Guerriers

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L'odeur du sang, la peur de mourir, la vue des cadavres... On a beau dire, même en tant que soldat, on ne s'y habitue jamais. Cette réalité si violente et si dure qui était la mienne depuis tellement d'années maintenant n'avait rien de normale. Je ne trouvais la paix que dans mes songes, lorsque je voyais le visage de Lyana.

Je n'avais aucune idée de l'endroit où elle se trouvait ni de qui elle était vraiment mais d'une certaine manière, j'avais l'impression de la connaître et le sentiment que tous nos échanges étaient bien réels. Mais je n'aurais su expliquer comment. Une sorte d'instinct, j'imagine.

Même si notre dernier échange remontait à il y a bien longtemps maintenant, j'étais certain que je la reverrais, et peut-être en vrai cette fois-ci. Je la voyais, dans ses habits, son corps, son visage, ses cheveux, son sourire. Tout cela provoquait un sentiment méconnu chez moi, que je n'avais encore jamais éprouvé jusqu'ici. Je m'imaginais avec elle, je m'imaginais la toucher, toucher cette peau frêle au contact de mes doigts, humer sa décilieuse odeur et sentir monter en moi l'envie folle de l'embrasser et de la prendre dans mes bras. Maintes fois, je m'étais imaginé cette scène dans ma tête : une scène d'amour, de désir intense l'un pour l'autre alors que je n'avais entendu même le son de sa voix. Mais quelque chose m'attirait irrémédiablement vers elle.

Je fus tiré de mes songes par le bruit d'une explosion qui me fit sursauter. À côté de moi, à 100m tout au plus, une tour de la cité d'Ekbow venait d'être percutée par un missile et s'écroulait sur le sol dans un bruit assourdissant, dégageant un immense champ de poussière. La situation était chaotique pour Ekbow. La cité était plongée dans une crise telle qu'elle en était totalement dépassée et que l'empire menaçait de s'écrouler.

Ekbow, pour le gouvernement en place, avait une position stratégique aussi bien d'un point de vue économique que politique. Si elle tombait aux mains de l'ennemi, c'était toute la crédibilité de l'État qui en prendrait un coup et qui menacerait les échanges commerciaux et financiers avec le reste du monde. Contrôler Ekbow, c'était avoir une emprise sur tous les territoires avoisinants puisque la ville était située en haut d'une colline surplombant les alentours, bordée par un fleuve qui se jetait lui-même dans l'océan. Une situation des plus enviables pour des enjeux capitaux.

Ekbow elle-même devait compter 5 millions d'habitants, dont 2/3 qui se tassaient dans les bidonvilles et quartiers pauvres dans lesquels j'avais grandi. La population ne faisait qu'exploser d'année en année, spécialement dans les endroits délaissés et abandonnés par l'État. Les pauvres se reproduisaient pour donner à un maximum de chances aux enfants la possibilité de vivre sauf qu'en moyenne, sur une portée de dix enfants, seul un survivait jusqu'à l'âge adulte. Les conditions de vie, le manque d'eau et d'hygiène, la famine, les maladies, sans parler des crimes commis en tous genres, suffisaient à maintenir ce chiffre exact. J'en avais vu des enfants qui étaient mes amis succomber et ne jamais arriver à maturité. J'étais un chanceux à ma manière, un miraculé. Même si l'on m'avait pris ma vie.

Malgré tout cela, je n'avais pas le choix, je devais me battre. Au fond de moi, même si je la ramenais beaucoup et que je faisais mon emmerdeur de service, je ne voulais pas mourir, en tout cas pas comme ça. Je ne voulais pas mourir pour ces enfoirés. Je voulais leur montrer à quel point j'aimais la vie et à quel point je me battrais pour elle. Je ne renoncerais pas tant que cette guerre ne serait pas finie et que je n'aurais pas fini mon devoir.

La vérité, c'est qu'en m'entraînant dur, très dur, j'étais devenu l'un des meilleurs. Pas pour leur petit plaisir non, mais parce que c'était le seul moyen d'alléger ma peine. Ils ne raisonnaient pas en nombre d'années mais en nombre d'ennemis tués. À cette pensée, je regardai mon bras droit et vis un compteur apparaître devant moi, dans les airs, affichant le score de "1 245 ennemis tués". Je n'en étais pas fier, mais je n'en avais pas honte non plus. Comme je l'ai toujours dit, je me battrai pour ma vie quoi qu'il en coûte.

