Lyana
Je ne sus combien de temps je demeurai béat devant la femme qui me faisait face. Cette femme qui ressemblait trait pour trait à la Lyana de mes songes. Mais était-ce vraiment elle ? Tout cela me paraissait irréel, comme si j'étais une nouvelle fois plongé dans mes rêves. Je n'arrivais pas à prononcer le moindre mot alors que la jeune femme s'activait déjà en donnant des ordres à mes anciens coéquipiers. De prime abord, ils semblaient bien se connaître.
Trop de questions me venaient et créaient une confusion totale dans mon esprit. La jeune femme me regarda droit dans les yeux et ne put s'empêcher de sourire à nouveau, ce qui me désarma une nouvelle fois. Elle dégageait un tel charisme, une telle confiance en elle que j'essayais de me rappeler cet aspect-là dans mes anciennes rêveries. Quelque chose semblait avoir changé entre temps.
- Qu'y a-t-il, Ethan ? se contenta-t-elle de me demander comme si cette discussion était la plus banale du monde et que j'étais le seul à délirer.
- Que... Qu'y... Qu'y a-t-il ? répétai-je en pleine incompréhension. Tu... tu es réelle ?
Face à cette question soudaine, la jeune femme ne sembla pourtant pas prise au dépourvu même si elle continuait inlassablement de sourire. Elle poursuivit :
- Tu dois être perdu et c'est totalement normal. Tout le monde le serait à ta place. Il y a beaucoup de choses que tu ignores mais je ne peux pas te les révéler maintenant. Il y a une urgence, nous devons sauver ces gens.
- Les sauver ? D'Ekbow ?
- Les sauver de l'extinction de toute forme de vie sur cette planète.
- Co... Comment ça ?
- Aujourd'hui même, la vie sur Terre va disparaître. En temps normal, nous ne devons pas altérer le cours du temps car cela aurait une incidence catastrophique sur toute forme de réalité. Mais exceptionnellement, j'ai été mandatée pour venir te chercher car ton existence est une priorité absolue.
- Quoi ? Comment ça ? Pourquoi moi ?
- Tu poses bien des questions, Ethan, et je comprends. J'y répondrai en temps voulu mais là, le temps presse énormément et nous sommes déjà en retard. Tu dois être mis à l'abri. Tu ne mesures pas tes capacités mais tu possèdes une force en toi qui dépasse l'entendement. Tu le comprendras une fois que...
- Comment ça, une fois que je serai à l'abri ? Je ne compte pas me cacher comme un lâche pendant que vous allez vous battre pour sauver ces gens !
- Oui, on m'avait parlé de cette éventualité...
Je sentais une rage bouillir en moi. Une fois de plus, j'avais l'impression de n'être que le spectateur du moment que je vivais sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Et ce n'est pas du tout ce que j'imaginais pour ce nouvel acte catastrophe. L'idée même d'être mis sur la touche m'insupportait. Je n'avais pas dit mon dernier mot.
- Vous aurez besoin de moi, répliquai-je plus calmement pour essayer de me justifier. J'étais l'un des meilleurs soldats d'Ekbow, eux, ils peuvent témoigner !
Je pointai mes anciens camarades qui ne me regardaient pas et qui étaient tous prêts à partir comme pour livrer une ultime bataille. Je ne voyais pas leurs visages mais je comprenais la solennité de cet instant. Les forces d'Ekbow arrivaient à grands pas alors que des bruits stridents se faisaient déjà entendre. Le destin du monde attendait son terrible dénouement.
- Je ne doute pas un instant de tes capacités, Ethan, répondit la jeune femme brune, dont le sourire avait désormais laissé place à un visage fermé. Mais j'ai des consignes claires : je ne peux pas prendre le risque de te perdre. Pas après tout ce que nous avons fait pour te retrouver.
- Comment ça, qu'avez-vous fait ? demandai-je, interloqué et m'attendant au pire.
La femme sembla hésiter un instant puis pointa son arme dans ma direction, ce qui me désarçonna complètement. Je m'attendais peut-être à tout mais je n'aurais pas misé une pièce sur ce retournement de situation. Dans mes songes les plus lointains, je ne me rappelais pas que Lyana ait un jour pointé une arme sur moi. Quelque chose clochait décidément.
- Qui... Qui êtes-vous ? poursuivai-je, décontenancé.
- Ça, tu le le sauras bien assez tôt, se contenta-t-elle de me répondre sans chercher à m'en dire plus. Nous avons pris une décision qui a altéré le cours du temps, juste pour venir te retrouver, Ethan. Alors crois-moi, je ne te laisserai pas compromettre cette mission et je n'hésiterai pas à tirer s'il le faut.
