Chapitre 33
Des hommes et des femmes que Lyra avait déjà croisé dans les couloirs du palais ou lors de la représentation musicale de Jude de Lior étaient assemblés autour d’une table circulaire. En face d’elle officiait Opale de Lomont, première ministre, duchesse et mère de Lysandre. Lyra avait plusieur fois échangé avec cette femme et elle lui avait laissé une première bonne impression. Douce, bienveillante, un tantinet bavarde mais rien de plus normal pour une politicienne. Elle lui avait loué les exploits de son fils pendant bien trois quart d’heure, comme toute bonne mère fière de son enfant.
À présent, l’image qu’elle renvoyait à la conteuse était celle d’une femme aux regard acéré, prête à tout pour faire ployer ses ennemis. Le menton haut, entièrement habillé d’un ensemble bleu nuit surmonté d’un corset et d’une veste de costume sombre, ses cheveux noirs détachés parsemés de mèches blanches, elle était méconnaissable.
- Lysandre tu peux m’expliquer ? demanda-t-elle, un soupçon de menace dans la voix.
- Mademoiselle Merryweather souhaite rejoindre notre cause. Son père a été fait prisonnier, c’est pourquoi nous ne recevions plus ses lettres, mais à présent que nous avons sa fille de notre côté les choses sérieuses vont pouvoir enfin commencer.
Lyra était un peu perdue, mais elle mémorisa chaque visage présent, essayant de se souvenir de noms, de titres, d’affiliations. Une fois dans sa chambre elle décrirait toute la scène, détaillant chaque personne, chaque discussion. Elle pourrait ensuite transmettre les informations à Alphonse, ou encore mieux au Renard directement. Ensuite elle partirait de cet enfer et retournerait chez elle. Elle n’aurait même pas besoin d'exécuter son plan jusqu’au bout, ce qui l’arrangeait beaucoup car la deuxième partie n'était pas la plus amusante.
- Un petit oiseau qui sort donc enfin de sa cage, poursuiva Opale. Comme c’est rafraîchissant. Ton père nous a bien aidé. J’espère que tu en feras de même, demoiselle Merryweather.
Opale avait la même façon de parler que son fils. Un ton enjôleur, caressant, mystérieux et un brin moqueur. Elle n’avait pas bouger de son siège, pourtant son aura se répandait dans la salle, rampant au sol, assombrissant les visages des partisans de Childéric, étouffant Lyra.
Cette dernière hocha la tête de haut en bas.
- Je ferais tout pour, Madame.
- Très bien installe toi alors, lui ordonna la première ministre tout en lui indiquant une chaise vide autour de la table.
Intimidé, la jeune femme s’installa en silence. Les regards tournés vers elle étaient dubitatifs. Elle sentait bien qu’elle n’était pas à sa place, et ils le lui faisaient bien comprendre. Néanmoins cette sensation d’inconfort était bien moins désagréable que sa désolante prestation pendant le dîner avec son Altesse et ses invités.
- Si le lion n’entre pas dans l’arène avant l’éclosion du nouveau soleil, nous aurons trop de retard. Et alors le petit poussin se doutera de quelque chose, déclara une femme dont le visage était masqué par un grand chapeau carmin.
- Peut-être mais la précaution ne vaut-elle pas mieux que la précipitation ? coupa un quinquagénaire moustachu.
Madame de Servalle ou bien de Servay, Lyra avait un doute. Quant à l'homme, elle se souvenait avoir été présentée à lui lors du dîner, un certain Baron Wondler. Elle devait tout retenir de cette entrevue.
Mais elle n’y comprenait strictement rien.
Retiens Lyra, retiens ! Il y a une histoire de lion, de poussin et de nouveau soleil. Mais qu’est ce qu’un félin et une volaille viennent faire dans cette histoire ? Tant pis, tu trouveras un sens plus tard.
- Mais trop de prudence pourrait aussi nous être fatal. Imaginez que le tocsin pernicieux résonne avant que tout ne soit fin prêt, riposta un homme fin au costume aussi sombre que ses yeux. Il jetta un regard en direction de Lyra.
- Le comte Imaq à raison, trancha Opale de Lomont. Cela fait bien trop longtemps que nous attendons, à ne jamais avancer, on ne verra jamais l’ascension du lion. Et je me refuse de l’abandonner plus longtemps.
Le comte Simon Imaq. Lyra ne lui avait pas prêté attention, caché dans un coin de la pièce. L’homme avait tant vieilli depuis sa dernière visite chez les Merryweather, qu’elle avait failli ne pas le reconnaître. Il était un ami de son père, un noble originaire d'Ambrune qui avait fui à Aldonya après l’emprisonnement de l'ancien roi. C’était sans doute par lui que les lettres passaient entre les deux royaumes. Si Lyra avait raison, son père aurait peut-être la vie sauve. Elle devait absolument en informer Kayden.
