Dernière bataille

10 minutes de lecture

J'enfilai mon armure une dernière fois. Je n'avais pas hésité l'espace d'un instant. Je ne savais pas bien pourquoi. J'avais pensé directement à Ayden, à l'idée d'offrir une meilleure vie à ce gamin qui avait grandi dans la clandestinité parce qu'il n'avait pas d'autre choix. Je me revoyais en lui, lorsque j'étais désemparé et que je m'étais mis à espérer que loin d'ici, il y avait de l'espoir. Ayden comme tant d'autres enfants devait pouvoir goûter à cette joie-là. Et ces gens, même s'ils m'avaient rejeté, je me devais de leur porter mon aide. Même si je ne savais pas trop comment... 

Magner mon arme était instinctif. C'est comme si une partie de mon cerveau était connectée à cette armure de sorte qu'elle comprenne tout ce que je voulais faire avant même d'y avoir pensé. Je ne mesurais pas ses capacités, je savais juste qu'elle était capable du pire et que si je ne la maîtrisais pas, les conséquences pourraient être dévastatrices. C'est en tout cas ce que m'avait fait comprendre Lyana. Mais je ne pouvais pas rester assis à ne rien faire en regardant ces gens mourir et voir le monde brûler.

C'est ainsi que je me lançai du haut du vaisseau, survolant les scènes de chaos qui se trouvaient sous moi. De la fumée s'échappait de partout, de sorte qu'elle recouvrait tout le terrain sans que je puisse distinctement voir les combats entre les assaillants et le peuple de Talyssa. Partout, j'entendais l'horreur de la guerre, au travers des hurlements désespérés des enfants cherchant leurs parents et des mères cherchant leurs filles et leurs fils. Je sentais monter en moi une rage incontrôlable et une peur qui me paralysait, comme si je n'étais que spectateur de ce terrifiant spectacle.  À ma gauche se dessinait la puissance destructrice d'Ekbow. Jamais encore je n'avais vu pareille folie. Des milliers de soldats en armure me faisaient face, armés jusqu'au dent, marchant inexorablement vers Talyssa dans un véritable orchestre de la mort. Et derrière eux, dans ce vacarme grandissant, se dessinaient des machines que je n'avais encore jamais vues mais qui me donnaient la chair de poule. Les vaisseaux d'Ekbow ressemblaient à des sortes d'araignées métalliques géantes surmontées d'un cercle dorée en guise de têtes, qui devaient correspondre au cœur du vaisseau où se trouvaient les commandants et les soldats à la solde de l'ennemi. Deux canons surpuissants venaient projeter des obus sur les forces de Talyssa qui faisaient pale figure à côté. 

À ma droite, des soldats recouverts d'une combinaison noire tentaient de résister tant bien que mal face à la force de frappe ennemie. Ils se protégeaient à l'aide de boucliers particulièrement solides qui semblaient repousser les balles d'Ekbow. Mais face aux obus de leurs machines de guerre effrayantes, ils ne pouvaient rien faire et c'est des corps entiers qui étaient projetés de part et d'autre du champ de bataille. Malgré tout, les hommes et les femmes, soldats malgré eux, faisaient front face à l'ennemi et se jetaient à corps perdu dans cette bataille perdue d'avance et ce, malgré quelques tanks avec de quadruples canons qui faisaient des dégâts dans l'armée d'Ekbow, tuant certainement certains de mes anciens camarades. 

Mais malgré tout, ça aurait été un véritable massacre des forces talyssiennes sans l'aide précieuse de la flotte aérienne de Lyana. Je ne sais pas si c'est elle qui les dirigeait vraiment ou si quelqu'un de plus haut placé qui le faisait, mais d'un coup, un bruit sourd envahit le ciel et des centaines de vaisseaux en forme triangulaire se ruèrent sur les araignées métalliques d'Ekbow, faisant exploser plusieurs machines au passage. Dans ce combat où des titans s'affrontaient, je ne devais pas massacrer des innocents mais bien en sauver. 

Je ne sais combien de temps s'écoula. Mais ici, plus rien n'avait de sens comme si tout s'était arrêté pour se résumer à ces scènes de chaos que seule la guerre pouvait déclencher. Ici, des hommes armés de leurs machines de guerre se battaient face aux forces de Talyssa en combinaisons spatiales. Les pauvres ne pourraient pas résister bien longtemps. 

