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Les semaines se sont écoulées. Le rythme des cours et des TP a été suffisamment soutenu pour que l’affaire « Anaïse » passe au second plan. Cependant, je projette de partir à Fronsac dans deux semaines pour les vacances de Toussaint. Ce coup-ci je n’en parlerai à personne. Il me faut encore programmer le train, les déplacements, l’hébergement, bref toute la logistique. Ce sera l’occupation de ce week-end mais pour l’heure, je dois remettre de l’ordre dans mes fichiers et relire un peu mes cours, les compléter éventuellement en comparant avec les notes que Gymbia aura prises. Nous profitons de l’ambiance studieuse d’une salle de travail ou toutes les promotions se côtoient sans pour autant se mélanger. Cette atmosphère silencieuse est perturbée par la vibration de mon portable posé à coté de mon ordinateur. Confuse, je consulte rapidement l’écran, et ne reconnaissant pas le numéro qui s’affiche, je refuse promptement l’appel puis met mon smartphone en mode avion. Quelques secondes après, l’écran s’allume m’indiquant la réception d’un SMS, je l’ignore. Gymbia, qui s’autorise quelques privautés et qui est très curieuse, attrape mon appareil et consulte le message avant que je réagisse. Elle tourne alors son visage vers moi avec une moue qui évoque la gourmandise. Intriguée, je consulte à mon tour le message pendant que Gymbia rédige un message sur son propre téléphone.

« Bonjour, vous allez être surprise que je vous contacte mais mon collègue et moi on se demande si vous avez abouti dans votre enquête sur le gardien de phare. Je suis actuellement en congé chez un pote à Tourcoing. Si vous êtes d’accord, on peut se rencontrer ou bien vous pouvez me rappeler ou envoyer un message. Malo, le gardien de Cordouan »

Dans la seconde qui suit, j’ouvre le message que Gymbia vient de m’envoyer.

« Petite cachotière, c’est qui ce vieux qui te drague »

« 1 – c’est pas un vieux, 2 – où tu vois qu’il me drague »

« C’est un vieux à cause des bonnes manières, il te drague à cause du baratin »

« N’importe quoi »

« Tu le convoques pour demain 14h, je serai ton chaperon »

« - icone smiley dubitatif -, - icone pouce vers le bas - »

« Non pour le voir ou pour le chaperon »

« Pour les 2 »

« J’ai pas dit mon dernier mot »

Finalement, je me remets au travail et diffère à ce soir l’envoi du SMS que j’enverrai à ce Malo. Visiblement Gymbia n’en a pas fini avec ses messages, elle tapote sur son écran à une vitesse surprenante. Je ne sais pas ce qu’elle va m’envoyer mais au demi sourire qu’elle affiche, je dois m’attendre à une tirade pleine d’humour. Au bout d’une minute et demi, c’est son téléphone qu’elle me tend.

« Pourquoi pas demain, 14h devant le furet à Lille. Envoyé du tel de ma copine car le mien est en panne de batterie »

J’hallucine, elle n’a pas fait ça. Je consulte le numéro du destinataire puis celui de Malo sur mon smartphone …..Elle a osé, j’y crois pas, elle a retenu le numéro en ne le voyant qu’une seule fois et elle a envoyé un message à Malo. Je me retourne vers Gymbia qui a des larmes qui perlent aux yeux tant elle se retient d’éclater de rire. Je tape ma tempe du doigt pour lui signifier que je doute de sa santé mentale. Je réfléchis trente secondes et ayant toujours son portable en main, j’active la page de ses contacts, trouve Hubert, l’ex de la mégère de la rentrée de première année, il continue son cursus et tourne un peu autour de Gymbia. Je commence à rédiger : « t’es trop beau, je suis trop in love pour t... » mais je n’ai pas le temps de terminer le mot que cette peste a réussi à reprendre son appareil et efface tout le message. Puis elle me le tend à nouveau pour que je lise la réponse qu’elle vient de recevoir de Malo « Ok, à demain ».

