40 – Nightly : Shopping industriel
Chaque cité dans les colonies présente deux faces. La première est celle que tout le monde voit : les sections privées et publiques où les solaires vivent. Mais aussi vaste soit elle, elle ne représente qu’une partie de la seconde. Pour faire vivre un solaire ce sont des centaines de robots et de systèmes automatisés qui sont utilisés. Beaucoup d’habitants sont évidemment conscient de ce fait, mais assez peu d’entre eux, en dehors des bâtisseurs et concepteurs des cités extraterrestres, parviennent à considérer cette facette au-delà des sections de maintenances passant sous leur appartement.
Ce sont des dizaines de kilomètres carrés qui sortent en dehors des murs faisant apparaître la partie habitée de la cité comme une simple bulle au milieu d’un océan. Évidemment, pratiquement tout ceci est enterré.
Avec les nevians, Eve s’aventure dans ces zones automatisées à la limite de l’autonomie complète, sans pouvoir décider de quel côté de cette limite se placent les installations autour d’elle. Séparés en trois groupes pour gagner du temps, les clandestins recherchent les centres nerveux. Accompagnant Ney, la justicière apprend beaucoup du fonctionnement de tous les appareils qui envahissent les couloirs et les salles. La peluche est une incroyable source de savoir en termes d’ingénierie, d’informatique… de technologie en général : une technophile au sens premier.
Se dirigeant vers la prochaine station de maintenance, Ney poursuit ses explications sur le processus de collecte des ressources premières. Dehors, des carrières automatisées extraient les matériaux nécessaires à la maintenance et l’expansion de la colonie. Croissant comme un réseau sanguin à la surface de la lune, le réseau de collecte reçoit les produits de l’extraction. Il est directement relié aux centres de production des colonies, aux précieux constructeurs universels.
Le contrôle de toute cette infrastructure ne peut pas vraiment être complètement centralisée : une défaillance à un endroit pourrait provoquer la panne de tout le réseau, c’est là qu’interviennent les stations de maintenance. Chaque station est un poste de contrôle en soi qui gère une petite parcelle du réseau global. Des IA non sentientes régulent et ordonnent tous les modules qui y sont connectés : du convoyeur de roche fraîchement extraite aux spiderbots qui patrouillent les installations à la recherche de toute anomalie. Ces stations sont des lieux privilégiés pour introduire le virus et contaminer toute section d’un seul coup. Évidemment, le logiciel conçu par Ney est extrêmement sélectif : personne dans l’équipe ne souhaite toucher à un système relié au réseau de la sécurité.
Au fil des explications, Nightly comprend mieux pourquoi les autres nevian semblent vouer une certaine admiration à la technophile. Après tout, c’est elle qui a transformé quatre réservoirs abandonnés en nid, à faire un pacte avec l’IA centrale de la cité pour garder le groupe sous le radar et qui conçoit et répare les outils qui leur sont utiles.
Et puis, il reste la légende : Ney est celle qui est allée sur Terre et en est revenue. À ce sujet, Eve était très incrédule au départ, mais quelques recherches lui ont permis de confirmer ce fait. Et devinez avec qui elle y était allé ? Tsadir, la wardner. Très peu de détails ont fuité et leur mission n’a officiellement jamais été plus bas que l’orbite.
Les voici devant la station. Un seul terminal est présent sur la colonne abritant l’IA qui gère la section locale. Toutefois, Ney ne s’en sert pas : à la place, elle y branche directement une console et exécute la procédure qui y est stockée. Quelques instants plus tard, la console affiche le message : « Téléversement complet. Début du calcul. ».
Voilà pour cette station, direction la suivante. Encore neuf à faire, une de plus que les autres groupes. Après tout, comme le rappelle le semi-renarde, il n’y a qu’un nombre sur trois qui est multiple de trois et Ney a préféré prendre celle en trop. Contactant les autres équipes, Ney constate qu’elles progressent aussi rapidement de leur côté. Un seul incident à signaler : l’une des stations est en cours de révision et n’a donc pas été patché, mais Ney avait prévu quinze pourcents de pertes dans tous les cas et avec soixante-quinze stations, ils avaient de la marge.
