Limbes
Elle est là, elle me tend la main mais je ne peux pas l'atteindre. Qui est-elle ? Cette mystérieuse étrangère que je ne peux qu'apercevoir. Je la vois se dessiner, apparaître puis disparaître sans jamais pouvoir inverser le cours des choses. C'est comme si je n'étais que le passager de mon propre rêve, un simple spectateur. Et cela depuis 10 ans.
Ici tout paraît surréaliste. Je me trouve sur une grande colline verdoyante surplombant une vallée luxuriante. En contrebas, j'aperçois ce qui paraît être un petit village qui jouxte une rivière qui s'écoule paisiblement. Le temps semble s'être arrêté, figé. Il ne règne que prospérité et calme en ces lieux.
Je ne sais combien de temps s'écoule pendant que je regarde ce paysage somptueux. Mes yeux s'emplissent de larmes face à la beauté de la nature et de la vie que je croyais avoir oubliés depuis bien longtemps. Mais les ai-je réellement connus un jour ? Je ne saurais le dire, c'est trop vieux, trop loin, trop incertain.
Alors que je regarde ce fantastique paysage, je détourne mon regard et c'est alors que je la vois. Enveloppée dans un manteau rouge, elle se tient à mes côtés, se tenant debout, imperturbable, ses longs cheveux bruns au vent. Elle a la peau mat et des yeux bleus comme un ciel d'été. En dix ans, elle n'a pas changé. De la petite fille que je connaissais, elle a juste grandi et est devenue une jeune femme d'une beauté envoûtante qui vient me voir durant mes nuits.
Mais nous n'avons jamais pu parler, et cela malgré toutes mes tentatives. Parfois, elle me regarde et prend un air profondément mélancolique, comme si elle comprenait ce que je lui disais mais qu'elle ne pouvait s'exprimer. J'ai d'abord pensé qu'elle parlait une autre langue mais ses réactions face à mes paroles laissent penser le contraire. J'ai ensuite cru qu'elle était muette mais elle essaie bien d'échanger. La vérité, c'est que je ne peux entendre ses mots pour une raison que j'ignore.
Au début, c'était frustrant, puis j'ai fini par m'y faire. Alors, je lui parle depuis 10 ans comme si elle était ma confidente. Je lui parle de mon quotidien, de ma vie et elle ne paraît jamais ennuyée de mes histoires. Elle m'écoute même avec beaucoup d'attention pendant plusieurs minutes, fronçant les sourcils à certaines de mes réactions et souriant à d'autres.
Ainsi, nous avons pris l'habitude de nous poser tous les deux devant différents paysages, passant des vallées vertes aux montagnes enneigées et au désert aride. Mais mon préféré, c'est celui où nous nous asseyons sur une grande falaise face au vaste océan qui s'étend à perte de vue. Entendre le bruit des vagues se fracasser contre la roche, humer l'odeur de la mer, voir le soleil se coucher à l'horizon... C'est quelque chose de fantastique, ça n'a pas de mot. Je ne sais pas comment j'arrive à m'imaginer ces endroits-là alors que je ne les ai jamais vus, comme si ces souvenirs appartenaient à quelqu'un d'autre.
Longtemps, j'ai cru qu'ils étaient ceux de cette fille. Mais, cela n'aurait pas de sens car c'est toujours elle qui me rejoint et qui m'extirpe de mes songes face à la beauté de la nature qui s'offre à moi. Alors, j'ai fini par ne plus me poser de questions et seulement à apprécier.
Un jour, je lui ai demandé son prénom. J'ai sauté le pas, car ça devenait trop important pour moi. je me devais de savoir. Elle a réfléchi quelques secondes puis a commencé à écrire des lettres sur le sable, un jour que nous étions allongés sur une plage. J'ai regardé et lu "L.Y.A.N.A". Lorsque je le prononçai, la dénommée Lyana se mit à rigoler. Ce fut notre première communication. Et depuis ce jour, nous continuâmes à échanger de cette manière, posant tour à tour des questions, elle y répondant en inscrivant des lettres sur le sol et moi en me prêtant tantôt au jeu tantôt me contentant de lui parler.
