Lueur dans l'obscurité
Parfois, je me demande qui je suis réellement et quel est le sens de mon existence en ce bas monde. Jusqu'ici, ma vie n'a été qu'un gâchis. Je pensais être une sorte de mercenaire, soldat voué à tuer pour ne pas l'être. C'est ainsi que je résonnais. Mais les paroles du vieil homme ont tout changé et m'ont poussé à me questionner longuement sur ces questions sans réponses apparentes. Je ne connais même plus mon passé, comme si la vie que dépeignait le vieux sage était celle d'un autre. Pourtant, d'après les dires, il s'agit bien de la mienne.
Perdu dans le flou de mes pensées, cherchant à assembler des pièces de puzzle qui ne peuvent l'être, je regarde la lumière innondée ma cellule. Je me tiens dans 10 mètres carrées qui me paraissent plus étroits encore que l'armure que j'aie portée pendant bien des années. Je ne dispose que d'un matelas sur le sol, d'un seau qui me sert à faire mes besoins et d'une coupelle pour boire et manger. L'eau et la nourriture qui me sont donnés sont servis dans des quantités très réduites, de manière à me permettre de survivre sans trop m'affaiblir. Et je ne dispose que d'une fenêtre sur l'extérieur me permettant d'entrevoir la lueur du jour au milieu de l'obscurité totale de la cellule. Ce n'est pas tant les conditions qui me sont difficilement supportables, mais le fait de rester isolé pendant des heures, des jours sans avoir aucune notion du temps qui passe.
Alors, pour éviter de péter un câble, je me repose, je fais du sport jusqu'à être K.O pour m'entretenir et je me repose dès que possible. Mais voilà, au bout d'un moment, le temps devient long et alors je ne parviens plus à retenir ma colère. Une fois, je me suis énervé parce que je trouvais la nourriture immonde, et le garde ne s'est pas gêné pour me rappeler que je n'étais qu'un prisonnier en me déchargeant une quantité d'électricité suffisante pour me paralyser. La preuve étant que ça m'a servi de leçon et que je n'ai pas recommencé.
Mais, en plus des conditions difficiles, c'est le contact humain qui me manque. Alors certes, j'ai passé une grande partie de mon existence enfermé dans une armure à tuer sans vraiment avoir de contact humain, si ce n'est l'enfoiré qui me commandait à distance. Mais je parle de vrai contact humain. Pouvoir parler à un ami. Pouvoir étreindre le corps d'une femme. Pouvoir prendre dans ses bras un enfant. C'est comme si j'avais l'impression d'avoir connu ça dans une autre vie et pourtant, tout ce que mon existence me rappelle, c'est que je n'ai jamais éprouvé ces sensations, comme si elles m'étaient étrangères.
Et en ces instants de doutes, de remises en question incessantes, je ne pense qu'à elle. Lyana. Je n'ai jamais autant pensé à elle que maintenant. Et je ne cesse de me remémorer la scène où je l'ai vue sur le champ de bataille. C'était elle, j'en suis certain. Elle a un peu changé, elle semblait plus vieille, plus mature, devenue une jeune femme. Mais je la reconnaîtrais entre 1000. Je vois son visage, dans mes souvenirs. Tout ça n'est pas le fruit de mon imagination, c'est bien réel. J'en mettrais ma main à couper. Mais que faisait-elle ici ? Ça n'a aucun sens. Je me rappelle tout : ses yeux bleus azur dont je ne peux me détacher, ses longs cheveux bruns, tirant sur le noir qui descendent le long de son dos, son sourire qui me fait rougir, ses mains délicates... Comment oublier pareille sensation ? Comme dans mes innombrables rêves où je la voyais mais que je ne pouvais l'atteindre.
J'ai longtemps pensé que c'était un ange de par sa beauté ou une extraterrestre, habitante d'une galaxie lointaine. Mais aucune de ces théories ne tient la route bien évidemment. Lyana. La fille de mes rêves. Je me demande si je la verrai réellement un jour. Celle qui apaise mon existence. Celle qui me fait sourire et me donne de l'espoir quand la réalité n'est que frustration, colère et violence. Combien de fois ai-je rêvé de ce monde idéal, bien loin d'ici, avec elle, nous retrouvant tous les deux aux confins du monde, avec pour seul bruit celui de la brise mâtinale et l'odeur iodée de la mer. Pouvoir aller où nous voulons à bord d'un vaisseau, parcourant des terres arides avec pour paysage l'immensité du désert et nous rafraîchissant près d'un oasis. Ou bien d'aller nous installer dans un châlet sur les monts enneigés et de pouvoir côtoyer les cieux. Ou bien dans une petite maison donnant sur l'océan, infini, puissant. Peu importe le lieu tant que je suis à ses côtés et qu'elle est aux miens. Faire de ce rêve une réalité.
