Chapitre 55 (Réécrit)
Rapidement, le plan de Kayden se mit en marche. Le capitaine de la garde scinda son armée en deux groupes. Le premier, avec la plus grosse majorité de soldats, servait de diversion. Les gardes maintenaient leur ligne de défense pour éviter aux ennemis de passer. Mais une entrée, un passage que seuls les habitués du château connaissent, était laissée sans surveillance. Enfin, c’est ce qu’il semblait… En faisant croire à une défense déficiente, Childéric tomberait dans la gueule du loup.
En réalité, Kayden avait posté des petits groupes d’une quinzaine d’hommes et de femmes dans les différentes salles. Un groupe d’archers dans la cave à vin, dressé au-dessus des poutres en bois. Ils avaient pour ordre de tirer sur tous ceux qui entraient dans le passage. Si les hommes de Childéric parvenaient tout de même à passer cette première salve, ils tomberaient sur les épéistes dans la cuisine puis sur ceux de la Grande Salle.
Autrement dit, ils n’avaient aucune chance de passer. Si Childéric connaissait bien le château, il savait que le passage était étroit. Il enverrait peu d’hommes en éclaireur. Maintenant, il n’y avait plus qu’à espérer que l’ancien roi tombe dans le piège. Kayden espérait qu’en ne revoyant pas ses soldats revenir, il en enverrait d’autres. Encore et encore et encore. Ce serait au compte-goutte, mais si cela pouvait amoindrir son armée, c'était toujours ça de pris. Ainsi, Silverthrown reprenait l'avantage en choisissant le lieu du combat, le temps que Kayden réfléchisse à une nouvelle stratégie. Cela leur ferait gagner du temps et risquait d’accaparer l’attention de Childéric.
Et pourtant, Kayden détestait ce plan, reposant sur trop d'incertitudes et d'hypothèses. Il était faillible et risqué. S'il échouait, le château tomberait entre les mains de l'ennemi. D’un autre côté, s'ils gardaient leur rang, les gardes de Silverthrown mouraient les uns après les autres.
Thelma avait raison : Childéric connaissait bien son ancienne demeure. Ses sentinelles repérèrent une faille dans le château. Et comme Kayden l’avait prédit, il envoya un premier petit escadron dans le passage souterrain.
— Rusé comme un Renard, félicita Thelma en donnant une tape affective sur l’épaule de son protégé.
Kayden lui répondit par un sourire. Le plan fonctionnait, ce n’était pas une raison pour se relâcher. Ni fêter victoire trop vite.
Dans son entêtement, et ne voyant pas ses soldats revenir, Childéric envoyait toujours plus d’hommes à l'abattoir. Trop concentré sur ce problème, il n’était plus attentif au combat que menaient ses premières lignes d’attaques. Ses troupes en devenaient désorganisées.
Tout se passait comme le voulait Kayden. Son armée sortait enfin la tête de l’eau après plusieurs jours de détresse. Alors pourquoi ce mauvais pressentiment lui tordait l’estomac ?
-§-
À pas feutrés, Lyra remontait les escaliers ouest. Alphonse allait sans doute s’énerver de ne pas la voir dans la chapelle. Et elle imaginait déjà Damien courir en rond à sa recherche. Lyra arrêta sa montée, à l'affût du moindre bruit, puis reprit son ascension. Elle les rejoindrait dans peu de temps. Avant cela, la conteuse devait savoir pourquoi la domestique à la queue de cheval brune, celle-là même qui l’avait si mal accueilli, s’était extirpée du reste du groupe.
Lyra avait un très mauvais instinct. C’est simple, pour elle, tout le monde était un potentiel ami. Mais cette femme. Il y avait une certaine hostilité dans son attitude et une animosité dans son regard qui mettait Lyra mal à l’aise. À la limite, que la domestique n’apprécie pas Lyra après leur dernière altercation se comprenait, mais elle était ainsi avec ses collègues et même avec Ellyana. Pendant leur confinement, Lyra avait bien remarqué l’effet que faisait la reine sur la brune.
La domestique arrêta finalement sa course devant un imposant tableau représentant deux amants sur une balançoire. Cette peinture, bien que très belle, ne lui était pas familière…
Mais le couloir si. Elle en aurait mis sa main à couper, c’est ici que se trouvait l’entrée du Salon d’Émeraude.
La brune glissa sa main derrière le cadre doré et le tira vers elle. De la même façon qu’une porte, le tableau s’ouvrit sur une pièce aux murs et à la décoration verte. Plus de doute possible, Lyra avait vu juste.
Une fois la domestique entrée dans le salon, Lyra se faufila derrière la peinture. Un tic nerveux lui fit se mordre la joue. Les muscles de sa jambe gauche commençaient à tirer. Mais c’était largement supportable. Le plus important était de comprendre ce que cette femme manigançait.
L’oreille attentive, Lyra entendit des voix étouffées de l’autre côté du cadre. Une voix de femme, certainement la domestique, et une deuxième voix, plus grave… La conteuse serra les poings de frustration. Elle n’entendait pas ce qu’ils se disaient.
