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« le 5/9/19 , ma chère Hélène,

La promenade s’achève ici à Bordeaux, où j’arrive pour assister au mariage dans l’intimité d’un de mes amis. Je serai dimanche à Paris. Randonnée très intéressante. Chaleur, temps parfait, bonne santé. J’ai pu, après bien des difficultés pour obtenir mon passeport, pousser jusqu’en Espagne et assister à St Sébastien à la légendaire mais véritable course de taureaux avec mise à mort : 6 taureaux, mais aussi de chevaux (près de 20) et presque 2 toréadors blessés. C’est une boucherie que les Espagnols seuls peuvent admettre et apprécier. Je rentre content et satisfait. Je vous espère en bonne santé. Amitiés et meilleurs baisers à tous. Auguste.»

Quel roman fleuve ! Et tout cela sur une petite carte postale. Carte représentant le pont de Bordeaux. Je reconnais le pont de pierre qui enjambe la Garonne, j’ai fait une prépa là-bas. À l’époque, cela devait être la seule voie reliant les deux rives. Écrit serré à l’encre noire, une écriture soignée, quasiment pas de fautes d’orthographe. Une signature graphique. Adressée à une certaine Hélène Cazat à Lyon. Pas de timbre. Soit elle n’a pas été envoyée, soit quelqu’un a soigneusement décollé le timbre, soit elle était sous enveloppe. Pourtant il y a une adresse à droite.

Je n’ai pas de scrupule à m’immiscer dans l’intimité d’une correspondance datant d’il y a presque cent ans …il y a prescription. La deuxième maintenant : l’escalier du grand Théâtre de Bordeaux.

« Bordeaux ,15 février 1906, Suzanne »

Et bien ! Les cartes se suivent et ne se ressemblent pas. La Suzanne a juste voulu envoyer une pensée et un témoignage de sa présence à Bordeaux. Adressée à madame Marie Martin, villa Mireille, boulevard de la Falaise à Vaux-sur-Mer. Encre violette. Timbre vert à 5 centimes …à l’envers ! Maman m’a toujours dit qu’un timbre collé la tête en bas signifiait une insulte pour le destinataire ou un manque de respect pour le facteur. Etait-ce déjà vrai en 1906 ?

Les deux cartes postales suivantes ne portent pas de message. L’une représente la tour Pey -Berland, l’autre la porte Dijeaux. Elles ont juste une valeur historique.

La cinquième maintenant. Elle date de 1929. Elle représente le palais de justice de Bordeaux. Timbre rouge à 10 centimes à l’horizontale. ..Décidemment …je pense qu’à l’époque, il suffisait de coller le timbre, peu importait comment. Là encore, l’écriture est petite, serrée, elle occupe tout l’espace disponible à gauche, on ne gaspillait pas son plaisir d’adresser des nouvelles à ses proches ou amis. Tiens, c’est une adresse à Vaux-sur-Mer également , mais pas la même destinataire : Mademoiselle Anaïse Bartoux. Une mention « non distribué » masque en partie l’adresse qui reste cependant lisible : Chez Mme Gauthier , 3 rue du Sertois.

«Le 22 Juin 1929 , Vaux-sur-Mer

Mon Anaïse chérie

Pourquoi ne nous sommes pas connus plus tôt ? Quelle chance que Julie t’ai choisie pour témoin de mariage. Je ne pensais pas qu’un tel bonheur pourrait me submerger, et ce jour-là ! Ni l’un, ni l’autre n’avons pu résister à cette attraction qui nous a porté l’un vers l’autre. Je suis encore imprégné de l’odeur de ta peau , la douceur de tes courbes, le chant de tes gémissements. Je t’envoie cette carte à la pension où tu m’as dit résider encore quelques jours. Garde notre amour secret, que Julie ne sache rien. Je t’embrasse, ma douce, aussi fort que lors de notre étreinte. Le souvenir de tes caresses va me donner le souffle de vivre. RM »

Très beau message, vraiment. Je ne sais pas si je vais exposer le recto ou le verso de cette dernière carte. J’en vibre encore. Que dois-je comprendre ? RM est-il le mari tout neuf de Julie ? Un adultère le jour même des noces ? Ma curiosité est piquée au vif, que sont devenus ces trois-là ? Le message est tout de même très intime, je suis étonnée que la carte n’ait pas été glissée dans une enveloppe. Sans doute, l’expéditeur était-il pressé ou bien, ébloui d’amour, n’a-t-il pas eu conscience que sa correspondance pouvait tomber sous les yeux de n’importe qui manipulerait la carte. De plus, il n’y a aucun rapport entre Vaux-sur-Mer et le grand théâtre de Bordeaux, sans doute est-ce une carte récupérée dans une collection personnelle ou un souvenir de voyage abandonnée dans un tiroir.

Chaque objet fouiné a trouvé sa place dans mon petit appartement. Le petit gobelet en faïence accueille ma collection de petites cuillères à moka. Le fouet est suspendu à un clou sur un mur de la cuisine, à côté d’une louche en aluminium et d’une passoire cabossée de la même matière. Le binocle a rejoint les autres vieilles besicles dans une bonbonnière en verre sur l’étagère du salon. Quant aux 5 cartes postales, elles sont encadrées chacune dans un petit cadre noir et alignées dans le petit couloir qui mène à ma chambre. Quatre sont exposées côté photo, la dernière côté correspondance, je pensais prendre plaisir à lire et relire ce mot d’amour, mais en fait, c’est un sentiment de malaise qui me gagne à chaque fois que mes yeux parcourent l’écriture ancienne.

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