Autant dire que la nuit a été agitée. Je suis toujours énervée par l’initiative de Gymbia. Parallèlement, je suis contente que les deux gardiens s’intéressent à mon histoire, c’est donc qu’elle est crédible et intrigante. Hier soir, Gymbia m’a questionnée sur le physique de Malo. Je lui ai fait croire que je ne me souvenais plus très bien duquel des deux il s’agissait. Baliverne ! Je ne peux pas oublier si vite le visage de celui qui m’a montré l’image de feu Régis Martin, car aujourd’hui je suis persuadée que le portrait le représente et que c’est lui plutôt que René qui a succombé aux charmes d’Anaïse.

Il est 14h, je balaie du regard les alentours du Furet à la recherche d’un homme dans la trentaine, plutôt bronzé, aux cheveux longs, blonds, coiffés en catogan et avec une barbe de trois jours. Nous sommes samedi, malgré la pluie, il y a une circulation assez dense autour de la célèbre librairie. Au bout de cinq minutes, je me dis qu’il ne viendra pas, quelqu’un de plus confiant attendrait la quinzième minute pour évoquer cette éventualité. Quelque part je suis vexée mais par ailleurs je suis presque soulagée. Je décide de profiter de ce temps qui vient de se libérer pour aller musarder dans le rayon des polars. Dans le sas d’entrée du Furet, une main se pose sur mon épaule. En tournant la tête, je m’aperçois que cette main appartient à un bras habillé d’une manche de vareuse vert bouteille. Malo justifie:

- Bonjour, je me suis mis à l’abri ici, j’allais vous envoyer un message pour vous avertir.

- Bonjour, je venais aussi me mettre au sec, on allait forcément se rencontrer. Comment allez-vous ? Vous ne devez pas être trop dérangé par l’humidité.

- Pour sûr, mais il manque l’iode et le sel pour que je sois totalement dans mon élément. Est-ce que vous acceptez qu’on se tutoie pour que la conversation soit moins officielle ?

- J’adhère complétement. Ça te dit qu’on prenne un café à la houblonnière en face ?

- Allez, c’est parti.

En disant cela, Malo, ouvre la porte et galamment me laisse sortir la première. Nous pressons le pas pour échapper le plus vite possible à la fine pluie qui rince la région depuis ce matin. Nous entrons dans la brasserie, les déjeuners les plus tardifs se terminent, de nombreuses tables sont déjà nettoyées et disponibles dans une salle aussi moderne que la façade est rustique. Nous nous attablons, l’un en face de l’autre, dans le fond de la salle et commandons notre café. Il reprend alors la conversation. « tu avais peur de t’ennuyer que tu as amené ton bouquin ». Malo indique du menton le livre que je viens de poser sur la table.

- Non, bien sûr que non. C’est une habitude que j’ai d’abandonner le livre que je viens de lire dans un endroit public, je n'ai pas de place pour une bibliothèque chez moi. J'imagine qu’il va être récupéré et lu par quelqu’un d’autre mais je ne l’abandonnerai pas ici, il serait probablement mis à la poubelle par le serveur. Mais parlons de toi. Alors tu es en vacances et plutôt que de profiter du charme de l’Atlantique tu as préféré le crachin du Nord.

- J’ai préféré passer du bon temps avec mon copain mais je n’avais pas calculé qu’il serait si occupé par son boulot. C’est pas grave, on a pu passer quelques soirées ensemble et j’ai utilisé mon temps libre pour faire des peintures dans son nouvel appartement.

- T’aimes bien bricoler ?

- Aimer c’est un bien grand mot, disons que sur le phare on a aussi des missions d’entretien et, du coup, je suis plus à l’aise avec certains domaines du bricolage. Attends, c’était pas une question piège au moins, tu n’as pas l’intention de profiter de ma présence pour des réparations chez toi ?

- Sait-on jamais ….non, je blague. Je touche du bois mais pour l’instant pas de panne chez moi.

Je rosis et transpire de l’audace que représente ma réponse spontanée et teintée d’humour. Malo sourit. Peut-être a-t-il apprécié ce trait d’humour ? Quelques secondes silencieuses s’écoulent puis Malo reprend la parole :

- Tu as l’air nerveux ? Quelque chose ne va pas ?