Des années passèrent pendant lesquelles je la retrouvais souvent dans mes rêves. J'appris qu'elle vivait ainsi dans une ferme avec sa famille et qu'elle n'avait qu'une envie, c'était de partir à la découverte du monde pour l'explorer. Plus le temps passait et plus je sentais cette envie folle chez elle de partir à l'aventure. Alors je m'étais demandé pourquoi elle ne l'avait pas fait et elle m'avait expliqué qu'elle ne pouvait pas sans me donner davantage d'explications. J'avais voulu en savoir plus mais face à sa réticence, j'avais lâché l'affaire. Elle avait bien le droit d'avoir ses secrets après tout.
De cette façon, nous avions des rendez-vous quotidiens dans des endroits somptueux dont j'ignorais l'origine et l'existence, et sans que je puisse expliquer quel lien nous unissait, Lyana et moi. Depuis la première fois où je l'avais vu s'asseoir à mes côtés dans ce beau manteau rouge, je m'étais demandé maintes et maintes fois comment tout cela était possible, comment nous faisions pour nous retrouver à chaque fois alors que nous n'étions pas au même endroit au même moment. J'en étais ressorti avec encore plus de questionnements.
Une fois, je décidai de briser la glace et je m'approchai d'elle alors que je la voyais rougir de plus en plus. Mais elle ne s'opposait pas à ce contact, sans quoi j'aurais arrêté directement. Puis lorsque ma main se posa sur son épaule, le corps de Lyana se mit à parasiter. Je fus pris d'un sursaut et reculai automatiquement. Nous ne pouvions pas nous toucher, comme si cette connexion qui nous reliait était fragile, instable.
Ce jour-là, je sentis que quelque chose s'était passé. Lors de mes rêves, Lyana revenait de moins en moins souvent sans que je sache pourquoi. Puis lorsque nous nous voyons, elle semblait, d'une certaine manière, beaucoup moins bavarde et expressive. Son visage si rayonnant d'habitude avait laissé place à une froideur que je ne lui connaissais pas comme si elle n'avait plus aucune émotion. Était-ce mon geste qu'elle avait jugé déplacé et qui l'avait poussé à s'éloigner ? Alors je lui avais posé la question et elle s'était approchée de moi, tellement près que j'en avais été décontenancé. Ses lèvres touchaient presque les miennes tandis qu'elle me regardait dans le blanc des yeux. Et des larmes avaient commencé à couler sur ses joues tandis que nous continuâmes à nous regarder, sans que je comprenne ce qui arrivait.
Suite à cela, elle pointa du doigt un élément dans le ciel. Lorsque je regardai, je dus plisser les yeux pour apercevoir ce qu'elle pointait du doigt car j'arrivais à peine à en discerner les contours. Et soudain, l'objet devint plus distinct. C'était un vaisseau qui approchait vers nous. Puis, en observant mieux, je me rendis compte qu'il était gigantesque et qu'il était entouré d'une véritable armada de petits vaisseaux de combat. Et l'inimaginable se produit. Les vaisseaux rasèrent les habitations qui avaient le malheur de se trouver en-dessous et rayèrent toute forme de vie de la carte avant de gagner le large.
Suite à leur passage éclair, il ne régnait plus que mort et désolation. De là où nous étions, je pouvais entendre les hurlements déchirants des familles dans la nuit. Toute forme d'espoir avait disparu. Et la scène se reproduisit des dizaines de fois alors que divers paysages se succédaient, de grandes métropoles aux villages les plus reculés, tous rasés face à la vague ennemie qui s'abattait sur eux.
J'essayai de comprendre mais Lyana se mura dans le silence, alors que ses pleurs avaient cessé. Peut-être que les réponses nécessitaient plus qu'une simple inscription dans le sable.
Toujours est-il que cela faisait maintenant plus d'un an que je ne l'avais pas vue dans mes rêves. J'avais bien espéré la voir en vrai mais j'avais depuis bien longtemps renoncé à cette idée. Alors que je pensais à elle et à ces terribles cauchemars dans lesquels la civilisation avait disparu, je revins à la réalité et m'emparai de mon arme pour aller livrer la bataille décisive qui s'annonçait aujourd'hui.
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