Chapitre 57 (Réécrit)
Comme une épée de Damoclès, menaçante et fatidique, un éclair s'abattit sur le toit du château. Le coup fut si fort que Kayden en sursauta. Dehors l’orage assombrit le ciel d’un gris poussière. Martelant les immenses fenêtres de la Grande Salle, la pluie s'abattit en trombe.
— Je vois que tu as réussi, Crowley.
— Tout pour mon roi, répondit ce dernier, la tête relevée vers son souverain.
— Réussis quoi ? pesta Thelma. Tu ne vas pas me faire croire que ce coup de tonnerre était de ton fait. C’est impossible.
— Alors ne me crois pas.
Kayden s’était approché de Crowley et de Lyra, épée en main. Tous les sens en alerte, il ne lâchait pas son ancien bourreau du regard. Visiblement, l’expression qu’il lui lançait ne plut pas au Faucheur.
— Range ton épée, mon garçon, dit-il de sa voix grasse. Tu ne veux quand même pas que cette belle jonquille se fane ? demanda-t-il, menaçant la gorge de Lyra d’une de ses lames. Oh ! Mais je reconnais ce visage…
Un second éclair perça l’obscurité du ciel. Son reflet argenté sur les faucilles de Crowley aveugla Kayden.
— Vous êtes censé être mort ! cria Kayden, en se déplaçant avec agilité afin de retrouver une bonne vision et une position de combat stable.
— Mais tout comme toi, Perce-neige. Et pourtant nous voilà, réunis de nouveau. Oui, je me souviens bien de toi. Le petit chiot enragé. Toi et ta petite rébellion. Mais je vois que ton visage a gardé un souvenir de moi, dit-il en dessinant sur son propre visage les cicatrices de Kayden.
La pointe de sa lame s'enfonça un peu plus dans la peau de Lyra, laissant perler quelques gouttes de sang. La conteuse ferma les yeux. Kayden était impuissant. Au moindre mouvement, Crowley lui transpercerait la gorge. Les mains tremblantes, le Renard réfléchissait à toute allure. Il avait besoin d’une distraction.
— Je me rappelle celle-là en particulier, continua Crowley en appuyant sur sa paupière gauche. Tu avais tenu bon jusque-là, mais pour celle-ci, tu avais hurlé à t'en évanouir. Pour être honnête, je pensais que tu perdrais ton œil.
Il marqua une pause. Prenant le temps de défier Kayden du regard.
— Mais non, heureusement. Tu as toujours cette œillade assassine. Et je parie que tu veux me faire la peau, n'est-ce pas, Perce-neige ?
— Mes rêves les plus doux sont ceux où vous mourriez de ma main, Crowley.
— Oh, je t'en prie, appelle-moi comme vous le faisiez à l'époque. Le Faucheur. J'aimais tellement ce sobriquet que les enfants de la tour m'avaient attribué, expliqua-t-il à Lyra en retirant sa main de la bouche de la conteuse pour venir lui empoigner les cheveux. Et j'aimais par-dessus tous les cris qui s'ensuivaient. Quelle plaisante époque, tu t’en souviens, Perce-neige ?
— Dites-moi, c'est une manie ces surnoms de fleurs ? le coupa Lyra, enfin débarrassée de son bâillon humain.
D’un geste brutal, Crowley tourna la jeune femme face à lui, pressant ses joues dans sa main.
— Je te trouve bien effrontée pour quelqu’un qui est sur le point de mourir.
Et pour appuyer sa menace, il glissa son arme jusqu’au ventre de la conteuse.
L’attention de Crowley était toute concentrée sur Lyra. Kayden n’aurait pas d’autre chance. D’un bond, il trancha le dos de l’homme. Dans un rugissement semblable à celui d’un goret, Crowley s’effondra au sol, emmenant Lyra dans sa chute.
Kayden se précipita vers la conteuse pour la relever, mais Le Faucheur l'agrippa par la jambe, là maintenant par terre. Sa faucille plantée dans la jambe de la jeune femme, Lyra hurla de douleur. Sans réfléchir, Kayden abattit une nouvelle fois son épée, sur la main de Crowley cette fois-ci. Le coup était net. Pas assez puissant pour la lui trancher, mais suffisamment pour lui faire lâcher Lyra.
La peur pulsant dans ses veines, Kayden rattrapa Lyra avant qu’elle ne retombe pour échapper à ce démon. La conteuse enfin dans ses bras, il pointa son épée vers Crowley. Elle tremblait contre lui.
— Il suffit, Crowley, réprimanda Childéric, siégeant toujours du haut de son balcon. Arrête de jouer. Dépêche-toi de les tuer. Tu dois encore l’enclencher.