C'est sur ces belles pensées que je suis interrompus par le bruit d'une porte qui s'ouvre. Je ne peux rien apercevoir, la lumière du jour n'éclairant que le devant de ma cellule, m'empêchant de voir derrière. Puis j'entends des bruits de pas se rapprocher, sans aucun autre bruit. La porte de ma cellule s'ouvre et je me retrouve face au vieil homme, un soldat armé fermant la marche. Il lui fait signe de partir pour nous laisser seuls. Le soldat semble se montrer hésitant à obéir, peut-être face à la menace que je semble représenter, mais le vieil homme lui fait un sourire qui signifie qu'il n'y a aucun danger et qu'il peut rester s'entrenir seul avec moi. Sur ce, le soldat dispose et je me retrouve nez à nez avec mon juge.
Il prend tout son temps pour aller s'assœir sur le rebord face à moi. Ses gestes sont lents et mesurés, mais il semble en forme pour un homme de son âge. Je ne saurais dire combien il a précisément, mais il doit avoir au moins 70 ans. Peut-être même 75 ou 80. Ses cheveux blancs trahissent une calvitie déjà bien entamée et ses rides témoignent d'un certain âge. Mais il semble avoir garder une lueur de malice, le regard parfois presque innocent d'un enfant. Il me regarde dans les yeux, l'air impassible. Il semble lire au travers de moi plus que je ne parviens à lire en moi-même. Je suis curieux de savoir ce qu'il pense et ce silence me met mal à l'aise, alors je décide de prendre la parole en premier.
- Pourquoi me regardez-vous comme ça sans rien dire ? je demande, ne cachant pas le malaise qui me gagne.
- J'étais sûr que ça te gênerait, répondit simplement le vieil homme. Un regard insistant suffit souvent à déconcentrer l'attention d'une personne et à le mettre dans l'embarras.
- En effet...
- Enfin, je suis venu pour voir comment tu te portais. Comment se passe ton isolement ?
- À merveille, je vous remercie de vous soucier de mon malheur. Vous êtes sûrement le seul ici, d'ailleurs.
- Tu n'as pas perdu ton humour, au moins, malgré toutes ces années. Tu es toujours cet idiot têtu, arrogant et provocateur aussi.
- Eh bien, vous savez parler aux détenus qui n'ont plus rien à perdre, vous... Vous savez qu'il me suffirait de quelques secondes pour vous tuer ?
- Oui, bien sûr, et moitié moins à mon soldat pour te liquider.
Le vieil homme reste imperturbable malgré ses pics. Je suis étonné de son calme, que je prendrais presque pour de la nonchalance. Mais non, ce n'est pas le cas, il sait où il va. Il sait manier la discussion pour l'orienter là où il la souhaite. Il n'y a pas de doute, c'est bien un homme respecté et je comprends ce que les autres peuvent entrevoir en lui. Ce n'est pas seulement une question d'âge et d'expérience de la vie. Il dégage à la fois quelque chose de profondément bienveillant et humain, et en même temps il semble être un homme déterminé et placide. Le chef parfait, du moins s'il l'est.
- Comment vous appelez-vous ? je demande, réalisant que je connais même pas le nom de l'homme grâce à qui je suis sûrement encore en vie à l'heure actuelle.
- J'ai bien des noms pour les gens, beaucoup m'appelant par le nom de ma position au sein de notre clan, à savoir "commandant". Peu de gens connaissent mon véritable prénom. Tu le savais autrefois, mais c'est une chose que tu as aussi oubliée. Je m'appelle Jonathan, mais tu peux m'appeler John. Et tu peux me tutoyer aussi, je ne suis pas ton chef, Ethan.
- John... En effet, je ne me rappelle pas avoir déjà entendu ce nom... Ma mémoire me fait défaut et j'ai l'impression que ça ne s'arrange pas avec le temps. Vous, Tu... Tu disais que nous nous connaissions toi et moi autrefois. Qui étais-je pour toi ?
- Je te l'ai dit, nous étions meilleurs amis. En vérité, nous étions même comme des frères. Nous passions notre temps ensemble, à refaire le monde, imaginant une vie sans guerre, sans morts, loin de la brutalité de ce monde. Tu avais déjà cet objectif ultime de retrouver Lyana. C'était comme une obsession que tu ne pouvais t'enlever de la tête. Honnêtement, j'avais peur qu'elle t'obsède au moins que tu oublies ton peuple, que tu m'oublies aussi, car tous te voyaient comme leur chef. Mais... la vie en a décidé autrement et tu es devenu le despote d'Ekbow. Je regrette que tu aies été dans le flou toutes ces années, sans avoir conscience de ce qui se passait réellement...