À son tour, elle emprunta le passage secret. Aussi discrète que Lottie la souris, elle se glissa derrière un paravent proche de l'entrée du salon. La peur de se faire prendre faisait battre son cœur à toute vitesse. Elle devait contrôler sa respiration pour éviter de faire le moindre bruit.
— C’est bien, petite pâquerette. Tu as suivi le plan. À présent, donne-le-moi, ordonna l’inconnu.
De quel plan parlait-il ? Qui était cet homme ? À quoi assistait Lyra ? Lyra perçut le bruit caractéristique d'un cliquetis.
— Bien… poursuivit la voix.
Il soupesa l’objet sans ses mains. D’après le claquement, ça avait l’air très lourd.
Son timbre était gras, comme enveloppé dans du miel, et sa lenteur lancinante donna la chair de poule à Lyra. Un simple mot avait suffi à la conteuse pour comprendre qu’il était une menace.
— Maintenant, tu ne nous es plus d’aucune utilité, petite pâquerette.
Cette fois-ci, Lyra reconnut le son d’une lame que l’on dégaine. Elle l’avait déjà bien assez entendu auprès de Kayden. Son sang se glaça. Il n’allait quand même pas tuer la domestique ?
— Non ! Je vous en prie ! supplia la domestique, des sanglots dans la voix. J’ai fait tout ce que vous m’avez demandé ! Je peux encore vous être utile !
Les mains plaquées contre sa bouche, Lyra était tétanisée. Derrière elle, il avait commencé à attaquer la domestique. Et lorsqu'elle hurla, le sursaut de Lyra fit tomber le paravent. Sa cachette, son seul rempart de protection contre ce fou, venait de chuter dans un boum retentissant.
C’est alors qu’elle découvrit un homme de petite taille. Son torse, bâti comme un bœuf, contrebalançait avec la finesse de ses jambes. Contre toute attente, avec un corps si peu équilibré, il gardait une posture implacable, les jambes arquées et les pieds ancrés sur le sol. Avec sa mâchoire carrée et ses petits yeux perçants, il ressemblait à un chien de combat.
Un tube en métal, plus grand que lui, était attaché dans son dos à l’aide d’une sangle en cuir. D’une main, il empoignait les cheveux de la domestique. De l’autre, une lame à quelques centimètres de l’œil de la jeune femme menaçait de lui taillader le visage. Lyra n’avait jamais vu ce genre d'armes : une sorte de faucille accrochée au poignet de l’homme, comme une gigantesque serre d’aigle ou une menaçante patte d'araignée en acier.
Le visage de la domestique était inondé de larmes. Sa voix secouée de sanglots brisait l'abominable silence du salon. Une large entaille, dont du sang s’écoulait, tâchait la manche de son uniforme du château. À un rythme régulier, des gouttes rouges s'écrasaient sur le tapis vert menthe.
— C’est qui ça ?! ragea l’homme en rapprochant son visage de celui de la domestique.
Lyra avait envie de fuir, mais son corps ne répondait plus. À la place, elle fit la seule chose qu’elle était capable de faire : parler.
— Je cherchais le cabinet d’aisance, argumenta-t-elle, la bouche sèche. Mais je crois m’être égarée.
L’homme papillonna des yeux, les sourcils froncés, en pleine réflexion sur les dires de la jeune femme. La surprise passée, il jeta la domestique d’un geste violent.
— Traîtresse, tu as ramené du renfort ! Peu importe, railla-t-il. Tuer deux femmes sera un jeu d’enfant.
D’un mouvement sec du bras, une deuxième faucille apparut en un éclair à son autre poignet.
Lyra ne lui laissa pas le temps d’avancer vers elle, elle avisa un vase sur une table proche d’elle et le lança sur son assaillant. Il l’esquiva.
Elle était dans l’ezeru jusqu’au cou.
Dans un morbide jeu du chat et de la souris, les deux se mirent à courir dans le Salon d’Émeraude. Tandis que Lyra contournait les meubles ou les poussait vers l’homme pour le bloquer, ce dernier donnait de grands coups de faucille. D’un coup de pied, elle projeta une table de jeu vers lui. Il la para aisément, mais son arme resta bloquée dans le bois. Pendant qu’il se débattait pour décoincer sa lame, Lyra en profita pour aider la domestique à se relever.
— On va devoir courir, informa-t-elle à la brune.
Lyra n’avait toujours pas saisi la situation ni quel était le rôle de cette femme. Mais elle ne la laisserait pas mourir ici ! Dans un rugissement furieux, l’homme pulvérisa la table contre le mur. Au moment où il releva la tête, prêt à lacérer Lyra, il se prit un chandelier en argent en pleine tête.
Bien que fière de son lancer, la conteuse ne s’attarda pas pour fêter sa victoire. Elle profita qu’il soit sonné pour prendre la main de la domestique et partir en courant dans les couloirs du château.
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