Fin des temps

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Je n'étais pas mort. Du moins, pas encore. Lorsque je me réveillai, j'avais à nouveau un mal de crâne atroce. Je sentais une douleur à l'arrière de mon crâne comme si l'on m'avait asséné un coup d'une véritable brutalité. Je tentai de regarder autour de moi mais mes yeux étaient bandés, comme lorsque l'on m'avait fait capturer.

La seule chose dont j'étais certain, c'est que je n'étais pas seul dans l'endroit où je me trouvais et que nous nous trouvions toujours sous terre. Je sentais l'humidité ambiante au contact de ma peau, une fraîcheur que j'avais ressenti depuis que j'étais à Talyssa. Je n'avais donc pas quitté cet endroit maudit, à moins que l'on ne m'ait transféré ailleurs mais c'était peu probable.

J'entendais des murmures tout autour de moi, des voix inaudibles mais bien réelles qui se devinaient dans l'obscurité dans laquelle j'étais plongé. Je n'avais aucune idée de ce qui se passait mais ma première pensée claire fut pour Ayden. Était-il bien en sécurité ? Avait-il eu le temps de s'échapper ? Je tentai de crier "Ayden" tout en articulant mais les mots qui sortirent de ma bouche n'avaient aucun sens et ne voulaient rien signifier. C'était plus un hurlement animal que la voix claire et distincte d'un être humain. Pourtant, elle fit son effet et tout le monde s'arrêta de parler instantanément.

Il se passa quelques secondes pendant lesquelles un silence religieux s'installa. Puis j'entendis des bruits se rapprocher et l'on m'ôta le bandeau qui m'empêchait jusqu'ici de voir. Je repris vite le contrôle de mes sens et je fus stupéfait par ce que je voyais. Face à moi se tenaient Tom, Sara, Beck et Lenny mais ils n'étaient pas seuls. À côté d'eux se trouvait le vieux John. Imperturbable, il se dressait devant moins dans sa tunique blanche tel un homme d'église devant une assemblée. Je ne comprenais plus rien à ce qui se passait mais j'étais incapable de prononcer le moindre son, sûrement à cause du coup que l'on m'avait donné.

Alors John se leva et vint se tenir à quelques pas de moi, avant de finir par se baisser à ma hauteur, alors que je me trouvais à terre sur les genoux et que des chaînes retenaient mes bras vers l'arrière. J'étais impuissant et je me sentais profondément humilié. Il se mit à me sourire comme si cette situation lui était des plus plaisantes.

- Tu parles de ce gamin qui t'accompagnait, n'est-ce pas ? me dit-il dans un calme olympien qui me mettait dans une colère folle. Ne t'en fais pas pour lui, il est entre de bonnes mains, il ne risque rien.

John regarda en direction de Tom qui lui fit un signe de tête comme pour confirmer quelque chose qu'ils s'étaient dits tous les deux. Je ne pouvais toujours pas parler, j'étais comme paralysé. Ma mâchoire semblait peser une tonne et je ne pouvais que peiner à formuler des sons qui ne signifiaient rien.

- Ah, tu dois te demander pourquoi tu ne peux pas parler, Ethan, continua le vieil homme. C'est très simple, après t'avoir assomé, j'ai demandé à tes chers compagnons d'armes de t'injecter une drogue pour te paralyser. C'est une invention mise au point dans nos laboratoires et j'en suis très fier. C'est la même que nous avons injectée dans ton sang le jour où nous t'avons capturé.

Le vieux fou paraissait plus que jamais fier de lui, comme s'il avait trouvé une avancée majeure dans l'histoire de l'humanité. L'homme à qui j'avais parlé pendant un mois semblait avoir totalement disparu pour laisser place à ce tortionnaire, plus que jamais heureux de s'écouter parler. Il poursuivit en ce sens :

- Bien, tu dois également te demander ce qui se passe et c'est tout à fait légitime. Imagine un jeu de stratégie, ok ? Plusieurs clans (appelle-les comme tu veux) se livrent une guerre sans merci depuis des décennies, voire depuis des siècles. Il n'y a ni victoire ni défaite dans une guerre, il n'y a que du sang et des morts. Que des parents pour pleurer leurs enfants, que des familles qui se retrouvent déchirer, que des gamins vouer à devenir orphelins. Tu sais ce que c'est, pas vrai Ethan ? Ce sentiment de se sentir seul et abandonné de tous. Alors, dans ce vaste jeu de stratégie, imagine que toi, tu n'es qu'un pion. Tantôt utilisé par un côté, tantôt utilisé par l'autre. Voilà à quoi se réduit ta vie, Ethan.

Face à ces pensées sombres, je ne peux qu'admettre qu'il avait loin d'avoir tort. De ma vie, je n'avais été qu'un spectateur. J'étais un soldat voué à tuer et je m'en contentais, avant de réaliser certaines choses. J'étais réellement prêt à changer désormais.

- Il fallait un appât, poursuivit John comme s'il semblait compatir pour moi. Il suffisait d'une diversion, d'un instant pendant lequel te plonger dans le néant pour te capturer. Mais nous ne pouvions pas opérer seuls, c'était trop risqué. Alors, nous avons fait appel à tes plus proches alliés, tes frères d'arme avec qui tu as combattu toutes ces années.

