Chapitre 58 (Réécrit)

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Kayden et Lyra suivirent les traces de sang jusqu’au sommet de la tour ouest.

Le trajet n'était pas de tout repos. Plus Lyra s'éloignait de la Grande Salle, plus elle prenait conscience de la situation et plus sa jambe lui faisait mal. Kayden, quant à lui, n’était pas mieux lotis. Recroquevillé sur sa blessure et le front perlé de sueur, il avançait toujours plus vite malgré ses gémissements de douleur.

Avant de partir à la poursuite de Crowley, Thelma avait découpé des morceaux de sa cape pour panser le ventre du Renard et la jambe de Lyra. Ce moment avait été douloureux. Dans un premier temps, car avec sa force de guerrière, la reine avait beaucoup trop serré le bandage de Lyra. Et ensuite, la discussion silencieuse entre la reine et son capitaine de la garde avait alourdi le cœur de la jeune femme. Leur façon de communiquer avait beau être singulière, elle n’en restait pas moins touchante.

— Rattrapez-le. Moi, je m’occupe de Childéric, annonça Thelma après avoir posé une main maternelle sur la joue de Kayden.

C’est ainsi que la conteuse et le Renard s’étaient retrouvés à monter les innombrables marches de la tour.

— Ça va ? demanda Kayden à bout de souffle.

— J’ai mal, j’ai un point de côté et je me demande encore comment on va arrêter Crowley, mais ça va. Et toi ?

Tous deux s’aidaient en soutenant l’autre. Lyra ignorait où elle puisait la force de mettre un pied devant l’autre. La peur ? L’adrénaline ? La présence de Kayden ? Peu importe, tant qu’elle continuait d’avancer.

— Pareil, sourit le Renard.

En escaladant la dernière marche, ils furent accueillis par une porte éventrée. Dégondée, le bois battait l’air en rythme régulier. Pas de doute, Crowley était passé par là. Un vent froid vint faire frissonner Lyra. Elle comprit pourquoi en entrant dans la petite pièce du sommet de la tour. Une trappe, avec une échelle menant sur le toit, était ouverte et laissait entrer la pluie.

En analysant autour d’elle, Lyra se rappela être déjà venue ici. La méridienne, les coussins et tapis moelleux, les piles de livres au sol, le service à thé en porcelaine. C’était le boudoir des reines. Celui dans lequel elle avait été reçue lors de sa deuxième représentation au château. Pourquoi Crowley s’était précipité ici ?

— Encore vous ! vociféra une voix dans le dos de Lyra.

Avant de pouvoir réagir, Kayden se prit un coup de pied dans le ventre et tomba au sol. Crowley, empoigna alors le bras de Lyra. De l’écume moussait au bord des lèvres de l’homme. Sa respiration erratique faisait virer sa peau de rose porcin à rouge cerise.

— Ah, non ! C’est bon là ! J’en ai assez qu’on m'agrippe et me ballotte comme une vieille truite ! s’énerva Lyra.

De toute sa force, elle jeta sa tête en avant et vint percuter le front de Crowley. Sonné, ce dernier la lâcha. Son cri mourut, emporté par un nouveau coup de tonnerre. Le bruit était si puissant qu’il en fit trembler les poutres en bois. Les livres glissèrent de leur pile. Et les tasses grelotèrent sur leurs assiettes. Lyra en perdit l’équilibre et rejoignit Kayden au sol. Heureusement, les tapis étaient si épais qu’ils amortirent sa chute.

Impossible. L’orage ne pouvait pas être si violent. Lyra avait l’impression que l’éclair s’était jeté juste au-dessus de leur tête. Kayden l’engloba dans ses bras, le temps que le tremblement cesse.

— C’est une manie chez toi les coups de boule, fit-il remarquer à la conteuse, la tête rentrée dans les épaules.

— J’ai la tête dure, autant que ça me serve, ironisa Lyra.

La situation ne prêtait pas à la plaisanterie, mais elle avait terriblement besoin de faire redescendre la pression.

Tant bien que mal et malgré la détonation, Crowley réussit à garder l’équilibre. Il cracha un jet de sang à ses pieds. Sa bouche en était remplie. D’un geste rapide, il s’essuya les lèvres d’une main. Puis, bravant la pluie, il monta à l’échelle.