Au début, je n'osais pas prendre part au combat, ne voulant pas faire de morts inutiles en plus. Mais lorsque je vis un enfant être arraché des bras de sa mère, celle-ci s'apprêtant à être enlevée et peut-être violée par la suite, je ne pus rester impassible. Et c'est de cette façon que je me retrouvai à tuer le premier de mes anciens camarades, lui assénant un coup de poignard en plein dans la tempe qui le tua sur le moment sans qu'il ait le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Je n'avais aucun remord d'avoir tué ce monstre plutôt que de laisser d'autres atrocités être commises, encore plus face à moi. Non, ce n'était pas ça. Mais moi qui m'étais promis de ne plus tuer, je me retrouvais à le faire à nouveau. 

Ses deux compères eux-aussi vêtus d'une vetuste armure se retournèrent sur moi, lâchant l'enfant au passage qui se débattait dans tous les sens. Je pouvais lire d'ici leur expression choquée, car ils ne s'attendaient certainement pas à une trahison venant d'un de leurs anciens camarades. Mais ça ne changeait rien et ils n'eurent pas le temps de répliquer et de pousser un juron, que je les abattais de deux balles dans la tête, faisant tomber leurs corps lourds sur le sol. 

La mère courut aussitôt vers son enfant pour le prendre dans ses bras. Cette scène provoqua en moi un réconfort et une tristesse que je ne pus m'expliquer. J'imaginais l'espace d'un instant cette famille rassemblée, heureuse, loin des tourments de ce bas monde et du sort qui leur était réservé. Ils avaient droit à une seconde chance plus que n'importe qui. 

- Vous devez fuir, commençai-je à dire alors que la femme me dévisageait avec un mélange de stupeur et d'incompréhension. Vous devez partir loin d'ici, il n'y a pas d'autre moyen. Des vaisseaux vous attendent. 

- Qui... Qui êtes-vous ? demanda la femme avec peine alors que sa petite fille était toujours blottie dans ses bras, pleurant à chaudes larmes. 

- Qui je suis importe peu, seuls mes actes comptent. Mais vous pouvez m'appeler Ethan. 

- Montrez-moi au moins votre visage, Ethan, pour que je puisse dire plus tard à ma fille qui était l'homme qui nous a sauvés. 

Je m'apprêtais à enlever mon casque quand je fus projeté au sol plus loin, roulant plusieurs mètres sur la poussière jusqu'à m'arrêter contre un rocher qui ralentit ma chute. À son contact, j'eus l'impression que ma colonne vertébrale explosait, m'arrachant une terrible douleur. Mais physiquement, je n'avais aucune séquelle et mon armure, en faisant un bilan de mon état, me le confirma. Comment pouvais-je me relever si vite et ne rien avoir, juste avoir ressenti tout ça ? C'était incompréhensible et je commençais à croire Lyana avec ses histoires de super soldat. 

Je regardai en direction de la femme et de l'enfant qui avaient l'air de se porter bien. Mais ils n'étaient pas seuls. À côté d'eux se tenaient quatre soldats armés jusqu'aux dents et que j'aurais pu reconnaître entre mille. Pourquoi ces imbéciles m'avaient tiré dessus ? Je décollai instantanément dans leur direction, ce qui ne manqua pas de créer l'effet de surprise. J'en profitai pour mettre une droite à Lenny, bien qu'il était gigantesque, qui lui fit plier un genou à terre, avant d'enchaîner en faisant un croche-patte à Beck qui fut projeté du sol à quelques mètres plus loin. J'allais enchaîner sur Tom mais ce dernier semblait lire dans mes pensées et s'était écarté assez pour esquiver un nouveau coup de ma part et se défendre à l'aide de son bras gauche, duquel jaillit un mini bouclier. Il n'y a pas à dire, il maîtrisait toujours l'art du combat en un contre un. Sara, elle, n'avait pas bougé d'un cran et me dévisageait impassiblement. Soudain, je sentis le canon d'une arme posé sur mon crâne et je regardai Sara qui me répondit l'air de dire "cette fois, ce n'est pas moi qui te tiens en joue". 

- Tu es toujours aussi prévisible papi, dit une voix qui ne m'était pas inconnue. 

Nelly se tenait derrière moi, tenant fermement son arme qu'elle finit par ranger dans son étui. Je me retournai lentement comme si je m'attendais à une réaction surprise de sa part. Mais elle me fixait le plus naturellement du monde sans exprimer la moindre émotion, ses yeux bleu perçants en train de lire en moi et de sonder mon âme. 

- Ne m'appelle pas papi, j'ai l'air aussi jeune que toi, répondis-je, provoquant un léger sourire chez elle qui me soulagea quelque peu. 

- Pourquoi es-tu revenu ? Je pensais que tu resterais dans le vaisseau et que tu partirais loin d'ici. 

- Tu pensais vraiment que j'allais me dégonfler ? Tu me prends pour un lâche ou quoi ? 

