Criminels

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Je n'étais qu'un criminel. Aux yeux de l'État du moins. J'avais toujours été considéré comme un paria par la société. De ceux qui gênent, qui dérangent et que l'on voudrait ne pas voir au coin de sa rue. C'est en tout cas l'image que l'on avait toujours dressée de moi.

J'avais passé ma vie à quelques centaines de mètres de la belle cité d'Ekbow, celle que je défends bien des années plus tard au péril de mon existence. Mais la distance peut changer bien des perspectives. Nous étions plusieurs dizaines de milliers à vivre dans l'ombre de la cité dorée, de manière à ce que la lumière ne se reflétait que sur les grandes tours qui se dressaient telles des murs infranchissables face à nous.

La cité avait été bâtie tel un arc de cercle derrière les grandes instances gouvernementales et les bureaux d'affaires dans lesquels venaient se retrouver une foule d'individus qui essayaient tant d'être différents qu'ils en étaient tous étrangement semblables. Des gens nobles par leurs lignées qui regardaient le monde littéralement de haut avec un dédain affiché, des nouveaux bourgeois qui tentaient tant bien que mal de copier des codes qui n'étaient pas les leurs et des travailleurs qui avaient eu la chance d'obtenir un job dans cette vaste fourmilière mais qui se perdaient un peu plus chaque jour en son sein. Et au milieu de tout cela, des familles, des individus qui ne se connaissaient guère et vivaient uniquement dans le paraître.

Autour de ce premier cercle, les premières habitations apparaissaient, de luxueuses demeures au prix exorbitant, qui étaient le plus souvent transmises de générations en générations. Tous ceux qui essayaient d'y avoir accès mais qui n'étaient pas riches par naissances finissaient par se ramasser en tentant de combler des dettes. Les habitations se dessinaient ainsi dans des quartiers tous similaires les uns aux autres, construits en arcs de cercles de manière parfaitement agencée pour que chacun remplisse le rôle qu'il devait tenir dans la société.

Logiquement, plus on s'éloignait du centre, plus les maisons laissaient place à de grands immeubles dans lesquels s'entassaient un nombre incalculable d'individus, dans un confort incertain, avec un accès aux ressources restreint. Les quartiers résidentiels s'éloignaient au profit de rues moins propres, moins bien éclairées, moins bien organisées, moins fournies en commerces et moins bien desservies par les transports. De coins calmes où l'on pouvait voir un policier à chaque coin de rue minimum se succédaient des zones bien moins fréquentées où la seule loi était celle du plus fort. C'est-là que j'avais grandi.

Il aurait fallu s'éloigner encore des zones modestes, du genre de celles que je viens de décrire et qui me répugnaient tout autant que le centre de la cité. Ce n'était pas tant les endroits mais les gens que je méprisais. Et c'était une relation réciproque. Pour eux, les misérables comme moi ne valaient rien et devaient se tenir à l'écart des autres, en vivant dans les bidonvilles, des zones de non droits qui venaient délimiter les contours de la cité. C'est dans ces lieux mal famés, reclus du reste du monde que j'ai vécu. Et derrière, nous avions vu sur un désert qui s'étalait à perte d'horizon et devions subir la chaleur qui régnait en ces terres désolées.

Enfin, du moins, c'est ce que les médias propageaient à longueur de temps. Je ne peux pas dire que j'avais eu une enfance banale, ni même radieuse. Je n'avais pas eu l'enfance idéale que tant d'autres gamins auraient rêvé d'avoir. Je n'avais pas grandi dans le luxe, loin de là. Mais c'est dans la misère justement qu'on découvrait la bonté des gens. Et de ce point de vue-là, j'avais été très chanceux.

La vie n'avait pourtant pas été clémente avec moi au départ. Orphelin, j'avais perdu mes parents dans un incendie. Je n'avais pas d'autre famille. Nous avions bien des oncles, tantes et cousins quelque part mais je ne les connaissais pas et ils n'avaient pas cherché à me connaître. Pour les gamins comme moi à la rue qui n'avaient plus de parents, peu s'accorderaient à dire qu'on ous réserverait un avenir radieux. À juste titre car cette société ne nous avait jamais laissés d'espoir.

Pourtant, j'avais été recueilli. Pas par une famille classique non, avec un père, une mère et des enfants. Non. Plutôt le genre de famille des rues, des sortes de gangs avec des individus peu communs. J'avais grandi parmi des hommes et des femmes qui survivaient, se battaient pour leurs vies au quotidien. Alors, bien sûr, ce n'était pas des enfants de cœur loin de là. Ils étaient loin d'être irréprochables et certains avaient commis de terribles méfaits. Mais, au fond, je pense que ces crimes quels qu'ils soient n'auraient pu être pires que ceux commis par les hauts dirigeants de ce monde.