- Oh, ça va, c’est juste que je suis une empotée dans les relations humaines. D’ailleurs si ma copine n’avait pas chipé mon portable et mémorisé ton numéro pour te fixer ce rendez-vous, je me serais contentée de te répondre par SMS.

- Et bien, merci la copine ! C’est une farceuse ?

- Il ne faut pas y voir de la malice. Elle essaie de me …sociabiliser. Et puis c’est vrai qu’elle est polissonne, elle aime bien faire des plaisanteries.

- Polissonne, je connais ce mot mais je crois que je ne l’ai jamais entendu prononcé par quelqu’un. Je te proposerai bien de faire le coup de l’arroseur arrosé et de préparer un piège pour ta copine. Mais, raconte-moi d’abord ton enquête.

- Mon enquête … Et bien, elle aurait pu tenir dans un SMS. En fait, je n’ai pas beaucoup avancé. Comme tu le sais, tout démarre d’une vieille carte postale de 1929. C’est visiblement l’histoire d’un coup de foudre entre Régis, donc le gardien de phare, et une certaine Anaïse qui était peut-être sa cavalière au cours d’un mariage. Il aurait écrit et posté la carte le lendemain du mariage, juste avant de monter dans le bateau pour Cordouan, bateau qui a coulé avec tous ses occupants pendant une tempête. Lorsque j’ai tenu cette carte en main, j’ai ressenti une sorte d’urgence, comme une obligation à savoir qui étaient Régis et Anaïse et à porter cette carte à qui de droit, alors pas Anaïse bien sûr mais peut-être un descendant. J’ai eu l’opportunité, sans le rechercher, de faire une expérience ésotérique avec une médium. Elle a vu la tempête, elle a vu le phare, elle m’a parlé de Régis qui était mort mais qui revenait et elle m’a aussi parlé d’un bébé. Ce sentiment d’urgence dont je te parle est toujours présent. Donc, la semaine prochaine ce sont les vacances, je vais aller à Fronsac, c’est la ville natale d’Anaïse et je vais peut-être en apprendre plus.

- Comment tu sais qu’elle est née à Fronsac.

- En fait, j’ai eu accès aux archives de l’état civil et j’ai retrouvé l’inscription du mariage où Anaïse et Régis étaient témoins et où ils se sont rencontrés. En tant que témoins, leurs données de naissance sont consignées.

- Comment sais-tu de quel mariage il s’agit ?

- Parce que dans la carte, R. M parle d’un mariage, j'ai pensé que cela pouvait être le sien donc ça me donne l’initiale du nom de famille et la carte est datée, date confirmée par l’oblitération du timbre, ça suffit pour retrouver la trace du mariage en postulant qu’il a eu lieu dans la même ville que l’adresse de la carte. C’était le cas, j’ai eu de la chance.

- Tu sais que tu as réussi à m’intriguer avec ton histoire, j’aimerai bien que tu me donnes la suite quand tu seras plus avancée et si ça ne te dérange pas.

- Pas de problème, si ça te passionne.

- Alors maintenant parlons de ta copine. Qu’est-ce que tu dirais qu’on la convoque ici et qu’on lui fasse la comédie quand elle arrive ?

- Quelle comédie ?

- Voyons. Elle veut te sociabiliser, alors soit je fais venir ma bande de copains, on leur demande de te tourner autour comme des mouches autour d’un pot de miel, soit je joue tout seul la mouche et on lui fait croire à un coup de foudre entre nous, ce qui est déjà plus simple à organiser.

- Dans un cas comme dans l’autre, tu vas te heurter à ma pudeur. Dans le premier cas, je vais être extrêmement embarrassée et dans le deuxième cas, je vais être extrêmement …embarrassée. En plus , des mouches autour d’un pot de miel , c’est pas très flatteur.

- Tu as raison, excuse-moi, je n’ai pas l’habitude de parler aux jeunes filles .Pour en revenir au scénario, on n’a pas besoin d’aller très loin dans la comédie, se tenir la main ça suffira. Tiens, donne-moi ta main, tu vas voir ce n’est pas si difficile que ça.