-§-

— Regarde-nous, Thelma, susurra Childéric. Moi, sur ce trône, et toi à mes pieds, comme jadis. Ah, comme cette époque me manque. Pourquoi as-tu voulu jouer les héroïnes ? Tu étais de loin la plus enragée de mes chevaliers. La meilleure capitaine de la garde.

À ses mots, il caressa le dossier en or et en velours avant d’emprunter un escalier.

— Mais tu as voulu me renverser, continua-t-il, sa voix résonnant autour de Thelma. Tu as outrepassé ton rang et voilà où cela te mène. La guerre, Thelma. Toujours la guerre. C’était ça que tu voulais ?

L’épée en garde, Thelma restait à l’affût.

— C’est toi qui as commencé cette guerre. Tu es un tyran !

— Un tyran qui t’a presque élevé, répliqua-t-il sur le même ton monotone.

— Tu m’as entraîné. Tu m’as rendu plus forte. Tu m’as dominé et terrorisé. Mais tu ne m’as pas élevé.

— Qu’en sais-tu, toi qui ne peux avoir de descendance ?

Childéric apparut derrière un lourd rideau bleu roi. Son sourire carnassier n’avait pas quitté ses lèvres.

— Je le sais, car Ellyana et moi avons élevé un merveilleux garçon ! Et nous l’avons aimé, comme jamais tu n’aurais pu m’aimer !

— L’amour n’a rien à voir là-dedans. Regarde-toi. D’orpheline des rues, je t’ai fait devenir reine. Et comment m’as-tu remercié ? En m’exilant. Le Soleil n’a pas apprécié, Thelma. Si tu voulais te débarrasser de moi, tu aurais dû me tuer.

— Le Soleil ?

Une nouvelle lueur éclaira le visage de Childéric : la folie à l’état brut. Thelma remit tous les éléments dans sa tête. Le Soleil, enclencher, charger. Et la présence de Crowley n’était pas anodine. Lui seul était assez obsédé par Childéric pour accepter de le suivre une nouvelle fois dans ce plan insensé.

— Même le ciel est de mon côté, chère amie, continua l’ancien roi d’un rire malsain. Tu voulais le pouvoir, Thelma ? Alors brûle-toi les ailes pour t’être trop approché du Soleil !

— Tu as perdu la tête ! Ton canon n’atteindra jamais la lune, le château est bien trop éloigné. Tout ce que tu vas faire, c’est nous tuer, et toi avec !

— Je suis mort le jour où tu m’as arraché MA couronne. Tu penses encore que ma Némésis est la lune. Petite fille naïve. Aujourd’hui, très chère, tu vas tomber avec moi. Et tout ton château brûlera.

-§-

La pluie battante était si forte que Lyra voyait à peine à deux pas d’elle. Les tuiles glissantes menaçaient de tomber et de l’emporter dans leur chute. Entre les gouttes, elle distinguait Kayden qui, comme elle, luttait pour ne pas tomber. Crowley, lui, se maintenait à un objet accroché à la flèche de la tour.

Les cheveux de Lyra collaient contre son front, ses joues et ses bras. De même que ses vêtements. La pluie était si forte qu’elle avalait l’eau par gorgée.

L’objet, c’était celui que Crowley portrait dans son dos lorsque Lyra l’avait surpris avec la domestique, dans le Salon d’Émeraude. Un tube métallique, aussi grand qu’un homme. L’extrémité, pointée vers le ciel, fumait comme une cheminée.

L’homme s’égosilla d’un rire gras.

— Ça y est ! La foudre a fini de le charger ! LA MORT VA S’ABATTRE SUR VOUS TOUS !

— Lyra ! hurla Kayden à travers la tempête. C’est le canon ! Celui de la tour !

L’homme s’empara de l’arme et s’agenouilla de sorte à avoir une meilleure prise. Il allait tirer. Il visait droit devant lui. Peu importe où l’impact serait, le château prendrait feu et la pluie ne serait d’aucune aide pour endiguer l’incendie. Surtout qu’à tout moment un éclair pouvait frapper le métal du canon et les griller tous les trois.

Lyra tremblait de peur. Elle était au sommet de la plus haute tour, bravant la colère du ciel. Et sa jambe blessée menaçait de la faire chuter au moindre mouvement. Elle ne pouvait plus bouger, et si elle essayait de respirer trop fort, l’eau s'insinuait dans ses narines.

