Chapitre 40 (Réécrit)
Ce n’était pas le corset.
En se réveillant, Lyra avait aussi mal à la tête qu’un lendemain de bal et l’impression que sa bouche avait embrassé une éponge, à multiples reprises. Des images défilaient dans son esprit. Elle se rappela du visage d’Alphonse et d’avoir discuté avec Lysandre dans ses appartements. Mais tout était encore flou.
Elle constata que le sol était dur, froid et humide. La chambre du duc de Lomond était loin d’être froide et humide. Et ici, il régnait une odeur pestilentielle de moisis et d’autres senteurs que la jeune femme ne parvenait pas à distinguer.
Il fallut un instant à ses yeux pour s'accommoder à l’obscurité ambiante. Au loin, des torches à la flamme vacillante se reflétaient sur les murs en pierre. Lyra voulut se relever, mais dès qu’elle posa un pied, il se déroba. Elle essaya de nouveau, cette fois elle ne put contenir le cri de douleur qui s’empara d’elle au moment de poser le pied au sol. C’était une douleur vive et fulgurante qui remontait le long de sa jambe jusqu'à sa colonne vertébrale.
La respiration haletante, elle se rassit.
Lyra passa une main sur sa cheville douloureuse. Pas de doute, elle était gonflée. Le simple fait de frôler sa peau à cet endroit la faisait serrer des dents. Elle prit une profonde inspiration, contrôlant avec peine son envie de pleurer.
Autour d’elle, deux murs en pierre et deux portes en fer forgé. L’une donnait sur l’extérieur et la seconde créait une séparation avec une autre cellule, vide pour celle-ci. Pas de doute, elle était enfermée. Du coin de l'œil, elle avisa un tas de paille. Sans doute était-ce ce qui se rapprochait le plus d’un lit.
Le grondement de son estomac résonna dans le cachot. Elle avait faim. Terriblement faim. Depuis quand n’avait-elle pas mangé ?
La véritable question à se poser était : depuis combien de temps était-elle là ?
Elle n’avait aucun moyen de connaître l’heure. Aucun moyen de discerner la luminosité dans le ciel. Aucun moyen d’entendre les oiseaux de nuit ou les oiseaux de jour.
Plus son ventre gargouillait et plus elle se remémorait l'appétissant canard en sauce de Maximilien ainsi que le nostalgique pain perdu de Marie. Voilà que son envie de pleurer revenait au galop.
Plusieurs claquements de semelles vinrent masquer les supplications ventrales de Lyra. Deux gardes, encerclant deux silhouettes encapuchonnées, approchèrent de la cellule de Lyra. L’un d'eux posa une main sur les barreaux.
— Tu as vraiment cru que j’étais idiot à ce point ? pesta-t-il d’une voix que Lyra reconnut.
— Je ne vous ai jamais considéré comme idiot, Lysandre, répondit Lyra, le plus calmement qu’elle espérait.
En réalité, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, associé à la douleur lancinante de sa cheville, elle n’allait pas tarder à s'évanouir, de nouveau.
Le duc de Lomond apparut sous le capuchon foncé. Égal à lui-même. Même entouré de crasse et de misère, il était beau. Un sourire triste étira ses lèvres. À cause de l’obscurité et de la distance, Lyra n’en était pas certaine, mais les traits du jeune homme semblaient plus marqués et creusés que d’ordinaire.
— Oh, vraiment ? continua-t-il. Trêve de mensonges, mademoiselle Merryweather. Je sais que tu es une espionne à la solde de Thelma. Mais je sais également que ce n’était pas ton choix. Ton père est enfermé pour nous avoir aidé. Alors Thelma t’a asservi, elle a fait de toi son espionne. N’est-ce pas ?
Comment pouvait-on être si proche et si éloigné de la vérité ?
Lyra garda le silence. Elle se remémora les documents cachés dans l’étui à violon. Heureusement pour elle, elle avait toujours sa robe et elle sentait les papiers lui griffer la peau sous son corset.
— Peu importe le vrai du faux, déclara l’autre encapuchonné. Toujours est-il, petit oiseau, que tu vas nous être d’une grande utilité.
Il n’y avait qu’une personne qui la surnommait ainsi : Opale de Lomond.
Lyra se surprit d'être déçue. Ce n’était pas un revirement très original, mais elle devait avouer qu’au moins, ils avaient l’art de la mise en scène.
— Deviens notre espionne, poursuivit Lysandre. Écris ce que nous te dicterons et tu pourras sortir d’ici, vivre au palais et nous…
— Non, merci, le coupa Lyra.
— Tu n’es pas sérieuse ! Si tu restes ici…
— Elle a fait son choix, déclara la première ministre en passant une main devant son fils pour le calmer. Et nous le respecterons.
D’un mouvement de la tête, elle donna un ordre à l’un des gardes. Ce dernier s'exécuta dans un silence pesant. Il ouvrit la grille de la cellule et s’y glissa. Ce que Lyra n’avait pas remarqué, en revanche, c'était la massue qu’il dissimulait derrière son dos.