Malo me tend sa main sur la table. Non ! Mais comment peut-il croire que je vais oser y loger la mienne ? Devant ma paralysie, il reprend la parole :

- Panique pas, j’arrête de te torturer. Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour retourner la blague contre ton amie ?

- C’est le mot « contre » qui m’embête. Je ne lui en veux pas, on passe un bon moment il me semble. Pourquoi une vengeance ?

- Ce n’est pas une vengeance, juste une blague. J’avoue que ça me plairait assez de rencontrer…comment s’appelle-t-elle ?

- Gymbia.

- Gymbia ? C’est un diminutif ?

- Non, elle est d’origine sénégalaise.

- Cela me plairait assez de rencontrer Gymbia pour la remercier d’avoir provoqué cette rencontre.

- Alors là c’est différent. Je suis sûre qu’elle est déjà prête à nous rejoindre et elle a dû m’envoyer au moins dix messages pour me demander comment ça se passe, en me demandant de te décrire, peut-être même de prendre une photo à ton insu et de lui envoyer.

- Vérifie. C’est peut-être autour de l’idée de cette photo qu’on peut lui faire une blague…..Je crois que j’ai une idée. Tu pourrais prendre une banquette vide en photo et lui écrire qu’en fait, je t’ai posé un lapin et lui demander de te rejoindre pour te consoler de la déconvenue. En fait, je crois que j’ai envie de m’amuser, j’en ai peu l’occasion au phare.

Pendant qu’il montait son stratagème, j’ai sorti mon portable de mon sac et je n’ai pu que confirmer ce que je pensais . Quatre messages, le dernier date d’il y a cinq minutes et c’est le plus pressant : «allez, sois sympa, dis-moi comment il est et s’il est sympa et si tu passes un bon moment ». Après tout, pourquoi ne pas faire venir Gymbia, les sujets de conversation avec Malo vont s’épuiser, elle relancera l’ambiance.

- Attends, ne le fais pas tout de suite. On va changer de bistrot, on va en prendre un sur la place Rihour et au passage, j’irai acheter une peluche de lapin pour Gymbia, en rapport à « je t’ai posé un lapin » !

Et un cadeau pour Gymbia, un ! Son charme aurait-il encore frappé avant même qu’elle ne soit présente ? Après avoir réglé notre consommation, nous sortons du café. La pluie est plus dense, et nous nous serrons sous mon parapluie pour parcourir les quelques mètres qui nous séparent de la place Rihour. A proximité du Furet du Nord, Malo me propose de l’attendre dans le sas, le temps qu’il achète la peluche, il m’affirme qu’il sera rapide car il a repéré, en flânant tout à l’heure, le rayon ou il trouvera probablement ce qu’il cherche. Effectivement il est de retour cinq minutes après avec un petit sachet en papier rouge estampillé de la célèbre librairie. C’est dans le sas que j’envoie la photo de la banquette vide prise tout de même à notre départ de « la houblonnière », j’accompagne la photo de quelques pleurnicheries et je propose à Gymbia qu’elle me retrouve à « La Chicorée », l’établissement est gigantesque, on y trouvera forcément de la place. Malo semble satisfait de la tournure que prend le rendez-vous. Je ne sais pas comment interpréter cet enthousiasme. Je me rassure en pensant que je suis libre de leur fausser compagnie si une alchimie se nouait entre eux. Nous trouvons rapidement une table et même deux dans le bistrot. Malo s’installe à l’une d’entre elle et moi à la table voisine, ainsi nous pouvons continuer de bavarder tout en surveillant l’arrivée de Gymbia. J’informe Malo qu’il n’aura pas de mal à la reconnaitre par sa couleur de peau, sa coiffure afro, et probablement sa béquille. On lui a ôté son plâtre ce matin mais on a dû lui recommander de garder cette sécurité jusqu’à ce que la rééducation ait renforcé ses muscles. Inno est reparti à Tours en début d’après-midi, Gymbia va donc prendre le métro pour arriver, cela va lui prendre à peu près un quart d’heure pendant lesquels je vais devoir nourrir la conversation ce qui me semble une véritable épreuve.