- Ce n'est pas ça... C'est juste que tu as tellement subi ici que je pensais que tu voudrais enfin être en paix. 

- Je le serai, ne t'en fais pas. Mais je ne pourrai pas être en paix avec moi-même tant que tous ces gens ne seront pas à l'abri. 

- Je vois...

Nelly me regarda avec un air que je ne lui avais jamais vu, doux et apaisé, qui me rappelait celui de la Lyana de mes rêves. Il n'y a pas à dire, les deux se ressemblaient tellement que c'en était troublant. Mais bon, je finirais sûrement par m'habituer si je ressortais vivant de ce merdier. 

- Bon, c'est sympa vos réunions de familles, mais vous croyez vraiment que c'est le moment ? grommela Sara. On est en plein milieu d'une bataille, je vous rappelle ! Vous aurez tout le temps après si vous avez la chance de vivre. 

- Toujours aussi optimiste à ce que je vois, dis-je, mais tu as raison. La première priorité, c'est de sauver ces gens. La deuxième, c'est que vous ne mouriez pas, ok ? Sinon, je m'en chargerai moi-même. 

Tous me regardèrent l'air surpris. Lenny se relevait alors que Beck semblait encore revanchard du coup que je lui avais porté.

- Quoi ? demandai-je. Vous allez vraiment me faire la gueule maintenant ? 

- Ce n'est pas ça, vieux frère, répondit Tom, qui parlait pour la première fois. C'est juste que ça fait longtemps que nous ne nous sommes pas retrouvés tous ensemble sur un champ de bataille. Mais nous te suivrons et nous te couvrirons. 

Tom lisait décidément en moi comme personne d'autre ne savait le faire. En un regard, nous nous étions compris. Le plan était clair : Beck, Lenny et Nelly iraient sauver tous les rescapés qui pouvaient l'être pendant que Sara, Tom et moi allions affronter l'ennemi. Après tout, c'était moi qu'Ekbow voulait et il fallait que je sache pourquoi. 

Aussitôt le plan accepté par tous, malgré les revendications de Nelly pour prendre part à la bataille avec nous, chacun se concentra sur sa mission. Et c'est avec une forte appréhension et la sensation que j'allais peut-être ne jamais revoir Nelly et Lyana, tout comme Beck et Lenny, alors que je les voyais s'éloigner à l'horizon, suivis de la mère et de sa fille.

Tom vit l'expression sur mon visage alors que j'avais enlevé mon casque et me dit : 

- N'aie pas peur pour eux, ils vont y arriver. Et pense aux moments heureux que tu connaîtras enfin. 

- Tu as raison... Mais je ne peux m'empêcher de penser que je pourrais ne plus jamais les voir. Et vous deux, vous n'aviez pas à m'accompagner, il ne fallait pas vous sentir obligés de... 

- Tu vas arrêter à la fin ! s'écria Sara. Nous ne sommes pas venus jusqu'ici pour que tu aies des remords. Le Ethan que je connais ne renoncerait pas et se battrait pour sa vie et celles de ceux qu'il aime. 

Je dévisageai Sara d'un air héberlué. Bien que je connaissais son tempérament de feu, je n'avais jamais ressenti une telle émotion dans le son de sa voix, hormis peut-être quand elle évoquait son passé et sa vie dans les îles. 

- Tu as raison, dis-je en souriant. Nous devons mettre un terme à tout ça ensemble. 

Nous nous regardâmes une dernière fois avant d'enfiler nos casques respectifs. Devant nous, une armée de soldats en armures de guerre se ruait sur nous. Mais, nous avions l'expérience à notre avantage. En quelques minutes, Sara et Tom parvinrent à me créer un passage pour que je puisse atteindre directement les araignées metalliques géantes qui étaient à la peine, assaillies par les tirs des vaisseaux qui les faisaient tomber comme des mouches. C'était une véritable aubaine pour moi. Mais je n'avais qu'une idée en tête et ce n'était pas celle de tuer. 

- Sally, montrez-vous ! dis-je en hurlant dans ma machine. Qu'on en finisse une fois pour toutes. 

Il y eut plusieurs secondes pendant lesquelles j'attendis sans avoir aucune réponse. Puis, la dénommée Sally prit enfin la parole : 

- Mais je suis derrière toi, Ethan. Juste derrière toi. 

Je me retournai alors que j'étais stationné dans les airs. La brume se dissipa et quelle fut ma stupeur en voyant Ayden debout sur le sol, avec Sally à ses côtés qui le prenait en otage, un pistolet pointé sur lui. 

- Rends-toi, Ethan, si tu ne veux pas avoir une mort de plus sur la conscience. 


Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Alan Villemin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0