Mon regard empli de haine croisa tour à tour celui de Beck, de Lenny, de Sara puis de Tom. Chacun d'entre eux semblait éprouver des remords ou du moins être gêné par cette situation, sauf Tom qui me dévisageait droit dans les yeux. Je n'y comprenais décidément plus rien.

- Nous leur avons fait parvenir un message crypté à votre réveil, reprit John, décidément bien décidé à poursuivre son monologue. Chacun avait ses raisons pour agir et te trahir. Rien de personnel, bien évidemment. Mais nous avions les moyens de les faire collaborer, de gré ou de force. Ainsi, ils ont signalé ta position, ont paralysé ton armure à distance et nous ont permis d'entrer pour te piéger. Ensuite, nous n'avions plus qu'à te capturer. Mais pourquoi faire tout cela me dirais-tu, n'est-ce pas ?

Le vieil homme reprit son souffle, visiblement éprouvé par son monologue. De toute évidence, il n'avait plus l'habitude de parler autant à un auditoir sans s'interrompre.

- Tu vois, Ethan, je ne t'ai pas dit toute la vérité. Tu dois t'en douter, maintenant. Je ne suis pas un simple pion, je suis celui qui opère la stratégie et qui t'utilise à son gré. Toujours est-il que je dois t'avouer quelque chose sur la réalité de cet endroit. Ici bas, sur ce sol que tu as foulé tous les jours de ta vie, tu n'as connu que la guerre et la désolation. Mais, la vie n'a pas toujours été ce qu'elle paraît être ici. Il y a des centaines d'années, les hommes et les femmes vivaient en paix sur cette planète. Il y avait de la végétation, de la nourriture en abondance, de l'eau sans limites, des paysages à couper le souffle. Une multitude d'êtres vivants vivaient aux quatre coins de la surface du globe et cohabitaient tant bien que mal avec l'espèce humaine. Il faisait bon vivre, même si tout n'était pas parfait, loin de là. Mais les gens étaient heureux. On appelait cet endroit "la Terre".

Terre. Je tentais de me remémorer des souvenirs à l'évocation de ce mot. Rien ne me vint mais il n'était pas inconnu comme si je l'avais déjà entendu autrefois. Pris dans mes réflexions, je fus interrompus à nouveau par la voix de John qui poursuivit ses explications.

- Sauf que la paix n'est jamais éternelle, dit John d'un ton beaucoup plus sombre alors que ses yeux s'étaient emplis de lumière l'espace d'un instant à l'évocation de ces images. L'humanité a provoqué sa propre perte au rythme des guerres, des catastrophes écologiques à tout va et des maladies qui décimèrent une bonne partie de l'humanité. La situation devint vite ingérable. Les gouvernements furent renversés, les villes pillées, les pays décimés. Le monde était au bord de l'explosion. Alors, il fallait mettre un terme à tout cela. Un terrible virus s'était répandu parmi la population mondiale, de manière à ce que la pandémie éradiqua près de 2/3 de la population. On n'a jamais su comment ça avait commencé : transmission de l'animal à l'homme, prototype créé en laboratoire, etc. Peu importait, il fallait vite y mettre fin. Et c'est là qu'elle est apparue : la solution. La sélection finale. Des hommes et des femmes furent tirés au sort pour aller vivre sur une nouvelle planète habitable, loin de la Terre, pour que l'humanité ait une nouvelle chance. Des hommes et des femmes privilégiés par leur statut social, bien évidemment. Les autres seraient voués à disparaître. Et voilà, comment en quelques siècles plus tard, nous avons abouti à ce que tu connais aujourd'hui, Ethan : un monde ravagé par la souffrance, la violence de la guerre et la mort. Voilà l'héritage de l'humanité.

Je n'avais jamais entendu cette histoire mais elle me fichait la chair de poule. Cependant, je n'étais plus du tout sûr de pouvoir croire qui que ce soit et encore moins ce vieil enfoiré qui s'était bien payé ma tête. Je parvins à me redresser sur des deux jambes et à articuler "Et moi dans tout ça, fils de pute ?", ce qui déstabilisa tout le monde, y comprit John qui fit un pas en arrière, avant de se reprendre.

- Eh bien, tu ne cesseras jamais de me surprendre, Ethan. Ton corps a devéloppé des réactions fascinantes face à la drogue et au poison.

- Poison ? balbutiai-je en écarquillant les yeux.

- Eh oui, je devais te garder en vie jusqu'ici dans un seul but : elle. Lyana. Ta foutue Lyana dont tu m'as râbaché le nom toutes ces années. Au début, je ne te croyais pas. Je pensais que tu rêvais et que tu ne faisais qu'inventer. Mais ces rêves me troublaient tant ils paraissaient vrais. Je disais vrai quand je te disais ne pas la connaître mais elle existe bel et bien. Un jour, nous avons entendu une voix sur nos ondes qui ne venait pas d'ici mais de bien plus loin. Nous avons alors pensé que nous avions imaginé tout cela, jusqu'à ce que la personne affime s'appeler Lyana et qu'elle recherchait un homme nommé Ethan qu'elle avait connu il y a bien longtemps.