Deux heures plus tard et la dernière station est enfin traitée. Il est temps de rentrer au nid : les résultats arriveront dans environs cinq heures. La technophile lui avait expliqué que le réseau de calcul ainsi mis en place est capable d’effectuer dix puissance trente-six opérations flottantes par secondes. Nightly tente de calculer le nombre d’opérations total que ces cinq heures représentent avant de constater que quelque-soit le résultat qui en ressortira, elle n’aura pas plus de point de comparaison.
Alors qu’elles arrivent dans les sections les plus proches de la cité, plus très loin du nid, Ney reçoit une transmission de Nevi : a priori une opération de contrebande a lieu pas très loin et la cité – l’intelligence centrale d’Ombrenade pour être plus exact – demande à ce qu’elle soit interrompue.
« C’est notre part du marché. On écarte les menaces pour la cité qui sont tolérées à tort par les forces de sécurité, explique Ney.
– On va procéder comment ? demande la justicière.
– Oh, laisse : ne t’en fais pas. Et puis, Nevi t’en voudrait de lui voler son exercice.
– Ça arrive souvent ?
– Non, pas tant que ça. Si ça dégénère, la cité enverra des renforts et fera disparaître notre présence. Ça n’est encore arrivé qu’une fois, mais c’était les blackops de Vranberg-Lytan qui effectuaient un échange avec un groupe de mercenaire un peu trop sensible de la gâchette.
– Un peu comme Nevi, ironise Eve.
– Sans d’adorables compagnons comme nous pour la raisonner, s’amuse Ney.
– Il s’était passé quoi ensuite ?
– Oh, il y a eu une fusillade qui a laissé deux mecs des services secrets de VL sur le carreau et les mercenaires ont sorti des armes lourdes. Évidemment, Nevi a tenté de surenchérir, mais je me suis contentée de signaler l’incident à Ombrenade et on est reparties. Les forces de sécurité de Suan ont débarqué, mis aux arrêts tout ce petit monde et probablement obtenu quelques faveurs de VL pour ne pas ébruiter l’affaire.
– L’IA de la cité a sa propre petite bande de mercenaires donc.
– Si ça te rassure la plupart de nos opérations concernent surtout de la maintenance préventive.
– Préventive ? Comment ça ?
– On… je fais souvent quelques recherches de mon côté en matière de développements de divers outils et ça concerne aussi des améliorations de l’équipement standard. La direction technique de la cité se contente de renouveler ce qui est cassé et d’installer les mises à jour une fois qu’elles sont complètement standardisées. Ombrenade préfère qu’on prenne les devants et qu’on mette à jours les systèmes dès qu’une amélioration suffisamment testée est connue. Quelque part, sur les meilleurs périodes on est responsable de deux pourcents du gain de productivité et de zéro virgule cinq points de fiabilité. C’est pas mal quand on regarde l’échelle des choses.
– Oh. », termine Eve qui n’a aucune idée de ce que représentent ces nombres.
Une nouvelle transmission : a priori, Nevi s’est bien amusée. Les contrebandiers seront ramassés par une inspection de sécurité. Quand, ils trouveront leur cargaison – des bombes à plasma et IEM semble-t-il – ils risquent de ne pas les laisser repartir.
Les voici enfin au nid. Après avoir marché plus de dix-sept kilomètres, Eve se sent un peu fourbue, malgré la faible pesanteur d’un peu moins d’un septième de G, la marche l’a plus éprouvée qu’elle ne l’aurait pensé.
« C’est à cause de l’oxygénation des secteurs de maintenance, le taux d’oxygène peut parfois chuter autour de quinze pourcents de la composition atmosphérique. Tu vas très vite récupérer. », lui explique Scrap qui les attendait devant l’entrée.
Plus que quatre heures et demie.
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