Mourir peut attendre

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Quelques jours plus tard, je fus libéré. Enfin, pas une liberté comme vous l'entendez où j'aurais pu fuir loin d'ici, laissant derrière moi mes ravisseurs et tous ces souvenirs désagréables. Mais plutôt une liberté conditionnelle.

Je ne sais pas vraiment ce que les gens espéraient de moi. Peut-être rien. Peut-être que John était le seul qui croyait encore en moi, se fiant à un homme qu'il avait connu mais qui n'était plus moi. Au fond, je me demandais si tout ce qu'il racontait était vrai. Comment se fier à quelqu'un que je connaissais pas, du moins que je ne me rappelais pas connaître ? Mais en même temps, quelle était l'autre option ? Croire Ekbow et ses dirigeants corrompus qui m'avaient utilisé comme une machine à tuer toute ma vie, m'enrôlant tel un veau destiné à l'abattoir ? Sans parler du fait qu'ils m'avaient manipulé, menti au point que j'en oublie de penser par moi-même et que j'agisse comme un lâche pas peur de mourir ?

Non, je ne pouvais pas retourner ma veste encore une fois. Quelque chose au fond de moi souhaitait un changement drastique. Étaient-ce les paroles de John qui avaient porté leur fruit et m'avaient poussé à réfléchir longuement à la situation ? Probablement. Du moins, je m'étais rendus compte de certaines choses. Et puis, je n'avais pas vraiment d'autre choix. Où aurais-ju aller ? Retourner à Ekbow reviendrait à se tirer une balle dans le pied puisque j'aurais été arrêté dans le meilleur des cas ou exécuté dans le pire. Je n'étais pas le seul soldat et même si j'avais fait des prouesses sur le champ de bataille, je n'étais pas indispensable. Dans ce système, personne ne l'était, vous n'étiez que de la chair à canon.

Mon autre choix aurait été de partir loin d'ici. Mais encore une fois, pour aller où ? J'aurais pu vivre en nomade, espérant survivre sur ces vastes landes isolées dont je ne connaissais rien. Mais combien de temps aurais-je survécu ? Ce n'était pas une vie. Et au fond de moi, j'étais curieux, je voulais découvrir la vérité sur ce monde, en apprendre plus sur celui que j'étais et sur la vie que j'avais menée. Peut-être faisais-je fausse route, peut-être me mentait-on à nouveau pour m'utiliser à nouveau mais au fond, qu'avais-je à perdre ? Rien.

Lorsque mon isolement pris fin et que je sortis enfin de cette cellule pendant un temps qui m'avait paru bien trop long, je fus décontenancé. Les premières heures furent compliquées. On me déplaça de pièce en pièce de force sans que je sache pourquoi. J'en avais déduit que c'était pour tester à nouveau ma patience et m'empêcher de croire que j'étais à nouveau un citoyen libre jouissant de ses droits. Non, certainement pas. Je savais que j'allais en chier.

Et ce fut le cas. Je fus enrôlé dans l'armée de terrain. Apparemment, on voulait m'envoyer sur le champ de guerre en première ligne pour faire mes preuves. Si je mourrais, tant mieux, si je survivais, pas grave. Je voyais que cette logique plaisait à bon nombre de mes compagnons d'armes qui me regardaient tous à peu près de la même manière, en fronçant les sourcils, en me regardant de haut et en n'hésitant pas à m'injurier à la moindre occasion. Si ce n'était que ça, ça allait. Je comprenais leurs réactions mais je m'en fichais et décidais de les ignorer. Mais bien évidemment, cela ne plaisait pas à certains qui s'empressèrent de me le rappeler à coups de croche-pieds et à me provoquer. Mais le pire, c'était dans les dortoirs.

Concernant les entraînements militaires, j'étais logé à la même enseigne que leurs autres soldats, femmes comme hommes. Nous en bavions tous et devions réaliser des parcours du combattant à longueur de journées pour dépasser nos limites. Jusqu'ici, rien d'extraordinaire. Seulement, ces entraînements étaient couplés à des séances d'abdos, de pompes et de gainages jusqu'à ce que nous ressortions complètement épuisés, pouvant à peine marcher debout. Ce qui décuplait l'énervement de certains alors que nous rentrions tous complètement exténués aux dortoirs le soir après une longue journée d'exercices épuisants.

