Chapitre 45 (Réécrit)
Lyra rampa tant bien que mal vers la cellule de Kayden. De simples barreaux les séparaient. Des barreaux rouillés, aussi fragiles que les prisonniers qu’ils gardaient. Et pourtant. Malgré toute sa détermination à les secouer, à essayer de les casser, de les écarter, Lyra les fit à peine grincer.
De son côté, Kayden restait immobile. Lyra avait beau l’appeler, le capitaine de la garde ne montrait aucune réaction. C'en était trop pour la jeune femme. Elle était épuisée, affamée et terrifiée. Ses yeux brûlaient. Son corps avait tout juste assez d’eau pour verser deux larmes. Elle avait envie de hurler, de frapper quelque chose ou encore mieux quelqu’un. À la place, elle continua d’appeler le Renard, sa voix toujours plus tremblante à cause de ses sanglots invisibles.
— Je t'en prie, réveille-toi, le supplia-t-elle une dernière fois. Je te jure que si tu meurs ici, Kayden, je te tue !
Les épaules du Renard se mouvèrent. Puis son torse se redressa. Il prit appui sur ses avant-bras, la tête dodelinante.
— Par le Soleil et la Lune, merci, souffla enfin Lyra.
Kayden se redressa avec difficulté. Au moindre mouvement, il laissait échapper un sifflement strident entre ses dents.
— Ly-ra ? appela-t-il, encore un peu somnolent.
— Kay, je suis là, répondit-elle en le guidant avec sa voix.
Il réussit à se hisser à ses côtés, utilisant les barreaux qui les séparaient pour s’adosser.
Il faisait peine à voir. Son visage était couvert d'hématomes violacés. Tout comme ses jambes et ses pieds. Ses cheveux, trempés par la sueur, collaient à son front et à ses joues luisantes. À travers les barreaux, Lyra passa une main et plaça une mèche derrière l’oreille de Kayden.
— Bienvenue chez les vivants, lança-t-elle, soulagée de sentir la chaleur du Renard au bout de ses doigts.
Kayden laissa échapper un sourire, ce qui eut pour effet immédiat de le faire grimacer de douleur. De larges cernes obscurcissaient son teint pâle. Et ses lèvres rouges étaient gercées et gonflées.
Le pire, c'étaient ses bras. Ils étaient tailladés par des coupures entourées de sang séché. Lyra ne parvenait pas à y croire. Les hommes qui avaient torturé Kayden ne pouvaient pas être humains. Car personne ne serait assez cruel pour rouvrir d’anciennes plaies. Kayden n'avait aucune nouvelle cicatrice. Les bourreaux n'avaient pas eu besoin de s’embêter. Ils n’avaient eu qu’à redessiner ses anciennes cicatrices avec la lame de leur couteau.
Avec horreur, Lyra remarqua que la chemise du Renard était maculée de rouge. Les salauds n'avaient épargné ni son dos, ni son torse.
Lyra laissa le temps à Kayden de revenir petit à petit à lui. Elle posa sa tête contre l’un des barreaux et ferma les yeux, appréciant de sentir la présence du Renard à ses côtés.
Et alors que l’adrénaline retombait, déposant une chape de fatigue sur ses épaules, la jeune femme fut alertée par une respiration haletante.
— Kayden ?
Le capitaine de la garde, le visage vers le plafond, peinait à respirer. Sa main ensanglantée agrippait avec hargne sa chemise. La bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau, Kayden essayait de happer l’air, mais en semblait incapable.
— Kay ! cria Lyra en posant une main sur son épaule.
— Ça se… rapproche. Non. Pitié. Je ne peux plus… respirer…, dit-il dans un murmure à peine audible.
Les sons restaient bloqués dans sa gorge, comme si un clapet les empêchait de sortir. C’était ce même clapet qui empêchait l’air d’entrée. Et Lyra savait comment l’ouvrir.
— Kayden, regarde-moi, demanda Lyra avec douceur.
Mais Kayden était absent, perdu dans les peurs de son esprit. Ses mains étaient prises de tremblements et des larmes coulaient de ses paupières closes. Rien que de l’entendre essayer de reprendre sa respiration était douloureux pour la conteuse.
— Kay, regarde-moi, insista-t-elle.
Elle glissa sa main de son épaule à son bras jusqu’à lui prendre la main. Ses gestes étaient lents, mais fermes pour ne pas le brusquer tout en lui montrant qu’elle était auprès de lui. Les muscles du jeune homme étaient tendus comme la corde d’un arc prêt à tirer. Petit à petit, Lyra réussit à le positionner de sorte à lui faire face. Kayden gardait les yeux fermés, marmonnant des mots incompréhensibles. Ses expirations devenaient de plus en plus inaudibles. De la sueur perlait de son front.