Il ne me restait que 265 ennemis à tuer pour atteindre les 1 500 escomptés qui me permettraient de retrouver ma liberté. C'est en tout cas le deal qui avait été convenu et qui m'avait poussé année après année à massacrer jusqu'au dernier de nos ennemis. Mais était-ce seulement la réalité ? Ils me tenaient tel un lion dans une cage, qui ne peut rien faire que rugir dans le néant. Et je devais me libérer de mes chaînes et écarter ses barreaux qui m'entravaient et m'empêchaient d'avancer.

Face à moi se dessinait une vision apocalyptique que je connaissais que trop bien : dans le désert brûlant qui me faisait face, supportant les 80 degrés environnants, d'immenses chars de 5 mètres apparaissaient, avançant à une vitesse folle dans notre direction. Ce n'était pas juste quelques chars mais des colonnes entières qui se dressaient face à nous, et qui braquaient leurs canons dans notre direction, les obus venant s'abattre sur les bâtiments derrière nous et tuer des vies entières.

Je n'avais aucun état d'âme, ils pouvaient bien crever. Mais avant, je devais recouvrer ma liberté et je sais que l'ennemi ne nous ferait aucun cadeau. Ils ne prendraient certainement pas d'esclaves, à moins d'être d'une réelle utilité et de pouvoir servir leur cause. La légende disait que bien des soldats de nos rangs étaient passés dans les leurs et que ces traîtres devaient être exterminés en priorité. De mon côté, cela ne changeait rien. Je les tuerai pour atteindre mon quota. Eux ou d'autres.

Autour de moi, mes compagnons d'armes s'armaient déjà et visaient en direction de l'ennemi. Nous étions des milliers, vêtus de nos grandes armures métalliques qui nous faisaient passer pour des robots géants et nous rendaient visibles de loin. Même si je dois avouer que les armures n'étaient pas toujours pratiques pour se déplacer, il faut avouer qu'elles étaient impressionnantes et sacrément bien pensées. Elles recouvraient nos corps de la tête aux pieds et avaient vraiment été pensées pour le combat. Elles possédaient une vraie capacité de camouflage qui nous permettaient de nous mouvoir facilement sans être trop facilement repérés. En effet, elles prenaient la teinte du sable pour nous aider à nous dissimuler dans le désert par exemple.

De plus, au fil des années, les armures avaient été considérablement allégées et la technologie améliorée. Nous avions une infinité de possibilités dans une simple armure. Des munitions en profusion, un sniper, un fusil mitrailleur, un pistolet, un couteau et même un bouclier qui se cachait dans l'avant-bras gauche. Chaque armure avait été conçue avec précision et pour s'adapter à celui ou celle qui la portait. Dans chaque recoin de l'armure, il y avait une arme pour se défendre. Le sniper et le fusil mitrailleur se trouvaient dans le dos, tandis que le pistolet se trouvait sur l'avant. Le couteau se trouvait lui dans l'avant-bras droit et avait été pensé dans le cadre d'un corps à corps de dernière minute pour achever l'ennemi. Enfin, deux canons situés sur les omoplates étaient déployés en cas de besoin pour causer des dommages colossaux.

Dans chaque main, se cachaient également deux propulseurs qui servaient à s'élever dans les airs et à voler sur quelques mètres. Mais ces propulseurs servaient en cas de secours et n'étaient pas encore à la pointe de la technologie.

En somme, nous étions de véritables machines de guerre. Les hommes et femmes à l'intérieur n'étaient que des soldats qui se seraient fait massacrer sans même si nous avions tous des capacités spéciales. Le vrai savoir résidait dans la façon d'utiliser ces armes pour survivre et ne pas se faire tuer. C'est ainsi qu'au fil des années j'avais appris à les utiliser mieux que n'importe qui et à les manier avec précision dans le seul but de tuer.

J'entendis une alarme qui sonnait le début des hostilités et la riposte des troupes. Partout, je voyais des soldats armés de leurs armures se ruer en direction de l'ennemi et envoyer des missiles qui explosaient dans un tumulte sourd. Mais les ennemis étaient bien trop nombreux et bien trop armés. Les chars semblaient impossibles à être terrassés et roulaient à une cadence infernale dans notre direction. Il ne devait plus y avoir que quelques centaines de mètres qui nous séparaient d'eux.

Les soldats ennemis se trouvaient eux sur des vaisseaux qui nous mitraillaient sans limite. Déjà, des corps entiers explosaient dans les airs face à la violence des munitions qui les percutaient. Des morceaux étaient arrachés, des têtes découpées et le sang se répandait partout sur le sol. J'en avais partout sur moi, alors que je me jetais dans la mêlée. J'avais appris une chose pour survivre : il valait mieux la jouer stratégique. L'intérêt n'était pas de vouloir aller au combat coûte que coûte mais plutôt de tuer sans être tué.

