Ayden

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Un mois passa, puis un autre, pendant lesquels je suivis mon entraînement militaire de près. Mon intégration ne fut pas facile mais petit à petit, je parvenais à m'adapter à ce nouvel environnement. Pour la première fois depuis longtemps, peut-être pour la première de ma vie, je ressentais une forme de quiétude au fond de moi. Moi qui n'avais toujours connu que la rage et la violence de la guerre, voilà que j'apprenais à aimer les choses plus simples de la vie, au travers des foules qui déambulaient dans les rues de Talyssa.

Bien sûr, je ne m'y méprenais pas, nous n'étions pas en paix et je n'étais pas un citoyen comme les autres. On me l'avait fait clairement comprendre quelques mois plus tôt. Les gens me dévisageaient encore souvent, murmuraient sur mon passage, mais au final, nombre d'entre eux avaient fini par s'habituer à ma présence et à vivre avec. D'une certaine manière, je m'étais intégré parmi eux.

Je ne m'étais jamais senti aussi bien que le jour où j'avais fait la rencontre d'un petit garçon qui ne devait pas avoir plus de dix ans et qui avait laissé échapper un ballon qui était venu jusqu'à moi. Je lui avais rendu et tendu tranquillement. Il l'avait pris mais au lieu de prendre la balle avec lui et de partir, il l'avait posé au sol et m'avait regardé en me détaillant du visage, avec une curiosité bien affiché que seuls les enfants peuvent se permettre d'avoir. Il se passa quelques secondes avant qu'il ne prenne la parole en ajoutant :

- C'est toi le monsieur inconnu dont tout le monde parle ? avait-il demandé.

Je fus pris de court par cette question et je cherchai du regard si cet enfant n'était pas avec ses parents ou ses frères et sœurs, mais apparemment il était tout seul. Il se contentait de me fixer droit dans les yeux, attendant patiemment une réponse. A croire qu'il ne bougerait pas tant qu'il ne l'aurait pas.

- Mhh, oui ça doit être moi dans ce cas, répondis-je en faisant un sourire en coin.

Il continua à m'examiner, songeur.

- Je comprends pas pourquoi les adultes disent que tu es un méchant, dit-il en faisant la moue. T'en as pas l'air.

- Alors c'est ça ce que les adultes disent de moi ? rétorquai-je, pas très surpris de découvrir ce que les autres pouvaient penser de moi. Et toi, t'en penses quoi ?

- Je sais pas, t'as l'air plutôt sympa. Et je trouve pas ça cool que tu sois seul.

Là je fus décontenancé. Je ne m'attendais pas à un geste de sympathie ici. Jusqu'ici, les seuls rapports que j'avais pu entretenir avec les habitants se limitaient au vieux John et mes camarades militaires quand ils décidaient de ne pas m'ignorer. Mais jamais je n'avais eu une véritable discussion avec un habitant et encore moins un enfant.

Ce gamin se tenait face à moi, vêtu d'un simple tee-shirt blanc tâché, témoin des heures qu'il avait dû passer à jouer dehors avec ses amis. Son short vert kaki et ses chaussures étaient aussi abîmés mais cela n'avait pas l'air de le préoccuper. Ses cheveux blonds se dressaient sur sa tête et se battaient en duel. De toute évidence, ce garçon n'avait pas l'air de baigner dans la richesse. Et je continuais à me demander où étaient ses parents que je n'apercevais toujours pas. Il semblait que personne ne se préoccupait de lui.

- Ben, le truc, c'est que personne n'est venu réellement me parler, me confiai-je. Tu es le premier avec qui je tiens un peu de conversation. Comme tu dis, je ne suis pas vraiment le bienvenu ici...

- Ouais, bah c'est qu'ils sont idiots, les adultes, répondit-il du tac au tac, provoquant un sourire chez moi, alors que je m'y attendais pas.

J'avais oublié à quel point les enfants peuvent être francs et se fichent de montrer leurs émotions et leurs ressentis. C'est quelque chose que j'appréciais particulièrement en ce moment.

- Et toi, qu'est-ce que tu fais à cette heure-ci dans la rue ? demandai-je. Il fait presque nuit, tu devrais rentrer, ta famille va s'inquiéter. Et puis, je ne suis pas vraiment une bonne fréquentation.

- Je m'en fiche ! répondit-il, laissant échapper une pointe de colère dans sa voix. Je n'ai pas besoin de leur autorisation, je peux me débrouiller tout seul. Et... Je... Je voulais savoir si tu voulais bien jouer avec moi ?

Je le vis rougir suite à cette demande et ses yeux bleu clair fixaient le sol. De toute évidence, il avait dû mettre sa fierté de côté pour me proposer cela. Je souris et m'approchai de lui, m'accroupissant à son niveau tout en lui touchant l'épaule.

- J'accepte avec plaisir mais à une condition, tu dois me dire comment tu t'appelles.

- Je... Je m'appelle Ayden.

