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Déjà Mardi. J’ai souhaité profiter de mes parents pendant deux jours, ce ressourcement m’est essentiel. Je me compare à ces plantes qui ont besoin d’être régulièrement trempées dans une bassine d’eau pour regagner de la vigueur. Ma bassine d’eau à moi ce sont mes parents . Mes liens avec eux ne sont pas pour autant fusionnels mais ils sont mes tuteurs, mes racines, mes références, mes complices, mon oxygène. Je ne prends pas de décision importante sans connaitre leur avis. Dès qu’ils sont malades, l’inquiétude me ronge au point de ne plus avoir d’appétit, heureusement, ils ont la santé plutôt solide. Aujourd’hui, en me levant, je ressens toujours l’impérieuse obligation d’en découdre avec mon énigme.
- Maman, tu ne me comptes pas à déjeuner aujourd’hui, je pars en vadrouille…enfin si toi ou papa vous me prêtez l’une des deux voitures. Tu crois que c’est possible ?
- Tu n’as qu’à prendre la mienne, Florence passe me voir dans l’après-midi, il n’est pas prévu que l’on bouge et si on doit bouger, on prendra la sienne. Tu reviens pour le diner ?
- Oh oui, je pense que oui. Je vais vers Royan. Tu penses qu’il faut combien de temps pour aller là-bas?
- Peut-être une heure et demi, peut-être un peu plus. Tu vas à la plage ?
- Peut-être j’irai me tremper les pieds mais en fait je vais aux archives de la ville faire une recherche.
- Pour tes études ?
- Non, je te raconterai ce soir.
- Tu prendras un sandwich là-bas ou, si tu veux, j’ai de quoi faire un pan bagnat.
- Un pan bagnat, ça me tente mais je préfère me mettre en route tout de suite. Je trouverai sur place. Où est papa que je lui dise bonjour ?
- Où veux-tu qu’il soit ? Dans la grange évidemment, il s’est mis en tête de ressusciter le vieux transistor de sa grand-mère. Un truc à galène qui le passionne depuis quinze jours. Je ne le vois que pour les repas. Je ne suis même pas sûre qu’il se rende à sa partie de pétanque demain.
La route fut un peu plus longue que prévu. Un tracteur impossible à doubler puis un convoi exceptionnel et enfin une voiturette sans permis ; j’ai eu l’impression que ces ralentissements étaient tous autant de signes qui m’avertissaient que je n’avais pas le droit de m’immiscer dans une vie qui n’avait aucun rapport avec la mienne. Peu importe, ma décision était prise et j’étais devant la mairie de Vaux-sur-Mer. C’est un site magnifique, un petit manoir en pierres blanches, isolé dans un parc au plein cœur de la ville. A l’accueil, on m’aiguille vers le service des archives susceptible de me renseigner, mais la nana a semblé étonnée de ma démarche et m’a transmis son scepticisme sur le succès de ma recherche. Quoiqu’il en soit je suis devant la documentaliste du département de l’état civil.
- Bonjour madame, voilà, j’ai une date et les initiales d’un marié et avec ces informations, j’essaye d’identifier quelqu’un.
- Vous n’avez plus l’âge de croire au Père Noël mademoiselle. Sans le nom et sans la certitude que le mariage a été célébré à Vaux-sur-Mer, je ne peux rien faire pour vous. Bon, tentons quand même, racontez-moi votre histoire.
- En fait je cherche l’avis d’un mariage célébré au début du vingtième siècle, en 1929, sans doute au mois de Juin. La mariée se prénomme Julie et le marié a peut-être les initiales RM et le témoin de la mariée se prénomme Anaïse.