Et l’ascension du lion … Si le lion était Childéric ? Parlaient-ils du moment où l’ancien roi exilé reviendrait sur le trône d’Ambrune ?
- Vous sentez-vous bien Lyra ? Je vous trouve pâle mon petit oiseau, insista Opale.
- Tout va bien Madame, je vous remercie.
- Alors que pouvez-vous nous dire à propos des reines ? Quelque chose de croustillant et de préjudiciable de préférence.
- Humm, et bien … à vrai dire je ne sais pas trop.
Lysandre, qui avait pris place à côté de la conteuse, lui serra la main violemment. Une manière de dire “Dis quelque chose tout de suite ou attends toi au pire”.
Lyra déglutit difficilement. Tout ce qu’elle savait des reines c’est ce qu’elle avait entendu à la cour, de simples ragots. Elle se rendit alors compte que malgré le temps qu’elle avait passé avec elles, elle ne les connaissait absolument pas. Enfin, si. Une chose lui revint en mémoire.
La relation qui lie le Renard doré aux deux reines était étrange. Bien différente d’une relation chevalier à sa seigneure. Mais si elle leur avouait cela, c’est la vie de Kayden qui serait en danger. Ils le prendraient certainement pour cible. Ironiquement il était la force du royaume d’Ambrune mais la faiblesse de ses dirigeantes.
- Bon, si notre nouvelle recrue n’a rien d’intéressant à nous faire parvenir, je met fin à cette réunion. Partez à présent.
- QUE L’ASCENSION DU LION BROIE LE COEUR D’AMBRUNE, clamèrent-ils d’une même voix, à l’exception de Lyra qui sursauta, surprise par le chœur.
Puis ils se levèrent et se dirigèrent vers la porte. Seule restèrent à leur place Lysandre et les deux gardes postés devant l’entrée.
- Pas toi, dit Opale en maintenant Lyra par l’épaule.
Elle avait un mauvais pressentiment. La jeune femme n’avait pas fait bonne impression et de toute manière elle ne savait pas comment les obliger à avoir confiance en elle. Elle n’était pas assez bonne menteuse et encore moins manipulatrice. Tant pis, retour au plan initial. Même si elle le redoutait effroyablement.
- Permets-moi de douter de ta sincérité petit oiseau. On te permet de rentrer dans notre cercle. On t’offre nos secrets mais tu ne nous le rend pas. Tu restes fermée comme un écrin de nacre. Comment pouvons nous te faire confiance, dis moi, interrogea la duchesse de Lomont. Que fais-tu ici, à part nous faire perdre notre temps et jouer avec les sentiments de mon fils ?
Elle était effrayante. Effrayante par sa douceur. Tout au long de sa phrase elle ne cessa de fixer Lyra droit dans les yeux, la forçant à soutenir son regard aussi froid que celui de son fils, tout en lui caressant les cheveux du bout des doigts. Elle avait parlé calmement, sans hausser le ton, pourtant Lyra avait dans la bouche le goût amère de ses menaces.
Les yeux de Lyra s’embuèrent.
- Je veux seulement sauver mon père.
Elle avait mal. La paume de sa main pulsait après avoir été transpercé par ses ongles. Elle ne connaissait pas de meilleure solution pour avoir rapidement les larmes aux yeux.
- Ne te moque pas de moi, ingrate, cracha Opale. Nous savons très bien à quel petit jeu tu joues. Quelqu’un a vu le Renard doré pénétrer dans ta chambre la nuit dernière et ne pas en être sorti après. Ne fais pas l’innocente, affirma-t-elle.
Puis elle gifla Lyra. Le coup était violent, assez pour que Lyra titube quelques pas en arrière. Ensuite, la duchesse lui agrippa les cheveux et la força à s’agenouiller devant elle.
- Avoue que tu es de mèche avec lui. Avec Ambrune. Tu n’es pas une servante de Childéric. Tu es une chienne de Thelma. Et ton père, aussi minable soit-il, mérite sa place sur l'échafaud pour ne pas avoir été capable d’être discret.
À présent, de véritable larmes coulaient le long de ses joues. La douleur, la peur et la haine se lisaient dans son regard. Elle serrait les dents pour ne pas hurler.
Elle tourna son visage tuméfié vers Lysandre. Il n’avait pas quitté la pièce et assistait à la scène, silencieux.
- C’est vrai j’avoue tout, concéda-t-elle rapidement. Mais on m’a forcé. Sinon c’est toute ma famille qui allait être condamnée. Je n’avais pas le choix.
- On a toujours le choix, petit oiseau. Toi tu as fait le choix d’être dans le mauvais camp, siffla Opale.
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