Ces scènes de combats et de morts, je les avais vécues 10 fois, 100 fois, 1000 fois dans ma tête. Alors je décidai d'attendre. Ceux qui voulaient mourir pouvaient bien crever, ce n'était pas mon problème, seule ma vie importait. Mais il fallait que je retrouve l'escouade : Lenny, Beck, Tom et Sara. 10 ans que je ne les avais pas vus. Aux dernières nouvelles, ils étaient vivants. Mais comment les retrouver dans ce merdier alors que nous avions tous la même apparence et que nous étions tous concentrés à ne pas crever. Peut-être nous retrouverions nous sur le champ de bataille. En attente, il fallait que je ne pense qu'à une chose, ne pas crever.

Je décidai de voler un peu à l'aide de mes propulseurs. Au moment de les activer, je fus surpris de constater que mon armure avait été considérablement améliorée. D'autres propulseurs avaient été placés dans mon dos pour m'aider à prendre de la hauteur. Je décidai de les utiliser et je me rendis compte que pour la première fois de ma vie, je pouvais vraiment voler. Quel bonheur. Quelle sensation incroyable. Je me sentais libre tel un oiseau qui prend son envol et quitte son nid. Seule la vue effroyable de la guerre me maintenait à la réalité.

J'armais mes canons en direction de l'ennemi. Mais ce n'était pas seulement deux petits missiles qui en jaillirent et qui se propulsèrent en direction de l'ennemi, c'étaient des dizaines de missiles qui atteignèrent en une fraction de secondes les rangs ennemis et firent exploser des chars en plein vol. Je la sentais d'ici l'odeur de la mort, du sang en fusion. C'était tellement bon. Je n'osais même pas réfléchir aux paroles qui émergeaient dans mon esprit.

Qu'étais-je devenu ? À vouloir la mort de mes ennemis, à espérer en tuer le plus possible pour recouvrer ma liberté, à ne plus estimer la valeur d'une vie... N'étais-je pas devenu pire que ceux qui avaient créé ces armes effroyables ?

C'est dans ces pensées noires, sombres, avec une folle envie de tuer que je continuais inlassablement de jeter mes missiles vers l'ennemi, n'ayant aucune idée du nombre de vie que je terrassais en envoyant mes armes de la mort. Combien étaient-ils à périr sous le coup du feu ? J'essayais de me consoler en me disant que nos ennemis non plus n'en avaient que faire de nous et n'hésitaient pas à nous tuer sans remords. Mais qu'en savais-je réellement ? Je n'avais jamais vu ceux que je tuais. Je voyais juste ce maudit compteur augmenter.

Et alors que je continuais de mitrailler sans relâche, j'observais la scène qui s'offrait à moi alors que j'étais en suspension au-dessus du sol de plusieurs dizaines de mètres. Je n'étais plus concentré sur ma tâche initiale et c'est alors que j'aperçus quelque chose qui m'interloqua.

Là-bas, au loin, il y avait quelqu'un. Quelqu'un qui me regardait avec assistance. Un humain. Du moins une forme humaine. Qu'est-ce que foutait un être humain ici, sur un champ de bataille intergalactique ? Cela n'avait aucun sens. Je décidai d'utiliser ma supervision cachée dans le masque de mon armure. Et c'est alors que mon corps se raidit, que mes yeux s'écarquillèrent et que j'eus un cri de stupeur inaudible. Ce n'était pas possible... c'était elle : Lyana.

J'en étais sûr. Les années avaient passé, mais elle était restée la même et avait juste gagné en âge. D'adolescente, elle était devenue une femme. Je l'aurais reconnue entre 1000. Et alors que j'essayais de l'atteindre, je décidai de foncer dans sa direction sans lever la tête.

Que pouvait-elle bien faire ici ? Comment était-elle apparue ? Alors que je fonçais le plus vite possible, je vis son expression changer, son sourire s'évanouir alors qu'elle pointait le doigt dans ma direction. Au début, je pensais qu'elle me désignait seulement du doigt. Mais en retournant pour vérifier, je sentis mon corps se paralyser comme si un coup de jus se déchargeait intégralement dans mon corps. Je ne pouvais plus bouger. Et c'est alors qu'un missile arriva dans ma direction et vint exploser non loin de moi, me propulsant vers le sol.

La dernière vision que j'eus fut de voir Lyana qui poussait un cri de terreur alors que le noir envahissait tout mon champ de vision. Instantanément, je perdis connaissance et je fus plongé dans les ténèbres.

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