Chapitre 38 (Réécrit)
Une nuit sans cauchemars, c'est tout ce que Lyra espérait depuis son arrivée à Polaris. Pas de visages terrifiés aux yeux exorbités. Pas de gibier de potence dont la corde se mouvait comme un serpent autour des coups des malheureux.
Et effectivement, cette nuit, elle n’avait pas eu droit à sa course sans fin dans les couloirs d’un château labyrinthique, pourchassé par une pieuvre et une abeille géante. À la place, elle eut le déplaisir d’avoir un tout nouveau songe. Elle était nue au centre de la table, comme une dinde prête à être avalée. Jude et sa cour, dont leurs têtes avaient pris la forme de poires juteuses, riaient de son humiliation tout en la piquant avec des fourchettes géantes.
Au moment où le couvert en argent commença à fendre l’air en direction de ses yeux, elle se réveilla en sursaut. Encore transpirante et tremblante, elle porta une main à ses côtés. Ses doigts rencontrèrent seulement les draps. Toujours cotonneuse, Lyra se releva et examina la chambre du regard. La veille, elle était persuadée que Kayden avait passé la nuit avec elle. Son estomac se resserra sous l’angoisse.
Pitié que la sensation de son corps chaud ne soit pas un rêve. Que ses paroles empruntent de tant de douceur et de sincérité ne soient pas un mirage. Par le soleil et la lune, faites que les battements de son cœur ne soient pas le fruit de son imagination.
— Kay ? appela-t-elle, comme s’il pouvait se cacher dans un coin de la chambre et réapparaître de derrière un rideau en hurlant « Surprise ! »
Évidemment, pas de Kayden et pas de surprise. À la place, les trois domestiques qui étaient chargés de préparer Lyra entrèrent dans la chambre avec fracas et froufrous sous les bras. Elles saluèrent respectueusement Lyra et lui demandèrent de se lever pour l’habillage du matin.
Lyra s’était faite à cette agitation dès son réveil. Elle avait pris l’habitude des serviettes humides et fraîches qui nettoyaient son corps après sa nuit. Les coiffures toujours plus complexes qui serraient ses cheveux ne la faisaient plus grincer des dents de douleur. Et même le visage de Madeleine commençait à se fondre avec celui de la plus jeune domestique. Lyra devait rentrer chez elle.
— Voulez-vous que nous nous en débarrassions ?
— Pardon ? demanda Lyra qui n’avait pas écouté le début de la conversation.
La plus jeune domestique, justement, tenait dans ses mains le peigne à cheveux de Kayden.
— Vous nous aviez dit que vous n’aimiez pas cet ornement. Si vous le souhaitez, nous pouvons…
— Finalement, vous aviez raison, la coupa Lyra. C’est un très bel objet. Il se marie à merveille avec moi. Je ne veux plus m’en séparer.
La domestique, qui ne devait pas être surprise par les changements d’humeur des nobles, sourit simplement à Lyra et piqua le peigne à l’arrière de son chignon.
— Vous savez, commença la deuxième femme de chambre, il paraît que le duc de Lomond va vous inviter à boire le thé dans ses appartements, aujourd'hui. C’est pourquoi nous vous faisons aussi belle, mademoiselle.
— Mesdemoiselles, sermonna la plus âgée, les commérages ne sont pas dignes du palais de Polaris !
Elle se mordit la lèvre et poursuivit pourtant à voix basse, le rose aux joues.
— Même si je dois bien avouer qu’une rumeur sur votre relation avec le fils de notre première ministre enflamme les couloirs du palais. Beau et gentil comme il est, vous avez beaucoup de chance, mademoiselle.
— Je pense que c’est monsieur le duc qui a beaucoup de chance, renchérit la plus jeune. Mademoiselle Merryweather est aussi belle qu’un coucher de soleil sur les montagnes d’Aldonya !
Le compliment alla droit se plaquer sur le visage de Lyra et lui donna la teinte d’une tomate bien mûre. Elle n’avait jamais vu un tel spectacle, mais elle ne méritait certainement pas un tel éloge. Elle devait se reprendre. C’était la première fois que les domestiques parlaient si ouvertement, c’était sa chance d’en apprendre davantage.