Finalement, elle a mis près de trente minutes à nous rejoindre. Les échanges dont je présumais qu’ils allaient être laborieux, ont été très fluides voire même plaisants entre banalités, plaisanteries et découverte de l’autre. Pour une fois je suis en présence de quelqu’un qui n’attend pas uniquement que je m’intéresse à lui mais qui se soucie également de moi, quelqu’un qui a de l’éducation en quelques sortes. J’ai pu apprendre qu’il avait trente ans, qu’il était lui aussi originaire de Charente mais Charente Maritime. Un « cagouillard » . Cela fait trois ans qu’il est affecté au phare de Cordouan, qu’il a bossé avec acharnement pour réussir l’entretien et il ne le regrette pas car même s’il est régulièrement coupé de sa famille et que cela lui coûte, il apprécie ces temps de retraite pendant lesquels il réfléchit sur lui-même et se cultive dans multiples domaines. Plus jeune, il a réussi deux CAP, électricité et plomberie. Je lui fait remarquer qu’il est donc un bricoleur aguerri et tout à l’heure, il a joué les modestes. Il étudie la construction en autodidacte car son rêve serait de bâtir un jour sa propre maison. Cette double casquette a forcément joué en sa faveur pour son affectation. De moi je n’ai livré que le strict minimum, je reste toujours méfiante avec des presqu’inconnus. Nous nous découvrons un goût commun pour inventer des histoires. Ainsi quand Gymbia s’est pointée, nous étions en train d’inventer la vie de l’élégant vieux couple qui prenait le thé à quelques tables de nous. Notre imagination délirante nous conduisait à une discrète rigolade. Je restais cependant vigilante aux personnes qui entraient et je simulais une quinte de toux lorsque Gymbia pointa le bout de son nez. C’était le code convenu pour que chacun reprenne une attitude indifférente. Malo plonge le regard dans le journal abandonné sur la table par le client précédent et qu’il a pris soin de déplier en prévision de l’arrivée de Gymbia. Celle-ci s’installe en face de moi à environ un mètre et demi de Malo.

- Alors ma belle, il n’est pas venu. Tu n’es pas trop déçue ? J’espère qu’il t’a envoyé un message pour s’excuser au moins. D’ailleurs il aurait dû le faire avant que tu ne te déplaces.

- Même pas, un vrai mufle ! (J’ai du mal à ne pas sourire)

- Un goujat.

- Un paltoquet.

- Tu as raison, défoule-toi. Un …..euh…

Gymbia est en difficulté pour trouver un nouveau nom d’oiseau, c’est le moment que Malo choisit pour intervenir :

- Un minable ?

- Peut-être mais ce n’est pas poli d’écouter la conversation des autres, décoche Gymbia à ce voisin sans-gêne.

- A vrai dire, j’essaie de minimiser la gravité des insultes en les proposant moi-même.

- Mais de quoi je me mêle ?

Je décide alors d’intervenir :

- Euh, je te présente Malo, le gardien de Cordouan.

Gymbia reste interdite pendant dix secondes, me regarde puis dévisage Malo, puis me regarde à nouveau , la bouche ouverte, en fronçant les sourcils. Ne sachant quelles sont les émotions qui l’animent, je prononce prudemment :

- On a voulu te faire une petite blague, rien de méchant.

- Et tu m’as laissé l’insulter alors qu’il entendait tout, que dis-je, qu’il écoutait tout.

- J’ai commencé la première.

- Et j’ai terminé la liste, déclare Malo.

- Eh bien, c’est original comme présentation. Contente de faire ta connaissance monsieur Pignouf !

- Mes hommages mademoiselle « j’organise des rendez-vous à l’insu de ma copine ».

Gymbia se retourne vivement vers moi :

- Ah ouais, tu m’as dénoncée et en plus tu me fais venir pour que l’humiliation soit plus grande. Allez, je te pardonne parce qu’il est beau gosse. Top là, on cesse les hostilités, dit-elle en tendant le plat de la main devant Malo.

Alors que Malo accepte ce deal et change de table pour prendre place à côté de moi, le serveur arrive pour prendre la commande de Gymbia. Elle se décide pour un thé au citron. Malo reprend la parole :

- Je souhaitais t’offrir un petit cadeau pour me faire pardonner de cette blague dit-il en tendant le fameux petit sachet du Furet.