La chance me sourit, dès la 3ème page consultée, nous tombons sur cette annonce :
«le vingt-un Juin de l’an mil neuf cent vingt-neuf à quatorze heure dix minutes, devant Nous, ont comparu publiquement en la maison commune : René Martin, imprimeur, né le vingt décembre mil neuf cent à Vaux-sur-Mer, vingt-huit ans, domicilié boulevard de la Falaise à Vaux-sur-Mer, fils d’Ernest Martin, imprimeur, boulevard de la Falaise et de Marie Vilette, son épouse, sans profession, domiciliés à Vaux-sur- Mer, d’une part, et Julie Godet, employée, née à Goupilières ( Seine et Oise) le dix-sept Avril mil neuf cent huit, vingt et un an, domiciliée vingt-quatre rue d’Angoulême à Libourne, fille de Joseph Eugène Godet, décédé, et de Charlotte Elizabeth Chéron , sa veuve, employée, domiciliée vingt-quatre rue d’Angoulême à Libourne, d’autre part. Sans opposition, les futurs époux déclarent qu’il n’a pas été fait de contrat de mariage. René Martin et Julie Godet ont déclaré l’un après l’autre vouloir se prendre pour époux et Nous avons prononcé au nom de la loi qu’ils sont unis par le mariage. En présence de : Anaïse Bartoux , née le vingt-huit avril mil neuf cent huit sans profession, à Fronsac et de Régis Martin, né le vingt décembre mil neuf cent, gardien de phare à Cordouan, témoins majeurs qui, lecture faite, ont signé avec les époux et Nous, Maurice Garnier, maire de Vaux-sur-Mer. »
Bingo. Consultation rapide et efficace. Confirmation du mariage de RM avec Julie. Famille d’imprimeur. Découverte de l’identité des témoins. L’autre témoin est probablement le frère du marié, je dirai même son frère jumeau et....il a les mêmes initiales RM , Régis Martin, cela va corser l'affaire, cela pourrait être lui l'auteur de la carte. Découverte de l’origine géographique d’Anaïse, Fronsac. Je prends l’extrait en photo. J’étudie les signatures, celle de René le marié est penchée vers la droite, très tremblante, le pauvre homme devait être bouleversé. Celle de Régis est plus droite.
Après ce premier succès, je décide de me renseigner sur la pension du trois rue Sertois. Je vais interroger la dame de l’accueil. En fait, je constate que c’est une toute jeune fille qui est derrière le guichet, je doute qu’elle connaisse tout le village et en particulier les vieux quartiers, je décide tout de même de lui laisser sa chance de me prouver le contraire. Evidemment, l’informatique vient à son secours. Elle sait utiliser tous les logiciels qui lui permettent d’accéder aux noms des rues, au nom des villas, au plan du village aux différentes époques, aux propriétaires des différents terrains et maisons. Donc, dans un premier temps, elle m’annonce que cette rue n’existe plus, qu’elle a fait l’objet de nombreux réaménagements et la plupart des maisons ont été détruites dont le n° 3. Je l’interroge alors sur la Villa Mireille où habitait une Mme Marie Martin et à qui était adressée la deuxième carte postale et qui semble être la mère du marié. Cette femme apparait sur la publication de mariage. Les recherches révèlent que le boulevard des Falaises existe toujours, il est situé dans l’un des quartiers les plus huppés de Vaux, le quartier Pontaillac. La villa Mireille existe toujours, mais elle ne porte plus ce nom, d’ailleurs elle ne porte plus de nom du tout. J’en sais suffisamment pour me rendre sur le site avec l’idée de consulter d’abord la boite aux lettres. Aurai-je par la suite le culot de sonner et d’interroger la famille ? …Et puis d’abord comment présenter mon affaire pour obtenir des réponses sans dévoiler le motif, car il est hors de question que cette famille reconstitue l’histoire à ma place. Le destin m’a désignée pour enquêter et je me sens de plus en plus investie d’une mission…Le mystique m’aurait-il frappée ?