Elle s'abattit sur la jambe de Lyra avec une telle violence qu’un craquement sinistre résonna dans la prison, rapidement accompagné par le hurlement de la jeune femme.
— J’étais déçue de ne pas entendre tes cris la première fois que nous t’avons brisé une jambe, le sédatif dans ton thé devait encore faire effet. De cette façon, nous serons sûrs que tu ne pourras pas t’enfuir, même si tu en avais l’occasion. Deux jambes de faites. Il ne te reste plus beaucoup d’extrémité. Surtout que nous avons besoin de ta main pour écrire. Lysandre reviendra demain pour te faire entendre raison. Et si tu ne coopères pas… Eh bien, tu sais ce qui t’attend maintenant, chantonna Opale.
Lyra, le visage au sol, pleurait à chaudes larmes. La douleur lui donnait des hauts le cœur et son sang frappait si fort dans ses tympans qu’elle ne parvenait pas à entendre tous les mots de la femme.
— Une dernière chose, l’avertit la duchesse, si tu penses encore être plus maligne que nous. Tes lettres seront bien entendu dictées par Lysandre et nous vérifierons que tu ne glisses aucun message codé. Et tant que tu n'écriras pas, tu ne mangeras pas, c’est évident.
Toujours enveloppé dans sa cape, Opale de Lomond fut escorté par les gardes. Bientôt, Lyra n’entendait plus que les pas s’éloigner. Lysandre, lui, n’avait pas bougé.
— Tu aurais dû accepter. Lorsque ma mère n’obtient pas ce qu’elle veut, elle n’hésite pas à tuer, expliqua-t-il en s’accroupissant.
— Donc… tu fais bien partie du complot, répliqua Lyra. Je m’en doutais.
Lyra s’assit pour lui faire face, ce qui lui valut une nouvelle décharge de douleur dans le corps. Elle réprima son cri en se mordant les lèvres jusqu’au sang.
— J’espérais… me tromper, mais… je m’en doutais, conclut-elle, un rire tremblant dans la gorge.
— Que veux-tu, nous sommes deux très bons acteurs. Moi, dans le rôle du gentil duc, et toi, dans celui de l’amoureuse passionnée. J’ai failli y croire. J’aurais aimé y croire.
— Je ne mentais pas. Au début. Tu me plaisais vraiment. Tu étais le prince d’un de mes contes de fée.
— Et puis il y a eu le Renard, poursuivit-il sans l’écouter.
— Vous ne réussirez jamais à l’avoir.
— Oh, mais maintenant que tu n’es plus là pour lui sortir la tête de l’eau, on va bien voir si ton chevalier va nager ou se noyer.
La métaphore parut familière à Lyra. Le visage blanc et inerte de Kayden, plongé dans la rivière, la frappa au visage. Puis, elle se remémora l’adresse de Lysandre. Le papier parfaitement jeté dans la corbeille malgré la distance. Et ce qu’avait dit la femme de chambre. Un champion de tir à l’arc.
— C’était toi… souffla Lyra. C’était toi !
Lysandre se releva et replaça sa capuche de sorte à dissimuler son visage.
— Réfléchis bien. Un capitaine de la garde mort signifie une sécurité affaiblie, voire inexistante. Donc une reine plus facile à abattre.
— Tu es prêt à sacrifier la paix de deux royaumes ? Pourquoi au juste ? Être dans les bonnes grâces de ce monstre de Childéric ?
Lysandre explosa en un rire sinistre. Si Lyra n’avait pas déjà si froid, elle en aurait eu la chair de poule.
— Tu es bien naïve pour penser qu’il y a d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Mais la vie n’est pas aussi simple. Elle est difficile, nuancée et très souvent injuste. C’est pourquoi il ne faut pas être du côté des gens justes, mais du côté des gagnants, Lyra. Et avec moi, tu seras du côté des gagnants.
Un voile de tristesse et de désillusion avait recouvert les traits de Lysandre.
— À part suivre aveuglément les ordres de ta mère, es-tu capable de faire tes propres choix ? lui lança Lyra, acerbe.
— Je ne suis pas méchant, Lyra. Je fais simplement ce qu’il faut pour survivre. Je reviendrai demain pour t’apporter du papier et de quoi écrire. J’espère que la nuit te portera conseil et que tu comprendras dans quel camp il vaut mieux être.
Alors qu'il se retournait pour partir, Lyra rampa jusqu'à la grille. La pièce tournait autour d'elle. Le sédatif devait encore faire effet, ou bien c'était la douleur qui la faisait tanguer de la sorte. Elle posa son front contre les barreaux glacés.
— J’espère de… tout mon cœur qu’un jour, tu n'auras plus besoin de… survivre. Mais… que tu apprendras… à vivre, murmura-t-elle, le cœur au bord des lèvres et le souffle court.
— Dit la femme qui s’est sacrifiée pour sa famille.
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