Lyra lâcha alors la main du jeune homme et vint poser la sienne contre la joue de Kayden. Le contact frais sur son visage brûlant le sortit de sa bulle de cauchemars, car il ouvrit les yeux.
— Maintenant, respire en même temps que moi. Inspire profondément. Et expire lentement.
Kayden secoua la tête, la bouche toujours grande ouverte.
— Si, tu peux le faire, l’encouragea Lyra. On peut le faire, ensemble.
Elle empoigna de nouveau la main de Kayden et vint la placer sur son cœur. À son tour, elle posa sa paume contre le cœur du Renard. Les tambourinements étaient violents et irréguliers. Pour montrer l’exemple, Lyra inspira profondément par le nez puis expira par la bouche. Elle recommença jusqu’à temps que Kayden se synchronise sur sa respiration et que les battements de son cœur se calment.
Lyra n’aurait pas su dire quand, mais Kayden parvint à reprendre son souffle. Malgré la frayeur enfin passée, elle garda la main contre son cœur. Elle avait besoin de vérifier qu’il était bien vivant.
— Merci, murmura-t-il en posant sa tête contre les barreaux.
— Tu m’as fait peur, dit Lyra en faisant de même.
Leurs têtes se touchaient et leurs doigts s’entrelaçaient. Ils restèrent un moment ainsi, front contre front, à profiter de la présence de l’autre. Même si la situation était désastreuse, Lyra n’était plus seule. Il était là. Son chevalier sans armure.
— Je suis désolé. J’étais censé te délivrer.
— Le Renard n’a pas été très malin ? s’amusa Lyra.
De toute façon, elle n’avait pas assez de larmes pour pleurer.
Kayden souffla du nez, un sourire étirant son visage malmené.
— En effet. Dès qu’il s’agit de toi, je perds tous mes moyens…
Il laissa sa phrase en suspens. Kayden releva la tête vers l’une des cellules qui leur faisait face. Lyra ne pouvait que le regarder, indécise. Il s’était arrêté alors qu’il lui disait des mots si beaux.
Elle allait lui faire remarquer qu’ils étaient en pleine conversation sentimentale lorsqu’elle constata ses yeux verts s'écarquiller. La lèvre inférieure du capitaine de la garde trembla. Sans pour autant lâcher Lyra, Kayden avança assez pour avoir une meilleure vision sur les cellules annexes.
— Père Windslow ? appela Kayden.
Immédiatement, l’homme d’Église cessa ses messes basses et releva la tête avec vigueur. À son tour, ce sont les yeux du vieil homme qui formèrent deux ronds parfaits. Sa barbe trembla à chacun des mots qu’il prononça et que Lyra ne comprit pas. À sa réaction en voyant Kayden, l’homme semblait faire face à un fantôme. Mais un fantôme qu’il était heureux de revoir.
Sans doute inconsciemment, Kayden serra la main de Lyra plus fort. La jeune femme était complètement perdue. D’autant plus que Kayden s’était mis, lui aussi, à parler la langue du père Windslow. Mais elle était soulagée de voir le Renard reprendre des couleurs.
— Je n’en reviens pas, souffla-t-il. Je le pensais mort. Je… Je les pensais tous morts.
— Un ami à toi ? demanda Lyra, intriguée par ces étranges et inopinées retrouvailles dans les prisons du palais de Polaris.
Et depuis quand Kayden connaissait une autre langue ? Un poids se forma aux creux de la poitrine de la conteuse et tomba comme une pierre aux creux de son estomac. En réalité, elle ne savait rien de la vie de cet homme.
— Un très vieil ami, répondit-il finalement.
Le regard déterminé, Kayden releva le menton. Il tourna la tête à gauche, à droite, en haut et en bas. C’était ce qu’il faisait lorsqu’il analysait son environnement. Le Renard doré était de retour.
— Comment tu as… Tout à l’heure, comment as-tu su ce qu’il fallait faire ? interrogea Kayden en fixant le plafond de pierre.
— Enora non plus n’aime pas les endroits exigus. Sans doute la raison pour laquelle elle passe son temps à chevaucher dans la campagne, expliqua Lyra en balançant sa main pour éloigner les dents de Lottie de ses pieds. Mais certaines nuits, ces crises reviennent. Avec le temps, j’ai appris que caler sa respiration sur la mienne parvenait à la calmer… Même si je dois avouer que je n'étais pas certaine que ça fonctionnerait pour toi.
De nouveau le dos droit et malgré les blessures apparentes sur son corps, Kayden avait récupéré son aura de capitaine de la garde. Avec délicatesse, il s’empara des doigts de Lyra et y déposa un baiser brûlant. Un agréable frisson, comme cela faisait longtemps qu’elle n’en avait pas ressenti, picota les joues de Lyra.
— Je crois qu’il est temps que je tienne ma promesse et que l’on ait cette discussion, conclut Kayden sans lâcher la conteuse de ses iris verts sapin.
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