Le dénommé Ayden semblait avoir du mal à me donner son prénom. Mais je lui répondis par un simple sourire et me relevai.

- Enchanté, Ayden, moi c'est Ethan. Qu'est-ce que tu dirais d'aller taper la balle ensemble ? Je me mets aux cages et tu tires. Tant que tu marques, tu gagnes mais si j'arrête ton tir, tu prends ma place, ok ?

- Ouais, t'as aucune chance, Ethan ! Je vais t'éclater !

Je ne sais combien de temps dura cette partie. Une heure, sûrement plus. Je ne m'étais pas autant amusé depuis longtemps. Pas parce que je jouais non, mais parce que pendant cet instant avec Ayden, j'oubliais tout. J'oubliais ma vie passée et mes cauchemars perpétuels où je me voyais, tel un monstre sanguinaire, abattre des innocents à l'aide de mon armure de combat. Pendant ces quelques moments de légèreté, il me suffisait de regarder Ayden, focalisé sur ses performances et son envie de marquer, pour comprendre que ces souvenirs revêtaient une importance toute particulière. C'est comme si je les avais déjà vécus. Mais encore une fois, je ne me souvenais de rien. Lorsque la partie fut finie, nos chemins se séparèrent, Ayden rentrant de son côté et moi du mien. Nous nous étions arrêtés au moment la nuit était devenue tellement noire que l'on ne voyait plus rien, à tel point que les lumières n'éclairaient plus le terrain sommaire que nous avions construit et les deux poubelles qui faisaient office de cage.

Quand la partie fut finie, Ayden partit en courant en me saluant de la semaine, un large sourire en travers de son visage. Ces quelques instants de plaisir m'avaient fait oublier que j'avais trouvé étrange que ce garçon semble aussi autonome, comme si personne ne l'attendait chez lui. Pourtant ici, les gens n'étaient pas du genre à laisser traîner leurs progénitures dehors. Alors qu'est-ce que ce petit pouvait bien faire dehors, seul ?

La nuit qui suivit, je ne pus m'empêcher de cogiter. Je pensais à ce gamin livré à lui-même dans les rues de la ville. Un gamin dans ce genre de situations n'a pas 10 000 options. Soit il survit tant bien que mal, livréà lui-même, soit il fugue de chez lui. Et pour ces pauvres enfants, la vie n'est pas clémente et il est rare qu'ils atteignent l'âge adulte. Quelles étaient les chances de survie pour un gamin chêtif et intrépide comme lui ?

Mes pensées s'entremêlèrent durant la nuit, passant d'Ayden à des visages humains difformes qui criaient dans ma direction, des bras qui tentaient de m'attraper et de me ramener vers eux. Tous ces gens qui formaient des masses gigantesques d'individus enchevêtrés les uns sur les autres et qui s'étendaient à perte de vue. Je ne savais pas qui étaient tous ces pauvres gens mais je comprenais vite qu'ils étaient dans une véritable situation de détresse et qu'ils souffraient le martyre. Ils hurlaient à la mort, agonisant sans que quiconque ne puisse les aider, même pas moi. Je me contentais de regarder ce spectacle macabre sans intervenir, sans les aider. Pire même lorsque je réalisai que je n'étais plus Ethan, mais désormais le soldat vêtu de son arme robotique voué à tuer. Et dès cet instant, ce fut comme si j'étais possédé par une force extérieure : ma vision se troubla, mes bras s'agitèrent en tenant quelque chose de lourd et tout à coup, des flammes immenses jaillirent devant mes yeux effarés. Ce spectacle me terrifiait et me donnait la chair de poule tandis qu'une odeur indescriptible emplit mes narines, une odeur de mort.

C'est à ce moment que je me réveillai en hurlant, en sueur, dans mon lit. Par chance, je ne réveillai personne car depuis les incidents de la dernière fois, John avait pris soin de me trouver un lit à l'écart pour éviter toute nouvelle tentative d'intimidation. Ce cauchemar, je le faisais de plus en plus souvent. Mais jamais, je ne l'avais fait avant d'arriver ans cette cité de Talyssa.

A Ekbow, bien que mes souvenirs soient apparemment falsifiés, je ne faisais jamais de cauchemar. En réalité, je ne me rappelle de rien hormis de Lyana. Le seul rêve que je faisais pendant toutes ces années et qui m'apportait cette dose de bonheur en dehors de mon existence, en dehors du temps, loin de la guerre, loin de ce monde chaotique.

Tout le reste de la nuit, je ne pus me rendormir. Un coup, je fixais le plafond les yeux grands ouverts, un coup, je regardais la nuit au dehors. Mais je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Ce cauchemar me tétanisait et me faisait comprendre que tous ces gens dans mon rêve étaient sûrement ceux que j'avais tués autrefois. Je ne savais même pas qui étaient toutes ces personnes, des enfants, des femmes, des hommes... Que sais-je. Aujourd'hui, je ne pouvais me voiler la face. Mon passé était e qu'il était mais il ne définirait pas le reste de ma vie. Et à cet instant, je ne pensais qu'à lui : Ayden.

