59 – Sanaë : Root privilege

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Sanaë n’a jamais aimé se télécharger dans un avatar virtuel. L’incapacité à interagir avec le monde physique l’a toujours gêné, à la limite de la phobie. Mais les événements sont trop graves pour se replier sur ses sensibilités. Elle s’est donc chargée à bord de l’Anubis une corvette armée dont l’équipage forme le groupe de mercenaire Erypt.

Le commandant, Phoenix, la conduit devant le prisonnier. Il est attaché, inconscient, sur la table de la station médicale. Francklin, lui aussi un fantôme, injecte sa procédure dans le logiciel de contrôle de la table médicale et l’armée de nanorobots injectée commencent leur travail. Remontant dans le cerveau, ils extraient les organites de l’implant de Bishop. L’opération prend un quart d’heure mais s’avère être un succès.

Initialement réservé sur le bien de cette opération, Phoenix semble désormais plus serein maintenant que l’implant de son passager est désactivé. Il s’approche de l’avatar virtuel de la wardner et lui demande : « Et maintenant je suppose que vous allez vouloir le réveiller et l’interroger ?

– On veut effectivement l’interroger, confirme-t-elle.

– Vous comprenez qu’en tant que commandant, je me dois d’assurer la protection de tous à bord, y compris de cette personne, explique le mercenaire. Je sais que vous avez vos méthodes, mais je ne veux pas être un de ces commandants qui bafoue le traité des Solaires.

– Ne vous en faites pas : nous n’effectuerons aucune autre modification. Je me contenterais d’un brainscan, puis je m’en irais, lui assure la wardner.

– Un brainscan est hors limite. C’est complètement illégal, conteste Phoenix.

– Si vous le faisiez ? Oui, confirme-t-elle. Mais je suis solar wardner et je peux m’arroger ce droit. Je serais la seule à avoir accès à ces données, même Francklin n’y aura pas le droit.

– Je suppose que je ne peux que me contenter de votre parole, indique-t-il dépité.

– J’aimerais vous apporter plus, compatit Sanaë.

– Vous avez les capacités d’extraire les informations ? s’interroge le mercenaire.

– Nodeus décryptera la mémoire et me transmettra les résultats. Il réinitialisera son instance ensuite, explique la wardner.

– Si vous le dites. », accepte le commandant résigné.

L’armée de nanorobots commence la cartographie complète du cerveau : chaque neurone, chaque synapse, leur potentiel, leurs renforcements, leur activité… Les données collectées ainsi seraient suffisantes pour reproduire complètement Bishop. Un scan complet.

Une demi-heure plus tard, Nodeus réceptionne les données sur la colonie callistéenne de Zuraztra. La colonie dispose d’un centre de calcul que Sanaë a temporairement réquisitionné. Malgré la formidable puissance de calcul à sa disposition, l’analyse des données du scan dure plus de deux heures. Une émulation aurait été presque instantanée, mais décrypter un cerveau et en extraire des informations sensées est horriblement complexe. Et c’est encore pire pour certaines IA qui cryptent leur mémoire en temps réel, comme les Ley Wan, famille à laquelle Bishop appartient.

Les informations récupérées, Nodeus expédie les résultats, fortement cryptés par une clé fournie par la wardner, au Meteora. Trois heures et demie plus tard, la réception est confirmée et l’IA s’autodétruit avec toutes les informations qu’elle a manipulées.

Revenue sur son vaisseau, le Meteora, toujours amarré au chantier spatial Sympan, Sanaë a reçu l’important paquet de données et, isolée dans sa cabine personnelle, elle examine le résultat de l’analyse du brainscan. Au fil de la lecture du rapport, elle réalise l’horreur de la vie récente de Bishop, autrefois connu sous le nom de Mickael 21E. Un lointain frère de Nightly, Eve 3C. Peu après la guerre des colonies, il a vraisemblablement été enlevé, torturé et pratiquement effacé. Reprogrammé. Il n’a aucun souvenir complet de son ancienne vie et aucun souvenir des autres missions : chaque instance est jetable. Quelqu’un, ou quelque chose l’a cloné à une échelle presque industrielle pour mener des actes de destruction et des meurtres gratuits.

Mais, pourquoi les autres instances qu’elle a pu analyser n’avaient plus toutes ces traces ? Nodeus a aussi trouvé une réponse à cette question. Un killswitch défaillant, une interaction « malheureuse » avec l’implant psi de Bishop, a altéré considérablement le cryptage de la mémoire du malheureux faisant resurgir des souvenirs effacés à la surface. Nodeus lui-même ne s’explique pas comment l’opération est possible : une fois l’information détruite, elle ne peut normalement pas être restaurée. Son hypothèse se limite à impliquer la « magie » de l’implant psi.

D’autres informations ont été restaurées au lieu d’être détruites. Parmi elles, le point de départ de Bishop. Celui de tous les Bishops. La localisation approximative, donne immédiatement des sueurs froides à la wardner : l’île de Bermoothes. Il n’y a qu’une seule installation à la surface de cet endroit maudit et elle le connaît trop bien : le laboratoire du Docteur Ootman.

Elle l’avait fait fermer plusieurs années auparavant : un centre de recherche sur les psions de Suan où les limites éthiques avaient été allègrement franchies. Un centre de torture d’êtres sentients dans le but d’en faire des armes. La guerre des colonies avait, à l’époque, débridé les consciences et d’innombrables horreurs avait été commises sous ce prétexte. Si le labo est encore en activité… La wardner hurle un juron avant de contacter la passerelle : elle s’en va raser l’installation.

Mais avant un message à envoyer : « Commandant Phoenix. Mes recherches indiquent que votre passager est en réalité une victime. Je vous ordonne de prendre contact avec les forces de sécurité civiles de Mars et de leur remettre Bishop, alias Mickael 21E. En aucun cas, vous ne devez autoriser de contact avec les agents de la corporation Suan. Voici un ordre de réquisition comprenant le ravitaillement de votre vaisseau. Je m’assurerais que Mars vous offre une compensation généreuse. »

Et dire qu’elle avait ordonné qu’ils soient tous tués.

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