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Allo ?

- Oui. Laurence ? c’est Gimbya.

- Gimbya, je te rappelle que tu es codée dans mon portable et que ton nom s’affiche sur mon écran avant que je décroche. Tu n’as pas besoin de te présenter, je sais déjà que c’est toi ! Tu sais, c’est comme quand tu serres les fesses parce que tu engages ta voiture dans un passage étroit, cela ne rétrécira pas sa largeur, c’est inutile ! Et bien là aussi, c’est inutile de t’annoncer.

- Bon. D’accord. J’ai une mauvaise nouvelle. Tu te souviens du portail de ma résidence, celui qui brinqueballait. Eh bien, il ne brinqueballe plus, il est tombé sur mon pied ce matin. J’ai une fracture du métatarse.

- Mince alors, t’as pas trop mal ?

- Non, maintenant ça va. J’ai un peu chanté sur le coup et puis je ne pouvais plus poser le pied par terre.

- Ça s’est passé quand ? T’es plâtrée ?

- C’était ce matin. Et oui, j’ai un plâtre du pied jusqu’à mi mollet, et j’ai des béquilles aussi. Je ne dois pas poser le pied par terre pendant au moins 3 semaines.

- Vache. Euh …si je comprends bien, c’est râpé pour le stage de char à voile.

- J’suis dégoutée ! Pour une fois qu’on s’organisait un truc ensemble.

- Ça va ? T’as besoin que je t’aide d’une manière ou d’une autre.

- Non, t’es sympa mais ma mère m’a envoyé un garde du corps : mon frère Assou est là. Il n’a pas encore trouvé de boulot alors il est venu pour m’aider.

- Ils t’ont posée un plâtre couleur chocolat j’espère pour que ça fasse beau avec ta peau ébène.

- M’en parle pas, il est bleu roi, c’est d’un moche ! J’ai coupé la manche d’un vieux pull marron pour mettre par-dessus. Mais il faut que tu y ailles quand même. En plus ils annoncent du beau temps.

- Ecoute, on en rediscute cet aprèm. À tout à l’heure. »

Voilà, mon agenda vient de se vider d’un seul coup de portail ! J’ai dix jours devant moi avant de reprendre mes études d’orthophonie. Gimbya va tout faire pour me persuader de me rendre tout de même à ce stage mais je sais que je n’irai pas sans elle, je suis trop timide, je commencerai à me lier aux autres stagiaires que ce sera déjà la fin du stage. Et puis il y a une idée qui me trotte dans la tête depuis quelques jours. Pour la concrétiser, il me faut revenir au bercail à Saint Vallier. Mes « papa -maman » seront ravis de me câliner, moi je serai ravie d’avoir l’exclusivité, aucun de mes frères et sœurs ne sera là-bas et…. Je serai à proximité pour initier mon projet. Gimbya va être déçue de ma décision. Elle est un trésor de bienveillance pour moi. Nous nous sommes rencontrées lors de la première année d’école d’orthophonie et cela fait trois ans que nous sommes inséparables. Elle est originaire de Tours avec des racines sénégalaises, sixième enfant d’une fratrie de huit. Elle n’a que des frères, autant dire qu’elle est couvée par tous les membres de sa famille. Elle a une beauté racée, la peau ébène, les yeux noisette, la silhouette élancée et très fine, les cheveux plaqués sur le crâne puis réunis en une natte qui s’écoule entre ses épaules, une version plus foncée entre Noémie Lenoir et la chanteuse Sade. Il émane de sa voix et de ses gestes une douceur naturelle qui contraste probablement avec la compagnie bruyante et pleine de testostérone de sa fratrie. Le jour de la rentrée, en attendant l’allocution du responsable de l’école, je la trouvais très discrète en bord de classe. Moi-même en retrait, clouée par ma timidité, je me faisais violence pour l’aborder, histoire d’unir nos solitudes.

- Bonjour, je rentre en 1ère année d’orthophonie. Est-ce que c’est bien ici qu’il faut attendre, je ne suis pas sûre d’avoir compris les consignes dans le hall.

- Eh bien, si tu t’es trompée, je me suis trompée aussi. Je commence également les études d’orthophonie. Où as-tu passé le concours ?

- Oh je l’ai tenté dans 3 centres différents mais finalement, j’ai décroché le sésame à Lille. Et toi ?

- Ça fait deux ans que je le tente et j’ai enfin été reçue ici.

- Tu es de Lille?

- Non, je suis de Tours mais il n’y avait pas de concours là-bas cette année. Et toi, tu viens d’où ?

- J’ai fait mes études à Bordeaux mais ma famille habite en Charente. Comment tu fais ici ? Tu as trouvé une chambre, un studio, une coloc ?

- Mes parents me louent un petit studio dans le quartier Fives. Et toi, tu as trouvé quelque chose ?

- Pareil, un tout petit appartement au sud de Lille du côté du CHU, pas loin d’une station de métro.

Un silence de quelques minutes s’installe. Déjà, ce n’est pas facile pour moi de prendre l’initiative de parler à une inconnue, même de ma génération, mais c’est encore moins facile d’entretenir une conversation. J’espère secrètement que c’est elle qui va réalimenter notre dialogue. En attendant, je promène mon regard à droite et à gauche pour me donner une contenance. J’aperçois alors au fond de la salle, une autre 1ère année qui m’a l’air un peu paumé et seule. J’ai réussi une 1ère fois, j’imagine que je peux à nouveau aller nouer connaissance. Je me retourne vers ….mais je m’aperçois que ma voisine ne m’a pas donné son prénom.

- Excuse-moi, mais je ne connais pas ton prénom.

- Je m’appelle Gimbya, c’est sénégalais cela veut dire «princesse».

- Sympa. Moi, c’est Laurence, ça ne veut rien dire …en fait je sais pas si ça a une signification. Dis, j’ai remarqué une autre fille un peu isolée au fond de la classe, cela te dirait que nous l’approchions ?

- Pourquoi pas, plus on est de fous plus on rit.

Nous nous dirigeons donc vers cette jeune fille au visage anguleux, aux cheveux bruns coupés au carré. Elle est vêtue de la panoplie de l’étudiant classique : jean, tee-shirt, tennis et elle serre un dossier rose à élastiques contre sa poitrine.

Le contact que nous essayons d’établir se révèle être un cuisant échec. Dès que nous avons fini de nous présenter, nous essuyons un « Ben c’est bien, mais moi je n’ai pas envie de vous connaitre, alors vous fatiguez pas et repartez d’où vous venez. » Gimbya et moi nous nous regardons, interloquées dans un premier temps, puis nous tournons les talons et sans nous concerter, nous éclatons de rire prouvant ainsi que nous interprétons et nous réagissons à la situation de la même façon. Et jusqu’à aujourd’hui, cela ne s’est jamais démenti, nous avons la même sensibilité face aux évènements et le même humour. Mais nous n’avons pas le même rire. Je ris tout en retenue, en masquant d’une main ma bouche si elle s’ouvre trop grand et si le rire est trop sonore. Gimbya au contraire, laisse éclater sa joie et rigole à poumons déployés. Nous apprendrons plus tard, que cette mégère n’est pas de notre promotion , elle n’était présente que pour une surveillance rapprochée de son petit copain ….Hubert en aura vite marre et la lourdera promptement.

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