10 – Nightly : Sous les glaces d’un autre monde
La terrasse offre une vue dégagée sur le grand axe qui traverse tout le niveau supérieur de la cité. L’architecture déconcertante joue sur l’inversion : une cité suspendue au plafond, encastrée dans une bulle de matériaux composites dont l’épaisseur est difficile à deviner : la pression de l’eau salée à l’extérieur est telle que même les sensations de l’implant ne permettent pas de distinguer l’interface entre les deux matières.
De nombreuses tours, plus d’une quarantaine, pendent depuis le plafond et forment des alignements à couper le souffle. Les passerelles qui les relient, et forment les rues, semblent flotter au cœur d’un océan vacillant formé par les projections hypnotisantes à la surface du dôme inversé. Les tours elles-mêmes affichent une recherche esthétique avancée : loin d’être lisses, elles présentent des renfoncements géométriques cassant le volume général sans pour autant rendre la chose chaotique. Face à ces colonnes lumineuses et colorées, Nightly a l’impression de regarder de véritables écrans qui afficheraient des motifs abstraits voire abscons.
Se recentrant sur sa mission, l’enfant guerrière se déplace vers la fameuse terrasse. Edward Brawnet, un cadet des forces de sécurité de Waylander, renvoyé avec blâmes et déshonneur. Aujourd’hui se tenait son dernier entretien pour un éventuel recours. Sur un forum, elle avait découvert qu’il avait menacé publiquement de révéler les « combines d’un supérieur avec des indépendants » : de toutes évidences ce n’était pas la chose à faire pour obtenir un recours. Pour ajouter aux conséquences, un contrat, anonyme, a été placé sur la tête de son instance. Même si la mort n’a plus grand sens, surtout pour un ancien militaire, il reste encore de nombreuses personnes pour considérer l’assassinat comme une solution. Le hic : Nightly n’est pas de cet avis et le mercenaire qui a pris la mission a aussi commis plusieurs erreurs.
Au final, le voilà : une forme sombre qui se détache à peine sur le bord de la terrasse. Accroupi, l’assassin a épaulé un fusil de précision. Plusieurs câbles connectés à l’arme partent de l’arrière de son casque : un interfacé. Nightly dégaine une arme shock et avec une élégance involontaire pointe l’homme avant de faire feu deux mètres à côté.
Le camouflage de l’assassin affiche plusieurs motifs d’erreurs, avant de se ficher dans des figures géométriques de différents niveaux de gris tandis que le leurre de foglets reste parfaitement figé. Prudemment, Nightly s’approche du corps, sans pour autant relâcher sa vigilance.
D’un seul geste, le cyborg la balaie d’un coup de pied et se relève, empruntant des positions normalement incompatibles avec la morphologie humaine. Sa combinaison de camouflage endommagée continue de clignoter dans un effort inutile. Par la force de son implant psi, Nightly se stabilise dans les airs avant de se projeter à nouveau sur la plateforme. Le cybernétique présumé – après tout, il a résisté à un tir d’arme shock – dégaine un poignard d’un geste furtif et charge l’enfant.
Alors qu’il est sur le point de l’atteindre, son pied droit traverse le sol et tombe au travers du portail ouvert dans l’urgence par la psion. L’assassin lance sa lame dans la direction de Nightly qui positionne ses mains pour l’intercepter. Elle ne parvient qu’à dévier légèrement la lame qui lui entaille la main gauche jusqu’au métacarpe. L’arme finit dans son flanc droit, à quelques millimètres du foie. Sous la douleur, elle perd le contrôle de l’implant et le portail se referme dans un claquement sec. Le tronc de l’assassin rebondit au sol et une gerbe d’étincelle témoigne du court-circuit qui vient de faire sauter la sécurité de sa batterie.
Nightly s’effondre sur ses genoux et évalue les dégâts : sa vie n’est pas en danger tant que la lame ne bouge pas. Son adversaire ne manifeste plus aucun signe d’activité volontaire et de la fumée commence à sortir des restes de l’assassin trahissant l’incendie qui commencent à ravager ses entrailles. Quant à l’autre partie du cybernétique, la sécurité de la surface risque d’avoir du mal à expliquer sa présence là-haut.
Reprenant très doucement, et douloureusement, sa respiration, Eve se concentre à nouveau sur son implant. Elle se laisse alors glisser vers le casier d’urgence : dedans, elle trouvera du medigel et des calmants. En attendant mieux, ça fera l’affaire. Elle aussi a commis des erreurs. Pourvu que Ney se montre prudente : le réseau lui avait attribué les deux missions dans un même message.
Annotations
Versions