— Avec plaisir, mon roi.
-§-
L’enclencher ? Est-ce que cela avait un lien avec le mystérieux objet dont parlait la domestique ? Lyra n’en doutait pas. Mais pour l’heure, elle était obnubilée par le combat entre Kayden et Crowley.
Thelma avait essayé de se jeter dans la bataille, mais Kayden l’en avait dissuadé d’un mouvement de la main. C’était son combat. Sa vengeance.
Crowley attaquait le premier, essayant de rabattre Kayden dans ses retranchements. Mais ce dernier paraît chacun des coups de son adversaire. Encore et encore et encore. Le tintement cinglant des armes résonnait dans la tête de Lyra, accentué par le tonnerre et la pluie, au point que cela en devenait douloureux.
Sans doute dû à son âge et à ses récentes blessures, Crowley fatiguait vite. Ses premiers mouvements avaient beau être d’une violence colossale, il ne dosait pas sa force, perdant l’équilibre. Et plus le duel s’allongeait, moins ses coups étaient précis.
Kayden, en revanche, était endurant. Il savait parfaitement retenir sa puissance afin de l’utiliser au moment opportun. Alors que Crowley faiblissait, lui, prenait l’avantage. Il était impressionnant. Lyra avait l’impression que son épée était un prolongement de son bras. Elle exécutait à la perfection chacun de ses ordres silencieux.
Les ombres des deux combattants s'élevaient sur les murs à chaque éclair illuminant le ciel, imprégnant le temps d’une seconde leur mouvement sur la pierre.
Alors que Crowley se perdait dans l'enchaînement meurtrier, Kayden se baissa soudainement et, dans une rotation parfaitement maîtrisée, fit tomber son adversaire sur le dos. Crowley jura.
Le Faucheur était là, pitoyable, haletant, couvert de sang, ses yeux exorbités par l’effort et la fureur. Au-dessus de lui, Kayden planta sa lame en direction du torse de Crowley. Mais ce dernier n’avait pas abandonné la partie. Ses deux faucilles formant une croix, il arrêta le coup du Renard. Malgré la blessure à son bras, l’homme maintenait une distance entre la pointe de l’épée de Kayden et son thorax.
Lyra couvrait sa bouche pour éviter de hurler et de faire perdre sa concentration à Kayden. Elle n’avait pas cessé de trembler et à présent, des larmes brûlantes lui brouillaient la vue. La douleur, la peur, le sentiment de solitude, elle pensait les avoir laissés dans sa prison à Polaris. Pourtant, ils venaient de lui exploser au visage. Pendant un instant, elle s’était sentie en sécurité, protégée par les bras de Kayden. Maintenant, celui qu’elle aimait menait un combat à mort sous ses yeux. Elle ne sentait même plus le sang couler le long de sa jambe. Elle ne sentait même plus le mordant de la lame fantôme dans sa cuisse. Elle ne voyait que lui, luttant pour survivre.
— Crowley ! hurla Childéric. N’oublie pas pourquoi tu es là ! Le canon doit être chargé, maintenant. Dépêche-toi !
L’une des mains de Crowley s’échappa de l’épée de Kayden et vint lui asséner un coup au flanc. D’une étonnante agilité d'après son âge et ses blessures, Crowley roula sur le côté et d’un dernier salut à son roi, il s’échappa à travers les grandes portes.
— Non !
Les voix de Lyra et Kayden se mêlèrent dans l’écho de la Grande Salle. Le Renard tomba à genoux, la main contre son flanc pour endiguer l'hémorragie. Utilisant son épée comme d’une canne, il se releva, mais tituba. De son côté, Lyra surpassa la douleur qui paralysait sa jambe et se précipita pour soutenir Kayden.
— On ne peut pas le laisser s’en tirer, ragea-t-il, agrippé à Lyra. Je dois le suivre !
Une rage ardente animait son regard. Il y a encore quelques mois, cette hargne que Lyra lisait dans ses yeux l’aurait effrayée. Aujourd'hui, elle comprenait que c’était ce qui lui permettait de se surpasser.
— Alors, accroche-toi, Renard doré, s’exclama Lyra en se tournant vers la sortie.
Crowley, dans sa course, laissait sur le sol des gouttes de sang provenant de ses blessures. Au moins, ils n’auront aucun mal à le suivre à la trace.
— Non, toi, tu vas à la chapelle ! Là où tu devrais déjà être !
— Sans moi, tu ne pourras pas avancer, répliqua Lyra. Sans toi, je ne pourrais pas marcher. On est collé l’un à l’autre, mon beau Renard.
Et elle ponctua sa phrase par un clin d'œil réconfortant.
Résigné, Kayden opina du chef.
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