- Oh, et bien merci mais, tu sais, les blagues fusent entre Laurence et moi et ce n’est pas pour autant qu’on compense nos indélicatesses par des petits présents. Mais voyons comment tu veux effacer ton affront.

Gymbia ouvre alors le sachet et en extirpe un porte-clef. Le sujet est un smiley qui pleure de rire en peluche, la chaine qui le relie à l’anneau est remplacée par une plaquette gravée « it’s a joke ». Machinalement, Gymbia presse la peluche qui émet alors un couinement aigu et peu discret auquel elle ne s’attendait pas. Cela la fait éclater de rire. Malo murmure à mon oreille « je n’ai pas trouvé de lapin». Gymbia appuie à nouveau deux ou trois fois pour renouveler l’effet comique puis elle s’adresse à moi :

- Ecoute ça (couinement)… on va pouvoir communiquer en message codé , une pression ça voudra dire « oui », deux pressions « non », trois pressions « vise le beau mec » ...

- Et on s’arrêtera là si tu le veux bien! Merci Malo, c’est exactement ce qu’il lui fallait, elle ne va plus arrêter de le faire braire !

- Tu préfères que je lui reprenne ? »

Gymbia s’insurge :

- Ah non alors. Offrir c’est donner et reprendre c’est voler.

- DONNER c’est donné et reprendre c’est voler, c’est ça la bonne expression.

- Oh Monsieur a de l’instruction ! et bien on n’a pas fini de s’emmerder avec toi!

Nous pouffons tous de rire puis, tel que je le prévoyais, Gymbia monopolise la conversation en posant un tas de question à Malo, questions dont je connais déjà les réponses puisque ce sont les mêmes que j’ai précédemment posées. Si bien qu’au bout de dix minutes, j’ai l’impression d’être de trop. Je farfouille dans mon sac pour prélever quelques pièces dans mon porte-monnaie. Avant de les mettre sur la table pour régler ma consommation, je trouve poli de les avertir de mon départ :

- Je crois que je vais vous fausser compagnie car je vais profiter d’être à Lille pour aller à la vieille bourse chez les bouquinistes. Je voudrais trouver un vieux bouquin sur la musique pour l’anniversaire de ma sœur.

Ce prétexte n’est qu’à moitié mensonge car c’est véritablement l’anniversaire d’Agnès mais, à vrai dire, j’ai encore dix jours pour lui trouver un cadeau. D’ailleurs Gymbia n’est pas dupe :

- N’importe quoi, tu vas te rasseoir et tu trouveras un truc sur internet comme tu fais d’habitude.

- D’autant plus que j’ai prévu aussi un petit cadeau pour toi, poursuit Malo .

Il glisse une main dans la poche ventrale de sa vareuse et en sort un petit carré de papier de soie plié qu’il me tend. Déjà je suis touchée de cette attention qu’il a dû avoir en amont de notre rendez-vous puis je m’interroge sur le contenu. Le paquet est très léger et tout plat. Je tente de deviner :

- De l’écume des vagues de Cordouan ?

- Bien tenté mais non.

- Cela a-t-il rapport avec mon enquête ?

- Dans une certaine limite.

Gymbia trépigne d’impatience :

- Arrête de faire durer le suspense, ouvre.

Je déploie délicatement les pans du papier et je découvre un bracelet : un lien en coton bleu dur retenant une médaille argentée sur laquelle est gravé un dessin stylisé du phare de cordouan.

- Waouh ! Très joli et très original. Mais ça t’arrive souvent d’offrir un souvenir aux touristes.

- Uniquement celles qui me font vibrer en me racontant des histoires mystérieuses.

- Elles sont nombreuses ?

- Tu es la première.

Il me semble que Malo rosisse en avouant cela mais je ne pourrais l’affirmer car j’ose à peine le regarder tant je suis troublée. Je pose la médaille sur ma paume que je tends vers Gymbia pour qu’elle apprécie la gravure. Elle demande :

- C’est le phare de Cordouan ?