À ses côtés, Kayden glissait dangereusement sur les tuiles. Sa plaie l’affaiblissait trop. Il hurlait des mots à Lyra, mais son cri était emporté dans les airs tumultueux. Pour trouver une meilleure prise, il utilisa la dague qu’il gardait toujours dans sa botte, la coinçant entre les tuiles pour ne pas tomber. Et à la force de ses bras, il parvint à atteindre la flèche. Crowley était devant lui. Plus qu’un pas et il pourrait planter son épée dans ce monstre. Plus qu’un pas et il les aurait tous vengé : son frère, le père Windslow et les enfants de l’île.

— Avance encore Perce-neige et je saute avec le canon, menaça Crowley. En s’écrasant, il explosera et emportera ton château et tous les gens qui y sont cachés. Ta jonquille partira en fumée, menaça-t-il un coup de menton vers Lyra.

— Tu n’oserais pas… le défia Kayden.

Crowley était fou, mais pas à ce point. Jamais il ne sauterait.

— Pour mon roi, sourit le Faucheur. Pour le Soleil.

Le menton relevé vers le ciel, le canon entre ses bras, il se laissa tomber en arrière.

-§-

— D’un instant à l’autre, Thelma. Profitons encore un peu de ce calme avant que les cris ne percent ce moment. Avant que le château ne tremble. Avant que la mort ne s’invite dans ton règne.

Solennellement, Childéric garda le silence. Puis de sa démarche royale, il se posta devant Thelma. Soutenant le regard de la reine, il prit la pointe de son épée et la déposa sur son cœur.

— La question est : Veux-tu me voir périr par ta lame ou par le revers de ma propre arme ?

La mâchoire contractée, Thelma serra plus fermement encore la garde de son épée. Ce sourire arrogant, elle avait envie de le voir disparaître à tout jamais. Pouvait-elle se libérer du fantôme de son passé ? Un roi dominateur. Un tortionnaire. Un homme qu’elle avait considéré comme un parent de substitution. Elle n’avait qu’à appuyer à l’endroit précis où il avait placé l’arme. Mais cela effacerait-il des années de doutes et de culpabilité ?

— Tu as toujours été une créature indécise, Thelma. Trop peureuse pour faire les bons choix. Mais… Si ça peut te rassurer, peu importe ce que tu choisiras, le Soleil ne meurt jamais. Alors, je ne disparaîtrai pas, termina-t-il par un sourire froid.

— Je ne compterai pas trop là-dessus.

Bras-dessus, bras dessous, Lyra et Kayden s’adossaient contre les lourdes portes de la Grande Salle. Leurs cheveux et leurs vêtements gouttaient sur le sol, formant de larges flaques teintées de rouge. On aurait dit qu’une vague immense les avait frappés de plein fouet.

La respiration sifflante, ils essayaient de reprendre leur souffle. Kayden s’avança le premier. Il tituba, la main pressant sous flanc. Son bras faible peinait à maintenir son épée en joue.

— Crowley est mort. Comme votre vengeance, déclara le capitaine de la garde.

Malgré la fatigue évidente qui se lisait sur son visage et dans ses gestes, ses yeux brillaient toujours de l’éclat ardent de la haine.

Thelma reporta son attention vers Childéric. Son arme toujours sur son cœur, elle releva le menton. L’ancien roi n’avait rien perdu de son assurance. Même au bord du précipice, il restait digne. Le dos droit, la mâchoire contractée. Son imposante stature faisait de l’ombre à la reine.

Tout en glissant son épée vers le ventre de Childéric, elle lui empoigna l’épaule.

Il ne se débattit même pas. Il avait perdu et il le savait. Pas une once de peur ne trahissait ses traits. Pas un regret. Pas un remords. Son éternel sourire malsain sur les lèvres, il défia Thelma d’un haussement de sourcil.

— Je suis l’éclipse qui met fin à ta course, articula lentement Thelma.

Elle voulait que cette dernière image d’elle, Thelma, reine de Silverthrown, s’imprime pour toujours sur la rétine de son bourreau. Jusqu’à son dernier souffle. Puis, d’un ultime geste, elle planta son épée dans le corps de Childéric.

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