— Vous êtes très gentille, le compliment me va droit au cœur, déclara Lyra entre deux rires. Et pour être honnête avec vous… Oh non, est-ce que je peux le dire ? Je suis trop timide, avoua-t-elle en plaquant ses mains sur son visage.
— Mademoiselle, n’ayez crainte, vous pouvez tout nous dire.
— Oui, mademoiselle, nous serons muettes comme des tombes.
Lyra n’y croyait pas une seconde. Elles s'empresseraient de divulguer l’information dans tout le palais. Fort heureusement, c’est tout ce qu’elle espérait. La conteuse les examina un instant, puis fit mine de se pencher pour les mettre dans la confidentialité. Elle prit une profonde inspiration et chuchota :
— Je crois que je suis amoureuse du duc de Lomond.
Les réactions ne se firent pas attendre. Les trois femmes piaffèrent, ouvrirent grand les yeux et félicitèrent Lyra.
— Pensez-vous que mes sentiments puissent être partagés ?
— Absolument, mademoiselle, le duc ne regarde que vous !
— Comment pouvez-vous en être sûre, insista Lyra, telle une amante éplorée.
Moins de drame, plus de blabla, pensa la conteuse.
— Tous les domestiques ne parlent que de vous.
— Même Sam, le palefrenier, m’a posé des questions à votre sujet, affirma la deuxième domestique. Et pourtant, il passe son temps avec les chevaux.
— Si vous restiez ici, mademoiselle. Vous deviendrez une personne importante de la cour de Polaris. Les rumeurs disent que son altesse souhaiterait vous faire ambassadrice des arts d’Aldonya ! Et ainsi, vous resteriez avec monsieur le duc. Vous pourriez vous marier. Vous auriez des enfants magnifiques !
— Elise, respire entre tes phrases, conseilla la deuxième femme de chambre. Néanmoins, elle a raison. Vous pourriez être heureuse ici, mademoiselle. Surtout si vous êtes amoureuse du duc de Lomond. Un vrai conte de fée ! Vous savez, c’est un virtuose du violon, un champion de tir à l’arc et un homme politique fort influent grâce à sa mère.
Vivre à Polaris n’était certainement pas dans les plans de Lyra, et encore moins épouser Lysandre de Lomond. En tout cas, plus maintenant. Pour autant, elle s’empara de la perche qui lui était tendue.
— Justement, et si sa mère ne m’appréciait pas. Après tout, je ne suis rien d’autre qu’une étrangère venant d’un royaume anciennement ennemi. Et même si elle m’accordait sa bénédiction, votre altesse accepterait-iel cette union ? Non, tout cela est trop difficile, déclara Lyra après une pause dramatique. Je pense que je vais rentrer chez moi et finir mes jours seule dans ma campagne.
J’en fais peut-être un peu trop ?
— Oh non, mademoiselle ! Ne perdez pas espoir. Jude de Lior n’ira jamais contredire notre première ministre. Iel n’est qu’un homme de paille. C’est madame de Lomond qui dirige tout le royaume, en réalité.
Ah, non, elles mordent bien à l’hameçon.
— Sauf pour le traité de paix, contredit Elise, pensive. C’est notre altesse qui l'a ordonné. Madame de Lomond était contre et…
La plus âgée des domestiques la fit taire d’un coup de coude dans les côtes. Apparemment, certaines rumeurs n’étaient pas bonnes à révéler.
— Toujours est-il, poursuivit-elle comme si de rien n’était. Qu’en devenant sa belle-fille, vous seriez presque considérée comme une princesse. Et puis, elle vous apprécie forcément, puisqu’elle vous a convié ici.
Lyra n’eut pas le temps de répondre qu’on toqua à la porte. Un homme habillé d'une queue de pie convia Lyra de le suivre dans les appartements de Lysandre de Lomond. Les trois domestiques gloussèrent à l'unisson, puis finirent de préparer la conteuse rapidement.
Bientôt, Lyra se retrouva assise sur l’un des canapés de la chambre du duc de Lomond, une tasse de thé dans la main, un macaron à la vanille dans l’autre.
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