38 – Feyn : La lune brumeuse
Il avait fallu plus de 25 heures pour effectuer le voyage depuis la dangereuse orbite du Bearington jusqu’au chantier spatial Sympan. Cinq heures de plus pour manœuvrer l’Akasha et l’amarrer dans la cale « sèche ». L’opération avait d’ailleurs requis de gigantesques bras et l’utilisation de drones de remorquages : avec le filet, l’Akasha ne pouvait pas se permettre d’utiliser ses propres réacteurs et contrôles d’attitude.
Après l’amarrage, Feyn parcourt le vaisseau en compagnie de sa seconde – puisqu’il en est ainsi – et effectue les dernières vérifications afin d’éviter une mauvaise surprise aux équipes scientifiques et à l’ingénierie spatiale. Le principal risque concerne les canalisations et les réservoirs qui pourraient présenter des fuites et causer de dramatiques défaillances lors de leur refroidissement après l’arrêt des systèmes. Il y a aussi le stock qui, à cause de l’impact, aurait aussi pu se détacher et dériver. Et il y a les affaires personnelles à récupérer.
« Je crois qu’on est bon, là. », déclare Feyn en refermant la liste de tâche des opérations d’extinction. Rien à déclarer, c’est une bonne chose. Si les dégâts externes ne sont pas graves, son vaisseau sera en mesure de repartir dans une semaine. Dans le cas contraire, le commandant devra sans doute attendre un peu plus d’un mois avant de récupérer l’Akasha.
En temps normal, après avoir quitté le vaisseau, la cale sèche est pressurisée en 24 heures puis les travaux commencent. Mais avec l’épave du Bearington, les scientifiques ont décidé qu’il était préférable de laisser la cale dépressurisée, le temps de collecter tous les éléments des restes du vaisseau en évitant toute contamination supplémentaire. Évidemment, ça retardera les travaux de réparation, mais si l’enjeu est à la hauteur des estimations du raton laveur, il vaut mieux mettre toutes les chances de son côté.
Au moment de passer l’écoutille externe, les deux croisent deux techniciens qui attendent pour entrer.
« Bonjour commandant, commence le premier qui transporte une grande malle à outils.
– J’ai passé l’écoutille, je ne suis plus commandant, se défausse Feyn.
– Oui bien sûr. Nous sommes de l’équipe technique : on va s’occuper des premiers relevés de l’Akasha. Ne vous inquiétez pas on a été briefé : pas touche au Bearington.
– Je vois, je suppose que Suan prend tout en charge à partir de maintenant ? Infère le raton laveur.
– On ne peut rien vous cacher, s’amuse le technicien.
– Pas ma première fois en cale sèche en fait.
– On ne va pas vous retenir plus longtemps, je pense que le contrôle aimerait vous voir, abrège son collègue.
– Merci. Bonne journée à vous ! salue Feyn.
– Vous aussi, commandant. », terminent les deux hommes de concert.
Feyn les regarde s’enfoncer à travers l’écoutille de l’Akasha, faisant attention à ne pas heurter les parois avec leur matériel. Alors que les deux astronautes – avec son EVA de sauvetage, Idle mérite amplement le titre désormais – remontent le tube de connexion, la peluche blanche s’exclame : « Mince, j’ai laissé la couverture de Zut dans ma cabine. Je reviens vite ! ».
Le raton laveur la regarde repartir rapidement dans l’Akasha effectuant de gracieux bonds d’une paroi à l’autre profitant de ses pattes geckos et de sa morphologie permettant un déplacement quadrupède avec efficacité.
Un bruit attire l’attention de Feyn de l’autre côté du tube de connexion. Deux autres techniciens approchent eux aussi lourdement chargés, bien que l’expression dans cet espace sans gravité apparente laisse une impression étrange. Les deux hommes le dépassent sans s’arrêter, accentuant la méfiance de l’astronaute. « Pardons, mais vous êtes ? », les arrête Feyn. Après tout, il y a déjà une équipe technique à bord.
Sans lui laisser le temps de réagir, le premier abat le container qu’il transporte sur l’ex-commandant. Le choc, en pleine tête, est terrible et Feyn perd conscience.
Il est réveillé par un homme qui lui tient la main gauche en l’enserrant dans les deux siennes. Il porte un badge virtuel : « Francklin – Medical Chief – Meteora ». Alors qu’il s’apprête à lui parler, il l’enjoint à rester calme d’une voix grave et apaisante. À côté du médecin flotte un cyborg absolu : son corps robotique est taillé pour revendiquer sa nature et il lui fait l’impression de ces robots des films de la fin du siècle précédent. Lui aussi porte un tag RA : « Garreth – Operation Officer – Meteora ».
Les cris d’Idle retentissent : « Laissez Feyn tranquille ! ». Tournant la tête, Feyn s’aperçoit qu’elle vise le groupe avec un plasgun – un dispositif servant à provoquer des surtensions pour faire sauter les fusibles d’un circuit : très pratique en cas d’incendie d’origine électrique. Pas besoin d’aller chercher dans la boîte à fusible. En situation de combat, c’est assez peu efficace mais suffisamment douloureux pour laisser un humain y réfléchir à deux fois avant de foncer dans le tas.
« Pas de panique, je suis médecin et je m’occupe de lui, tempère Francklin.
– Tu as vu d’autres types dans le vaisseau ? le coupe le cybernétique.
– Oui, ils sont au niveau du hub central, entre le bleu et le vert, répond instinctivement Idle.
– Garreth ? Vous pouvez-y aller, indique le médecin.
– J’y vais, ces fils de putes vont morfler, lance le soldat avec hargne.
– Garreth ? l’interrompt le médic.
– Oui ?
–Votre langage… » le rappel Francklin. Haussant les épaules, le combattant blindé s’engage dans la coursive et dépasse Idle qui le contourne d’une manœuvre étonnamment vive et agile. Elle s’approche vers le médecin sans pour autant baisser sa garde.
« Vous allez vraiment me tirer dessus ? demande le médecin avec un ton amical.
– Qu’est-ce qu’il a ? demande Idle qui baisse son arme.
– Votre ami a reçu un vilain coup à la tête. Il avait une lésion bénigne au niveau du lobe temporal gauche, explique l’homme dans son uniforme blanc orné du caducée.
– Il ne faudrait pas m’apporter à l’infirmerie ? questionne Feyn.
– Par chance vous êtes organiques. Je vous ai déjà soigné, vous ne seriez pas conscient sinon. Je vais vous aider à vous rétablir, clarifie-t-il en l‘aidant à retrouver sa stabilité dans l’environnement sans poids.
– Et vous êtes ? demande le commandant.
– Francklin, je travaille avec Sanaë en tant que médecin et spécialiste des psions.
– Oh. Et le robot ? interroge Idle.
– Garreth ? C’est un de nos agents de terrain. Il a un sale caractère mais ne vous en faites pas, il a un très bon fond, explique-t-il. Vous devriez sans doute laisser votre arme au vaisseau, les techniciens en auront sans doute besoin. Laissez-moi vous conduire auprès de Sanaë. », propose Francklin.
Guidés par l’officier de la wardner, l’équipe remonte le tube de connexion pour aller à la rencontre de la représentante du corps des solars, dans sa propre enveloppe cette fois-ci.
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