Et un soir, alors que je dormais d'un sommeil lourd, je fus réveillé par un soldat que j'avais reconnu comme étant un grand chauve avec une cicatrice en travers de l'œil et qui avait l'air d'utiliser davantage ses muscles que son cerveau. Au premier regard, j'avais compris qu'il voulait ma peau. Et j'émergeai de mon sommeil en voyant ce grand gaillard qui me regardait avec un regard mêlant haine et folie, m'empoignant les cheveux d'une main et tenant un couteau de l'autre qu'il plaça juste sous ma gorge.

- Pas un mot ou je te saigne, me murmura-t-il dans l'oreille. Suis-moi gentiment sans faire de vague si tu tiens à la vie.

Je n'eus d'autre choix que d'accepter. Je n'étais pas dans une bonne posture pour riposter, avec un couteau si proche de ma gorge. Je me pliais donc aux exigences du colosse sans demander mon reste. Il m'emmena dans les douches collectives avant de me faire signe de m'arrêter alors que la salle était plongée dans l'obscurité. Je savais déjà que j'allais passer un mauvais quart d'heure et je savais que nous n'étions pas que tous les deux.

Bientôt, d'autres hommes émergèrent de l'obscurité et vinrent se mettre à ses côtés. D'un coup, tous ceux qui paraissaient dormir paisiblement avaient émergé de leur sommeil. Ils me regadraient avec des yeux plein de fureur, prêts à en découdre d'un instant à l'autre. Ils n'attendaient qu'un ordre venant de leur chef, le grand gaillard qui m'avait personnellement amené ici.

- Tu vas regretter d'être encore en vie, souffla ce dernier et ne dissimulant pas son plaisir. Tu aurais dû te suicider quand tu en avais encore la possibilité. Te laisser en vie était une erreur monumentale, tu n'es qu'un enfoiré de...

- Excuse-moi de t'interrompre, Teddy, c'est bien ça ? répliquai-je sans attendre de réponse. Peu importe ton nom finalement, tu n'es qu'un con de plus. Écoute, je comprends ta colère. J'aurais sans doutu voulu en découdre aussi face au connard qui aurait tué tant des miens. Alors personnellement, je ne sais pas ce que je t'ai fait mais j'ai saisi l'idée. Alors je peux parler longtemps mais est-ce que ça en vaut la peine ? Vous n'allez pas changer d'avis maintenant... Alors qu'est-ce que vous attendez au juste ? Qu'on en finisse une fois pour toute.

Ces mots parurent ravir Teddy qui sourit alors que les autres se regardaient interloqués sans trop comprendre si j'étais fou, suicidaire ou bien les deux. Toujours est-il qu'il ordonna l'attaque et que cinq de ses compères se ruèrent sur moi, tandis que lui attendait en retrait. Au début, je parvins sans trop de difficultés à parer leurs attaques car ils n'avaient aucune idée de ce qu'ils faisaient. Ils m'attaquaient de façon complètement désordonnée, sans réflexion, ce qui m'avantageait. Je devinais facilement leurs mouvements et je n'avais qu'à parer leurs attaques en leur donnant tantôt un coup dans la jugulaire, tantôt dans le nez, tantôt dans les parties génitales. Efficace, mais simple. Seulement, j'avais oublié ce bon vieux Teddy qui n'hésita pas à me prendre en traître dans le dos et à m'asséner un coup de massue à l'aide d'une barre en métal qu'il avait caché dans son pantalon jusqu'ici.

Le reste fut malheureusement bien moins en ma faveur. Ce coup inattendu me projeta au sol et me sonna assez pour que Teddy me prenne par les vêtements et m'envoie valdinguer aux quatre coins de la pièce. Alors que j'étais jeter tel un objet au travers de la pièce, je sentis mes os craquer, mes muscles se tendre. Il finit par s'assœir sur moi et me ruer de coups jusqu'à ce que je perde connaissance alors que ses compagnons étaient tous à terre, se relevant pour certains avec difficultés, titubant. Ce fut la dernière chose que je vis.

Le lendemain, lorsque je me levai, je fus réveillé par la lueur du soleil. Je me trouvais complètement nu en plein milieu de la nature. Je remarquai que je n'étais pas très loin du camp et qu'une bonne marche m'attendait. Mais voilà, je fus pris d'une terrible douleur. Je ne pouvais voir mon état mais j'arrivais à peine à ouvrir les yeux. Je sentais que mon visage était boursouflé, que j'avais des yeux au beurre noir, que du sang affluait de ma bouche et que certains de mes dents étaient cassées. Sans parler de tout le reste de mon corps qui n'était que synonyme de douleur. Je tentai de me mettre sur mes deux jambes mais la douleur était tellement insupportable que je ne pouvais tenir debout.