Je ne connaissais pas grand chose de la vie à l'époque. Mon quotidien se résumait à voler pour survivre. Mais plus le temps passait, plus mon appétit grandissait. J'en avais marre de devoir me contenter de soutirer des portefeuilles aux passants. Oui, je devais viser plus haut et prendre du galon. De par ma taille fine à l'époque, je parvenais facilement à me faufiler partout et à m'emparer de mon butin sans jamais me faire prendre. Et puis, je n'étais pas seul.

Avec mes compères, nous avions mis en place une technique bien huilée pour que personne ne puisse se douter de rien. Nous agissions en plein jour, au milieu de la foule, de préférence les jours où l'on pouvait à peine circuler. Inconsciemment, plus il y a de monde, moins les gens sont attentifs. Il est donc plus facile de pouvoir dérober des objets de valeur. Des montres, des bijoux, de l'argent... Il nous fallait toujours et toujours plus vite. Mais c'était sans compter nos précieux informateurs, des sortes d'espions au sein des services gouvernementaux qui nous révélèrent la visite surprise d'une famille princière richissime étrangère à la Cité. Une aubaine.

Nous étions divisés quant à la suite des événements. Certains clamaient que c'était une folie et que nous allions finir en prison voire être tués quand d'autres affirmaient que le trésor était trop beau pour reculer et que les conséquences en valaient la peine. Je me souviens avoir été des insouciants à l'époque, sûrement parce que j'étais encore très jeune, sortant de l'adolescence et que j'avais la folie de croire que le monde était à mes pieds. A cet âge, on se voit toujours plus grand, on se prend à rêver d'un monde meilleur en pensant pouvoir faire changer les choses mais l'on oublie que bien souvent, la réalité nous rattrape toujours.

La chute fut brutale. La source était fausse. Nos informateurs se révélèrent être des traîtres à la solde de l'Etat, payés grassement pour leurs méfaits, de telle sorte que rien ne changerait jamais. Résultat, des centaines de personnes furent arrêtées ce jour-là : des enfants furent séparés de leurs familles et dispatchés dans des familles aisées qui n'en avaient pas, des femmes furent violées et devinrent des maîtresses pour les agents de l'état et des hommes furent torturés et réduits à l'esclavage. La règle était simple : personne ne devait être tué car la pire punition était de supporter son existence.

Bien des personnes essayèrent mais aucune n'y parvint. C'était le châtiment qui nous avait été donné, de sorte à écraser les misérables comme nous, la vermine et à éviter qu'elle ne se reproduise, en régnant par la terreur et en ne tolérant aucune rébellion. Pas de tolérance pour les ennemis de la tolérance. Tel était le crédo.

Moi-même je fus arrêté. Pas assez jeune pour qu'on m'envoie dans une famille pour servir et devenir le parfait petit cobaye mais pas assez vieux pour qu'on me torture à souhait. Alors, qu'allait-on faire de moi ? Eh bien si, ils avaient trouvé. M'envoyer comme cobaye dans une expérience militaire inédite. Un moyen de me garder sous l'œil tout en exploitant pleinement mes capacités.

L'expérience était simple et cruelle : m'endormir, me placer un explosif dans la tête et m'obliger à exécuter tous leurs ordres. Sur le papier, c'était un plan diaboliquement parfait car si l'idée me venait à vouloir retirer l'engin, j'exploserai aussi simplement en finissant en confiture étalée sur le sol. Alors, j'avais dû obéir.

Au début, je ne comprenais pas bien pourquoi ils avaient fait ça. Enfin, pas sur l'aspect de torture évidemment car pour ça, ils se révélaient débordants d'imagination. Mais ce que je ne saisissais pas, c'est pourquoi ils avaient mis en place une telle opération. En effet, j'étais loin d'être le seul dans ce cas. Nous étions des centaines et allions plus tard nous révéler des milliers face au succès qu'avait engendrée cette expérience. En effet, nous allions remporter nombre de victoires et même si nous mourions, nous ne coûterions absolument rien aux autorités puisque nous étions de la main d'œuvre bon marché. Que des avantages pour eux.

Nous étions pris au piège, faits comme des rats et nous devions nous contenter de ce que nous avions. C'était la vie qui m'avait été imposée pour une erreur de jeunesse et parce que nos méfaits avaient été jugés comme des crimes inacceptables, passibles de châtiments bien pires que la mort aux yeux de ceux qui dirigeaient cette cité dorée. Je les haïssais, tout comme je haïssais encore plus ceux qui nous avaient trahis, parce que j'étais devenu leur arme de guerre. Et peut-être que je me haïssais encore plus de ne pas avoir été assez fort pour leur faire regretter et être devenu ce qu’ils attendaient de moi.

Je m'étais fait un nom tel un gladiateur dans l'arène. Quitte à crever, j'avais décidé d'être le meilleur. Alors peu importe ceux que j'abattais en face de moi, je finissais par me dire que chacun devait se battre pour sa vie. Et regardant l'horizon après plus de dix années d'apnée, dos à la grande cité d'Ekbow, les mains couvertes d'un sang qui n'était pas le mien, je me demandais : qui est le vrai criminel ici ?

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