- Je savais ce qui se passait.
Je marquai mes mots d'un silence qui alourdit l'atmosphère de la pièce. Je regardai le dénommé John dans les yeux. Tout sourire de son visage avait à présent disparu. Il me dévisageait droit dans les yeux, sans ciller, et je ne parvenais toujours pas à savoir ce qu'il pensait.
- Du moins, je savais que je tuais des gens, repris-je. Beaucoup, beaucoup de gens. Je savais que je tuais, massacrais, exécutais d'autres personnes sans les connaître, sans chercher à imaginer les conséquences de mes actes. Je luttais uniquement pour ma survie, par peur de mourir à mon tour. J'aurais pu me rebeller mais je n'ai pas agi à cause de la peur. Cette peur qui me hantait inlassablement... Alors, John, s'il-te-plaît, ne crois pas que je suis un homme bon.
- Sur ça aussi, tu n'as pas changé, se contenta-t-il de répondre. Tu es toujours aussi dur avec toi-même. Et tu ne vois que la noirceur en toi, qui a été décuplée par les actes que tu as commis et la vie que tu crois avoir menée. Mais ce n'est pas le Ethan que je connais. Le Ethan que je connais est un homme courageux, qui se bat pour ses idéaux et qui est prêt à se sacrifier pour eux. Le Ethan que je connais est un homme attentif, altruiste et généreux, bien loin de tout ce que tu peux penser de toi-même. Le Ethan que je connais ne renoncerait pas et se battrait pour sa vie et celles de ses proches...
- Mais le Ethan que tu connais est mort et enterré... Resté là où on l'a arraché à sa vie et devenu depuis un meurtrier.
- Ce n'est qu'une partie de ton existence et sûrement pas une fin en soi. Tu as encore la vie devant toi pour réparer tes erreurs et trouver un sens à tout ça.
- Ah oui, tu le penses vraiment ?
- La preuve en est que tu as tenu dans cette cellule depuis 1 mois et que tu n'as pas renoncé.
1 mois... Le temps me paraît tellement abstrait en cet instant.
- Et pourquoi me retenez-vous captif ? je demande. C'est une sorte de test avant de m'envoyer sur la potence ?
- Tu crois bien que si nous voulions te tuer, nous l'aurions déjà fait, non ? Et je n'éprouve aucun plaisir à voir un vieil ami croupir dans une cellule moisie. Mais tout ça ne tient pas qu'à moi. Je ne vais pas te le cacher, et tu dois t'en douter, plus d'un aimerait déjà te voir mort, voire te torturer... Mais, ils ne connaissent pas l'homme que je connais, ils ne te voient que comme un ennemi qui leur a fait du mal, tuant des proches à eux. Et je ne peux pas leur en vouloir. Mais j'ai envie de te donner une seconde chance et de prouver à ceux qui ne croient pas en toi ou qui doutent, qu'ils ont tort. Alors nous allons faire en sorte qu'ils y croient vraiment.
- Ah oui ? Et comment ça au juste ? Qu'attendez-vous réellement de moi ?
- Je te l'ai déjà dit, tu devras nous aider à mettre fin à cette guerre.
- Oui, ça j'ai déjà entendu... Mais comment un homme peut-il changer la donne ? Je n'ai pas de superpouvoirs, je n'étais qu'un homme dans une machine de guerre.
- Tu ne sais pas tout, Erwan, du moins tu ne réalises pas encore bien des choses. Je te garantis que grâce à toi, la tendance peut s'inverser. Les gens d'ici ne souhaitent qu'une chose avant tout : la paix. Mettre fin à ces carnages, ces morts inutiles. Arrêter cette violence inouïe, d'envoyer nos enfants à l'abattoir. Mais Ekbow ne nous fera pas de cadeau, alors c'est à nous de mettre fin à tout ça. Et ce n'est qu'avec ton aide précieuse que nous y arriverons.
- Si tu le dis... Et qu'est-ce que je dois faire pour ça ?
- Faire tes preuves, gagner la confiance de ces gens. Ce sera dur, très dur, peut-être impossible même au vu des dégâts. Mais je crois en toi et je pense que nous sommes prêts de découvrir l'ultime vérité.
- Laquelle au juste ?
- De comment nous nous sommes tous retrouvés ici, sur ces terres désolées perdues dans l'espace. Et comment nous ferons pour repartir. Il n'y a qu'avec toi que nous pourrons élucider ce mystère, trouver cette lueur d'espoir dans l'obscurité de ce vaste monde.
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