Son arme continuait d'être pointée dans ma direction sans trembler. Elle semblait plus que jamais déterminée. Dans mes vagues souvenirs, je me voyais contempler un monde magnifique qui s'étendait à perte de vue devant moi et que je ne connaissais pas de mon vivant. Un monde où la paix régnait, où la nature prospérait loin de la réalité de la guerre qui était devenu mon quotidien. Et cette vision, je la partageais systématiquement avec cette femme brune aux yeux bleus et au sourire éclatant du nom de Lyana. De ce que je me souvenais d'elle, c'est qu'elle dégageait un calme absolu et une douceur dans laquelle j'aimais me perdre. Tous les moments que nous avions passés ensemble me paraissaient heureux, même si nous ne pouvions pas réellement parler.
Alors comment en était-on arrivé là ? Comment pouvais-je me retrouver face à cette jeune femme au regard perçant, les yeux fixés sur moi tandis qu'elle brandissait son arme dans ma direction ? Alors soudain, une idée me vint en tête.
- Tu n'es pas elle, n'est-ce-pas ? dis-je en souriant légèrement.
Je sentis que ma question l'avait quelque peu surprise bien qu'elle ne laissa rien paraître.
- Tu n'es pas Lyana, repris-je avec assurance.
Un silence s'installa pendant de longues secondes avant qu'elle ne finisse par lever son arme en l'air et sourit à son tour, avant de finalement rebraquer son arme dans ma direction et de presser la détente. Je n'eus pas le temps de pousser un cri de stupeur qu'une balle vint se loger en plein dans mon thorax, m'arrachant un cri et me faisant tomber à terre.
- Tu as raison, je ne suis pas elle, répondit-elle à son tour. Je suis désolée Ethan, mais je ne peux pas risquer la vie de mes hommes et le destin de l'humanité sur une crise d'identité de ta part. Mais ce n'est en aucun cas personnel.
Là-dessus, je fus dans l'impossibilité de répondre. Les derniers souvenirs que j'eus avant de plonger dans le noir furent de voir la jeune femme s'éloigner au loin accompagnée de mes anciens camarades de guerre alors que des bruits d'explosion retentissaient partout à côté de moi mais me parvenaient tel un bruit sourd, lointain et à peine audible. Dans mon délire, je crus voir des robots surgir de toute part et les accompagner, alors que d'autres hommes et d'autres femmes semblaient les contrôler. Ma dernière vision fut de voir le corps de John gisant à terre alors qu'il semblait être bel et bien mort. Je fus soulevé de terre avant de tomber dans les abysses.
Décidément, j'étais souvent sur la touche ces derniers temps et peu sur le champ de bataille, même si ce n'était pas par choix. Alors que je reprenais conscience une énième fois depuis que j'avais été fait prisonnier par les forces de Talyssa, j'entendais des murmures autour de moi. Je commençais à être habitué maintenant. La première sensation qui me vint fut l'envie de vomir, ce que je ne tardai pas à faire, alors que l'endroit où je me trouvais semblait plonger dans l'obscurité. Les murmures autour de moi avaient étrangement cessé et laissaient place à un silence de cathédrale. Je tentai de rassembler mes idées mais la première pensée qui me vint fut "Comment pouvais-je être encore en vie ?". J'avais senti cette balle m'atteindre de plein fouet et venir se loger dans ma poitrine droite. J'aurais dû me vider de mon sang... Alors comment pouvais-je encore respirer, penser ou même exister ?
- Bonjour Ethan, tu dois te demander comment tu vis encore, n'est-ce-pas ?
Je ne pouvais pas voir la personne qui venait de s'adresser à moi car j'étais plongé dans l'obscurité dans une salle qui semblait assez petite. Dans tous les cas, cette voix semblait être celle d'une dame agée car elle était relativement rauque. Mais pourtant, et ce malgré tous mes efforts pour essayer de voir qui s'adressait à moi, je ne percevais toujours rien. Cette sensation me devenait insupportable alors je décidai de bouger dans tous les sens pour essayer au moins d'avoir une idée de l'endroit où j'étais. Je tombai vite sur des murs qui semblaient propager l'écho de ma voix, comme si j'étais enfermé dans une sorte de bocal en verre. Mais la réalité était là, j'étais une nouvelle fois prisonnier. Face à cette réalité, je ne pus m'empêcher de hurler à nouveau comme pour me soulager de tout ce poids devenu trop lourd.
- Je comprends ta réaction, continua la voix, mais nous ne pouvons pas...
- Non, non, vous ne comprenez pas, répondis-je simplement au bout du rouleau. Vous n'avez pas idée de ce que ça fait que de se sentir impuissant, voir sa réalité être bouleversée du jour au lendemain et qu'on vous manipule à tour de bras sans que vous puissiez y faire quoi que ce soit. Et ne vous faites pas passer pour les gentils, un de vos sbires m'a collé une balle dans le torse avant que j'aie pu dire quoi que ce soit.
Comme personne ne renchérissait sur mes paroles, je posai alors la question :
- Et oui, comment je peux être encore en vie ? Vous pouvez au moins me donner la réponse pour ça, non ?
