La cafétéria de la gare centrale d’Ombrenade est un endroit généralement calme. Peu de monde reste dans les gares désormais : les trains partent à la demande et les arrivants sont toujours pressés de rejoindre les niveaux supérieurs. Ombrenade est réputée pour son dôme, pas pour sa gare. Et les touristes sont de grands impatients.

C’est aussi un lieu agréable : la température y est un peu plus élevée que dans le dôme et les odeurs moins nombreuses, moins complexes. Ney y ressent même une forme de sérénité.

Son interlocutrice est assise devant elle et la regarde de ses deux yeux verts : des lentilles associées à tout ce que ça implique de technologie. Le bracelet fermement serré autour de son poignet doit aussi servir d’interface. Un corps d’enfant, pas plus de huit ans. Un choix bien curieux pour une enveloppe.

« Je t’intrigue, non ? lui demande l’enfant.

– Je me demandais, pourquoi rousse ? lui-envoie Ney en guise de question de calibrage.

– Une préférence cosmétique : rares sur Terre, abondants dans les colonies. Mon créateur devait aimer les rousses, lui répond-elle en riant. Mais tu dois déjà le savoir, non ? »

Ney regarde sa main, si la face interne porte un duvet blanc, le pelage du dos est d’un roux vif. Une préférence cosmétique, un choix devenu neutre depuis que le taux de mélanine n’est plus un facteur discriminant à la sélection naturelle.

« Ley Wan ! s’exclame la semi-féline.

– Joli. Comment as-tu deviné ? lui demande l’enfant avec attention.

– « Préférence cosmétique » et « Créateur » indiquent une IA. Ton enveloppe est organique et tu portes un ordoptique lentille ce qui suggère l’absence d’implant. Il n’y a que le noyau Ley Wan qui soit implémentable sur wetware, lui explique Ney.

– Toi, tu es probablement une wolfa. Mais je triche : j’ai un dossier sur ton modèle.

– Yep, je suis une nevian. Mais je suis autonome depuis quelques années !

– J’ai suivi l’affaire de l’année dernière, les types qui ont travaillé avec tes concepteurs ont foutu un beau bordel chez Aesir.

– On m’a raconté. J’étais sur Terre à l’époque.

– Oh ? La Terre ? J’espère ne pas t’emmener aussi loin.

– Ça ne m’aurait pas dérangé.

– Blue blues ?

– Oh ? Non. Mais c’était quand même sympa. Si on retire l’aspect vie clandestine et les conspirations politiques, les tentatives d’assassinats et… Enfin, le cadre est sympa !

– Haha ! Tu as un certain don pour détendre l’atmosphère. Dis-moi, tu sais ce que veut vraiment Trend ?

– Il veut des informations sur ton réseau. Je crois qu’il en a une réelle peur, lui explique Ney avec un certain détachement.

– Avec la crise d’Aesir, j’ai aussi eu quelques appréhensions. Mais je pense que Trend a surtout peur de ce qu’il n’arrive pas à contrôler.

– Il a un côté contrôle Freak, c’est vrai, confirme Ney en repensant à Tsadir.

– Tiens, reprenons ton jeu : lui ?

– Lui ? Oh, reprends Ney après une hésitation, une intelligence naturelle supervisée émulée sur cyberware.

– Ça explique des choses. Son incapacité à parler aux gens directement. Il faut toujours que le premier contact soit mystérieux, suspect en fait.

– Il était surpris que j’ai eu une réponse de ta part.

– En temps normal, je ne t’aurais pas non plus répondu, lui explique l’enfant calmement.

– Qu’est-ce qui n’est pas normal dans ce temps ? fait remarquer la nevian.

– Le réseau m’a donné deux missions et je n’aime pas me dupliquer.

– Et c’est la première fois ?

– Oui, admet l’enfant avec hésitations. J’ai fait les recherches préparatoires. Tu préfères éviter un assassinat sur Europe ou l’enlèvement d’un enfant de terrien ?

– Il y a vraiment un choix ? ironise Ney.

– On s’entend : tiens voilà les informations de l’enfant. Il doit partir de Pretty Sand dans quelques heures » indique la réplicante en lui tendant un dossier via la réalité augmentée.

Ney s’empare des données et les éparpille dans son espace proche, classant et regroupant les doublons. Son contact se lève, puis lui adresse un petit signe amical de la main avant de s’éloigner. La semi-renarde lui répond d’un hochement de tête et d’un sourire aimable avant de se replonger dans ses devoirs.