Je ne sais pas si la drogue ou le poison continuait à se répandre dans mon corps, mais je ne pouvais plus bouger le moindre orteil. Cette révélation m'avait coupé le souffle bien que je me méfiais des paroles du vieil homme. Peut-être essayait-il encore de me duper mais dans quel but ? La perspective que Lyana existe réellement et qu'elle me cherche me comblait à la fois de joie et m'intriguait. Tout cela n'avait pas le moindre sens.

- Nous sommes entrés en contact avec elle et nous l'avons informé de ta présence ici. Elle n'était pas seule de toute évidence lorsqu'elle communiquait avec nous et elle nous a informés qu'un équipage viendrait directement te chercher ici. N'est-ce pas une formidable nouvelle, Ethan ? Ta petite amie imaginaire est réelle et nous allons pouvoir en profiter tous les deux. Je te livrerai comme il se doit mais une fois mort, tu ne seras plus d'aucune utilité et nous embarquerons à ta place loin de cet enfer qu'est devenu la Terre.

- Pour... Pour... Pourquoi as-tu fait ça ?

- Tout simplement pour mettre un terme à tout ça. J'ai vu trop d'amis se faire tuer, trop de proches être sacrifiés et j'ai vu mon meilleur ami devenir mon pire ennemi. Je savais qu'en te capturant et en enlevant ton armure, Ekbow viendrait ici. Tout comme ces quatre idiots qui ont tous des émetteurs sur eux. Mais ce qu'Ekbow ne sait pas, c'est que nous avons découvert un moyen formidable de mettre fin à tout cela.

John désigna du doigt des ogives nucléaires. Je ne pensais pas que de tels objets existaient encore. Pour moi, ce n'était plus que des reliques. Mais de toute évidence, il existait encore des prototypes. Il n'y avait plus de doute, le viellard que j'avais en face de moi était devenu complètement fou.

- T'es devenu complètement taré, mon pauvre vieux ! criai-je dans sa direction alors que je sentais mes forces revenir petit à petit. Alors c'est ça ta solution pour mettre fin à la guerre ? Éradiquer toute forme de vie !?

- Il n'y a pas d'autre solution Ethan, et je ne ferai pas l'erreur de nos ancêtres. Je sauverai mon peuple pour ne pas que...

Le vieux John n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Une balle venait de se loger dans son abdomen, le faisant vaciller et lui arrachant un cri de douleur qui retentit dans toute la salle en un écho effroyable. Je tournai la tête, stupéfait, face à Tom qui tenait son pistolet d'une main, le regard toujours aussi fermé.

- Toi, espèce de fumier... murmura John tant bien que mal, je vais ordonner à mes hommes d'exécuter ton fils et ta femme, enfoiré de...

John n'eut pas le temps de terminer sa phrase que Tom lui asséna un coup de pied terrible en plein dans la mâchoire pour le faire taire. Je regardai cet homme que j'avais connu autrefois et qui avait tant souffert dans sa vie passée. Je savais à quel point sa famille lui manquait alors pourquoi se sacrifierait-il pour moi en les sachant tous deux en danger ?

- Pourquoi ? dis-je d'une voix à peine audible.

Tom me regarda quelques secondes avant de sourire en coin, tandis que les autres se contentaient d'observer la scène d'un air dubitatif, à part Sara que je voyais prête à en découdre à tout moment si la situation l'exigeait.

- Tu poses toujours trop de questions, camarade, me répondit-il. Cette vieille ordure ne peut rien faire contre ma famille car ils ne sont tout simplement pas ici. J'ai mes propres sources, tu sais.

Il continuait de me sourire, avant de se tourner vers les autres et d'ordonner :

- Libérez Ethan. Il a passé assez de temps emprisonné comme cela. Et puis, nous avons une rencontre à organiser et un peuple à sauver. Et M'dame, que voulez-vous qu'on fasse de ce vieux tas de merde ?

Tom désignait John qui gisait inconscient au sol et qui se trouvait maintenant dans une mare de sang. Mais à qui pouvait-il bien parler ? Pas à Sara. Il ne l'aurait jamais appelée comme ça et elle-même semblait ne pas l'écouter, fixée sur autre chose.

Soudain, à ma gauche, sortie de l'ombre, se dessina une femme dans ce qui s'apparentait être une combinaison spatiale. Je ne pouvais pas la voir clairement car son visage était caché par un casque blanc qu'elle finit par enlever. Se dévoila alors une femme d'une beauté iréelle, avec de grands yeux bleus, une peau mat et de longs cheveux noirs ondulés qui se dessinaient dans son dos. Une femme que je ne pouvais voir que dans mes rêves jusqu'à présent.

- Ne le tuez pas, il ne mérite pas de mourir, dit la femme avec un ton plein d'assurance. Il paraîtra en justice dans le monde d'où je viens.

Elle s'arrêta puis me regarda en écarquillant les yeux, avant de se reprendre et de me glisser en souriant :

- Bonjour Ethan.

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