J'attendis la réponse pendant de longues minutes mais rien ne vint. Alors je me mis à jurer dans tous les sens et à cogner contre les parois qui me servaient de prison. Je mis du temps à retrouver mon calme mais lorsque ce fut le cas, des lumières s'allumèrent soudain et m'aveuglèrent l'espace d'un instant. Lorsque je fus à nouveau apte à voir et que je m'étais acclimaté à mon environnement, je constatai que je me trouvais dans une prison faite littéralement de miroirs. Autour de moi, se trouvaient quatre grands miroirs qui m'encerclaient de toute part et reflétaient mon corps de partout. Y'avait-il moyen d'être plus oppressant encore ?
Je ne pus m'empêcher de me contempler dans l'un des miroirs. Soit ils étaient déformants et peu valorisants pour moi-même, soit j'avais tout simplement une allure de clochard. Mes habits étaient déchirés, une énorme barbe avait poussé le long de visage, mes cheveux se battaient sur le sommet de mon crâne et des rides énormes étaient apparus sous mes yeux. Je n'imaginais même pas l'odeur que je dégageais. Puis, soudain, je me remémorai la balle qui avait dû traverser ma poitrine droite et je décidai alors d'examiner l'impact de la balle. Mais quelle fut ma stupeur de constater qu'il n'y avait aucune trace à cet endroit et que je me portais parfaitement bien, hormis mon allure de mendiant.
- Oui c'est bien toi Ethan, et malgré cette allure discutable, tu es toujours le même au fond.
Pris de stupeur, je me retournai à la hâte vers la voix qui venait de parler et qui était cette fois beaucoup plus proche. Devant moi, se tenait une vieille dame au visage fin et aux traits creux qui semblait avoir un certain âge. Ses cheveux gris étaient tirés vers l'arrière, noués dans un grand chignon. Elle portait un chemisier blanc et un jean de manière très décontractée, ainsi que des chaussures blanches passe-partout. Mais son expression semblait elle tout à fait différente, partagée entre une certaine empathie et une douleur à peine perceptible que je ne m'expliquais pas. Et je comprenais pas comment je pouvais lire aussi bien en cette femme.
- Ton look laisse à désirer mais nous allons y remédier, je te le garantis, répondit-elle le plus normalement du monde. J'ai juste besoin d'échanger avec toi un instant...
- Madame, sauf votre respect, vous savez que je pourrais vous tuer sur le champ si l'envie m'en prenait ? dis-je, menaçant.
Elle sembla pouffer de rire mais ne put s'empêcher de tousser.
- Qu'y a-t-il de si drôle ? repris-je, lassé qu'on se joue de moi.
- Oh rien, je te prie de m'excuser pour ça, dit-elle, toujours aussi sereine. C'est juste que je ne doute pas de tes capacités et de ton envie d'en découdre, mais tu n'aurais pas le temps de m'atteindre que tu serais abattu par des armes sortant de tout côté pour t'abattre. Mais ni toi ni moi n'en avons envie, n'est-ce pas ? Alors contentons-nous de parler calmement car nous avons beaucoup de choses à nous dire. Je t'en prie, prends place.
Elle désigna un tabouret qui se trouvait à côté de moi mais je refusai, préférant rester sur mes gardes. Elle ne sembla pas surprise et s'assit face à moi sur la chaise qui trainait, tandis que je restai debout. Elle poursuivit :
- Tu devrais t'asseoir, crois-moi, car ce que je m'apprête à te dire va te faire perdre pied. Mais bon, je te connais depuis le temps, je sais à quel point tu peux être têtu et borné, Ethan. Alors à toi de choisir, je te laisse une dernière chance. Es-tu sûre de ne pas vouloir t'asseoir, une fois pour toutes ? Tu ne vas pas refuser ça à une vieille dame quand même, si ?
Face à l'aisance de cette dame, je m'exécutai finalement et pris place pour la laisser me parler, comme si j'étais l'élève et elle la professeure.
- Très bien. Laisse-moi te parler de toi et de l'histoire de ta vie...
- Madame, qui êtes-vous ? demandai-je en l'interrompant soudainement, avec une folle envie de savoir. Vous parlez comme si vous me connaissiez depuis toujours, alors que je ne me rappelle pas de vous même dans mes souvenirs les plus lointains.
La vieille dame s'arrêta un instant, comme submergée par l'émotion. Elle porta sa main à son visage pour cacher les larmes qui commençaient à affluer au niveau de ses yeux et à couler le long de ses joues.
- Tu ne crois pas si bien dire... murmura-t-elle entre deux sanglots. Pourtant, nous nous connaissions bien Ethan, puisque je fus ta femme autrefois.
Alors que j'avais le souffle coupé et que plus aucun son ne sortait de ma voix, elle poursuivit en disant simplement une phrase qui changerait à jamais ma vie :
- Eh oui, Ethan, c'est moi. Lyana.
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