Je tentai plusieurs fois sans succès. Je n'avais jamais été humilié de la sorte, mais pour le moment je ne pensais qu'à une chose, survivre. On m'avait laissé ici pour mort, il fallait que je montre que je me battrais pour ma vie à tout prix. Je songeai à appeler à l'aide mais je n'arrivais même pas à formuler des mots distincts alors demander à l'aide aurait été vain. Et puis qui aurait voulu m'aider dans cet état : nu et complètement défiguré ?

Au final, je réussis à me mettre sur mes deux jambes même si je finissais par m'écrouler et à ramper au sol pour mieux avancer. C'était une situation terrible mais je ne pouvais réfléchir à ma vengeance. La première vengeance à accomplir serait de rester en vie alors que tous me voulaient mort. Alors je rampai comme ça pendant des minutes, des heures, marchant lorsque j'y arrivai même si j'avais l'impression qu'on m'avait cassé les jambes, jusqu'à me rapprocher assez du camp pour en discerner les contours.

Il était constitué de quatre tours jumelles réparties chacune à un angle et était entouré d'un grand mur en béton autour pour le protéger des intrusions. Tout cela me paraissait bien inutile en cas d'invasions de soldats dans des machines de guerre pouvant terrasser le camp en peu de temps. Mais pourtant, ils étaient toujours là à se battre, malgré les pertes immenses au fil des ans.

Le camp était plus grand qu'il ne le paraissait. On devinait des habitations, tantôt de petites maisons, tantôt de grands immeubles. Une vraie communauté s'était construite entre ces quatre tours et ces murs. Et elle avait survécu malgré les horreurs de la guerre. Je ne savais combien de milliers de gens vivaient en son sein mais c'était des générations entières qui cohabitaient en parfaite harmonie. Chacun avait son rôle précis pour contribuer au bien-être de tous et à l'épanouissement de cette fragile société.

Je m'étais interrogé sur le fait qu'Ekbow était au courant ou non de l'existence de cet endroit. De ce que je me souvenais, je n'avais jamais franchi ces murs avant d'avoir été enlevé. Pourtant, tout cela me paraissait étrangement familier que je l'ai connu dans une vie précédente comme le soutenait John ou en tant que soldat envahisseur dans celle-ci. Toujours est-il qu'il ne valait mieux pas qu'Ewbow connaissance l'existence du camp car ils auraient envoyé des soldats rayer son existence de la surface de la carte, détruisant les habitants et exterminant ses populations, enlevant celles et ceux qui pourraient être enrôlés comme soldats. Comme je l'avais été. C'était leur manière de faire.

Je pensais alors aux habitants du camp. Ces enfants qui n'avaient pas demandé à naître ici et à être envoyés tels du bétail destiné à être tué dans une guerre qui les dépassait. Ces femmes qui se battaient aux côtés des hommes et risquaient de voir leurs progénitures être réduites en bouillie. Ces hommes qui, la peur au ventre, étaient envoyés sur le front et avaient une forte chance d'y rester. Je me voyais à leur place, sans armure pour me protéger. Je serais sûrement déjà mort.

Alors même si là, je me trouvais nu dans le désert et que certains d'entre eux m'avaient clairement fait comprendre que je ne méritais pas de seconde chance, je me disais que je n'avais plus rien à perdre et que ces gens valaient peut-être la peine qu'on se batte pour eux. Car si certains avaient vu la réalité de cette horrible guerre, ils savaient que leurs proches n'y survivraient pas et que tôt ou tard, Ekbow viendrait jusqu'ici pour tout décimer.

C'est au milieu de mes pensées que je fus interrompus par le cri de soldats au loin qui pointaient leurs doigts dans ma direction. Je n'étais plus très loin du camp, ils avaient clairement dû m'apercevoir. Après tout, on ne voyait pas tous les jours un homme nu ramper dans le désert. Alors que j'étais assoiffé, affamé et que le soleil me brûlait la peau, je perdis à nouveau connaissance, alors que je voyais des soldats affluer dans ma direction.

Lorsque je repris connaissance, je me trouvais dans le fourgon d'un camion et je franchissais la porte centrale du camp appelé "Talyssa". C'était donc le nom de cet endroit perdu au milieu de nulle part, loin du vacarme incessant des coups de feu, mais loin de tout paradis. En cet instant où j'avais à nouveau survécu, je me disais que mourir pouvait attendre.

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