Le lendemain, je décidais de le chercher. Je ne sais pas trop dans quel but, mais au moins m'assurer qu'il allait bien et qu'il avait survécu. Je ne sais pas pourquoi j'étais pris d'inquiétude vis-à-vis de ce garçon que je connaissais même pas. Peut-être parce qu'il me rappelait moi autrefois, quand j'avais son âge et que je ne me souciais de rien à part de ma survie.

Toujours est-il que je le cherchai sur mes heures de pause mais sans succès. Je fis le tour de la cité qui avait été conçue dans les parois d'une immense grotte souterraine. Cet endroit était absolument fascinant. Au sein de cette grotte naturelle, la cité de Talyssa avait été fondée et cachée aux yeux du monde de telle sorte que sa porte centrale se confondait avec le décor environnant. Personne ne connaissait son existence hormis ceux qui y vivaient. Le secret de son emplacement avait toujours été gardé pour éviter que des intrus ne s'y faufilent. J'étais sûrement l'une des rares personnes extérieures à avoir foulé ce sol et être toujours en vie pour témoigner.

Tandis que je défilais entre les ruelles escarpées bâties au sein de cette magnifique cité minière, dévoilant tantôt des immeubles, tantôt de grandes résidences, tantôt des abris de fortune, je ne trouvai Ayden nulle part. J'allais renoncer lorsque j'entendis des cris non loin de là. J'accourus dans leur direction.

Lorsque j'arrivai, je trouvai Ayden en mauvaise posture, entouré de trois hommes vêtus d'un uniforme qui s'apparentaient à celui de la milice locale. Tous étaient armés d'une arme à feu qu'ils portaient à la ceinture comme une menace. Je n'aimais pas ce que je voyais et c'est pourquoi je ne pus m'empêcher d'approcher.

- Ah, vous avez retrouvé mon fils ! criai-je dans leur direction alors que je m'approchais.

Les trois hommes semblèrent décontenancés par ma présence, et se retournèrent à la hâte pour me faire face, deux d'entre eux ayant mis la main sur leurs armes, prêts à en découdre, tandis que le troisième semblait plus prudent.

- Votre fils ? dit ce dernier, alors que je ne pouvais pas bien deviner leurs visages. C'est votre gamin, lui ?

- Oui, je vous le confirme, répondis-je, plus méfiant que jamais. Je vous dois une fière chandelle, je le cherchais partout ! Ce petit chenapan a tendance à courir partout sans écouter ce qu'on lui dit.

- Mhh, je vois, et c'est vous qui lui avez appris à voler ?

Je ne fus pas spécialement surpris par les révélations de l'homme en uniforme. Après tout, je faisais aussi les poches quand j'avais l'âge d'Ayden. Parce que la survie impliquait ce genre de choses et que n'importe qui dans sa situation l'aurait fait.

- Non, ce n'est pas moi, sûrement l'une de ses mauvaises fréquentations, répliquai-je. Mais qu'a-t-il volé au juste ?

- Cela ne vous regarde pas. Le vol est un crime passible d'un châtiment.

- Ah oui ? Et votre loi s'applique même à un mineur ?

- Non, en effet, dans ce cas, c'est la personne en charge qui doit prendre à sa décharge.

Une atsmosphère étrange régnait autour de moi, alors qu'Ayden était tétanisé. Je le regardais et je me mis à lui sourire pour le rassurer, comme pour lui dire que tout irait bien. De toute évidence, il s'était mis dans un sale pétrin mais ces hommes n'avaient rien d'officiers normaux. Le problème étant que je n'avais qu'un couteau sur moi mais que je ne ferais pas le poids face à trois hommes armés. Il fallait que je les provoque et que je compte sur le corps à corps.

- Ah oui et quelle est la sentence ? demandai-je l'air provocateur.

- Un passage à tabac fera l'affaire, répondit l'un des autres hommes qui se trouvait dans la pénombre.

Les trois hommes s'approchèrent lentement vers moi, dévoilant leurs corps et leurs visages. Parmi eux, se trouvait un géant de près de deux mètres, le crâne rasé et de larges tatouages couvrant son corps, mais aussi un autre beaucoup plus petit et plus fin, avec des cheveux de rasta, l'air menaçant. Enfin, le troisième homme que je reconnaîtrais entre mille et qui ne cessait de me fixer du regard, arborait une longue barbe noire et des cheveux plaqués vers l'arrière. Lenny, Beck et Tom. Mes vieux compagnons d'armes.

Il en manquait une. C'est pourquoi je ne fus par surpris lorsque je me sentis une arme pointée sur l'arrière de mon crâne.

- Pas un geste, Ethan ou cette fois je t'enterre pour de bon et tu sais comme moi que tu n'auras pas ta place au paradis, me murmura Sara à l'oreille, ne dissimulant pas sa joie de me tenir en joue. On va pouvoir fêter nos retrouvailles !

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