Petit SMS à ma maman qui m’a abandonnée sa voiture une journée supplémentaire sans m’assaillir de questions : « dormi dans un formule 1 – petit déjeuner dans un bar face à la mer- un peu cher mais le kiff total. Programme : visite du phare de Cordouan cet aprèm – je serais de retour en soirée- merci encore et bonne journée à vous deux. »
Bon maintenant direction villa Mireille. Je n’en ai eu que pour cinq minutes pour rejoindre ma destination et me garer. Je découvre une énorme villa style 19 ème siècle, poutres apparentes en façade, peintes en rouge basque, bow-window, toits pointus. Elle parait habitée, les volets sont ouverts, le jardin entretenu. Je me gare un peu plus loin et remonte la rue en flâneuse. A trois ou quatre mètres du portail, j’essaie de repérer la boite aux lettres et la sonnette. J’aperçois le clapet argenté dans le muret de clôture à droite d’un portillon. En m’approchant, je constate qu’il y a une étiquette d’identification portant une inscription. Je vérifie que personne de la maison ou du quartier n’est susceptible de me repérer et d’être intrigué par mon comportement et je penche la tête vers l’étiquette : Emmanuel LAVEAU et Anne MARTIN. Qu’est-ce que je vais faire de cette information maintenant ? La génération qui habite la villa est sans doute trop récente pour se souvenir d’Anaïse. Je poursuis ma route, me réfugie à l’ombre d’un pin parasol et consulte internet sur mon portable. Je recherche d’abord Emmanuel Laveau à Vaux-sur-Mer. Il a une page LinkedIn : infographiste, j’ai bien l’impression que c’est la version moderne de l’imprimerie, l’entreprise familiale perdurerait-elle ? La photo, si elle est actuelle, indique un homme d’une quarantaine d’année, yeux clairs, chauve, barbe courte. Il ne semble pas être inscrit sur d’autres réseaux sociaux. Anne Martin maintenant. Aïe, il y a au moins une trentaine de profils « Facebook », impossible de trouver le bon, bien souvent il n’y a pas d’indication géographique et peut-être est-elle mariée et inscrite sous son nom d'épouse et peut-être n’est-elle pas inscrite du tout. Rien sur « copain d’avant », rien sur « Instagram », un profil sur « LinkedIn » » mais sur la région de Metz, je ne pense pas que cela corresponde. Je ne suis pas avancée, je suis même dans une impasse. Comment aborder ces personnes et quelles questions leur poser ? Connaissez-vous Anaïse Bartoux, une femme de plus de cent ans donc probablement décédée, qui était témoin au mariage de Léon Martin et Julie Godet en 1929 car j’ai une carte postale à lui remettre ? Ils risquent me rire au nez et m’envoyer paître, en tout cas c’est sans doute ce que je ferais. Il faut que j’essaie d’en savoir plus sur Anaïse. Je diffère cette enquête et je m’apprête à repartir sur Royan pour attraper la première navette de l’après-midi pour le phare de Cordouan. Dix secondes après que j’ai rebroussé chemin, j’entends des freins de vélo dans mon dos. En me retournant, je vois un jeune garçon d’une douzaine d’année, cheveux blonds mi-longs en bataille, assis sur une vieille bicyclette, il bascule son torse pour essayer d’attraper la poignée du portail sans laisser tomber les 2 baguettes de pain qu’il serre sous son coude. Sans réfléchir, je le hèle.
- Hey, s’il te plait, je peux te poser une question ?
Pourvu que je ne l’ai pas effrayé avec mon approche un peu brutale. Je poursuis avant même qu’il ne me réponde.
- Tu habites ici ?
- Euh, ouais.
- Ton nom de famille, c’est peut- être Laveau ou Martin ou les deux ?
- Laveau tout court.
- Tu vas peut-être pouvoir m’aider. Voilà, je fais des recherches sur une femme qui a peut-être un lien avec un de tes ancêtres. Tu me parais trop jeune pour l’avoir connu mais peut-être en as-tu entendu parler par ta famille. Il s’agit d’Anaïse Bartoux, ce nom te dit-il quelque chose ?
- Euh… non.
- Tu crois que tes parents pourraient m’en dire davantage ?
- Possible, mais ils sont absents en ce moment. C’est une amie de maman qui nous garde moi et mes deux petits frères.
- Oh je vois, ce n’est pas grave. Je repasserai peut-être plus tard. Tu sais quand ils seront rentrés ?
- Ils sont en Floride pour leur anniversaire de mariage, je crois qu’ils seront là dans un mois.
- Alors, ce ne sera pas possible car je ne serai plus sur la région mais ce n’est pas grave. Je te remercie d’avoir accepté de me parler, je te souhaite une bonne journée.
- Merci, à vous aussi.
Bien poli ce gamin. Je suis effarée par la naïveté des enfants. Il a répondu à mes questions sans se méfier, après tout j’aurais pu être une prédatrice et poser des questions plus dérangeantes ou profiter de l’absence révélée de ses parents pour préparer un mauvais coup. A son âge, mes parents me répétaient tous les jours de ne surtout pas me laisser aborder par un inconnu, d’ignorer ses questions et de courir vers un endroit où il y a du monde. De toutes façons, ces conseils étaient inutiles car maman ne nous lâchaient pas d’une semelle, moi et mes frères et sœur.
J’ai peu avancé mais il me reste une piste : celle de Régis Martin, le jumeau de René Martin, son témoin de mariage qui partage les mêmes initiales.
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