elle commençait à voir des étoiles dans son champ de vision.

Chancelante, elle se releva pour retourner s’asseoir à sa place, comme si de rien n’était. Elle ferma les yeux pour faire stopper le balancement du sol sous ses pieds.

Si seulement la pièce pouvait arrêter de tourner autour d’elle. Si elle pouvait réussir à reprendre son souffle. Une simple petite inspiration. Mais le corset était trop serré.

— Lyra ? l’appela une voix lointaine.

Satané corset !

— Bonne nuit, petit oiseau, souhaita une deuxième voix.

Puis tout devint noir.

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