- En plus simple. J’ai une copine qui fait des bijoux fantaisie et à qui j’ai demandé de faire cette petite médaille. D’ailleurs, elle va peut-être garder l’idée car des bijoux fantaisie sur Cordouan, cela n’existe pas, il y a un créneau à occuper. Mais celui-ci restera unique, il y a une inscription au verso.

- Une inscription au verso ?

Je ramène la médaille sous mes yeux et la retourne. Je découvre alors l’inscription « le mystère d’Anaïse ». Je m’exclame :

- Génial. Je ne sais pas si ce mystère sera résolu un jour mais, du coup, je ne pourrai pas l’oublier. Cette médaille aura peut-être le pouvoir de calmer cette obsession qui me pousse à continuer les recherches. Tiens, tu veux bien me le resserrer.

J’ai passé le bracelet autour de mon poignet gauche et Malo fait coulisser les deux extrémités dans la gaine de nœuds pour l’ajuster. Je tends légèrement le bras et le fait tourner pour juger de l’effet esthétique qui me satisfait instantanément. Puis je me penche vers Malo pour apposer une bise rapide mais sincère sur sa joue droite et lui dit :

- Eh bien, je ne m’y attendais pas. Merci beaucoup. C’est toi qui devrais porter ce genre de bijoux.

Malo relève alors la manche gauche de sa vareuse et dévoile le même bracelet avec un lien de cuir noir et une médaille rectangulaire gravée du même dessin. Gymbia ne peut s’empêcher de demander :

- Et tu as gravé la même chose au verso ?

- Pas exactement, mais là, cela restera mon secret.

Elle poursuit :

- Mais …tu avais le tien depuis longtemps et tu as commandé celui de Laurence pour l’occasion ?

- Non…j’ai d’abord discuté du bracelet pour Laurence avec Fanny, la copine en question, et quand elle a eu terminé la médaille, j’ai été emballé et je lui ai demandé de me faire une version un peu plus masculine et voilà ce que cela a donné. Du coup, elle va faire une collection-capsule en déclinant en pendentif, bracelet et bague pour le commercialiser sur Market-place sur internet et si ça marche, elle le proposera dans les boutiques de Royan.

- Pas mal, je pense qu’elle va avoir du succès, enfin, tout dépend du prix. Euh, Laurence, tu ne devais pas aller chez les bouquinistes ?

J’ignore la question de Gymbia car une autre me turlupine. Je me retourne vers Malo :

- Mais tu as pris un risque, tu n’étais pas sûr que j’accepte de te voir, je dirai même que s’il ne tenait qu’à moi, je t’en ai parlé, je me serai contentée d’un SMS. Qu’aurais-tu fait du bracelet dans ce cas-là?

- Je ne veux pas t’offenser mais ce n’est pas un lourd investissement, ça n’aurait pas été un drame. Mais, probablement, je l’aurai remis à Fanny qui aurait limé l’inscription au dos pour le dépersonnaliser et le mettre en vente.

- Ah ouais, tu aurais lâché l’affaire aussi facilement, tu n’aurais pas cherché Laurence davantage ? Ce n’est pas très flatteur pour elle, le tacle Gymbia.

- Euh… quoiqu’il en soit, le scénario se passe au mieux alors pas la peine d’évoquer le pire.

Par nécessité mais aussi pour m’accorder un petit temps de réflexion, je m’échappe aux toilettes. Les pensées et émotions s’accumulent et se télescopent dans mon cerveau. Je suis incapable d’établir une chronologie dans les instants que je viens de vivre, il faut que je pare au plus pressé. Que se passe-t-il ? La tentative de simulacre de couple, le bracelet, est-ce que je me fais un film ou ai-je raison de penser que Malo me manifeste de l’intérêt ? Obéit-il simplement à d’aimables idées sans arrière-pensée ou cherche-t-il à me faire comprendre qu’il nourrit quelques sentiments pour moi ? Sentiments amicaux ? sentiments amoureux ? Il a fait également un cadeau à Gymbia. Après tout, ce n’est peut-être qu’un gentil garçon, trop isolé dans son phare et qui cherche des contacts quels qu’ils soient lorsqu’il est sur le continent. Je reste sur ce dernier scénario et je rejoins ma meilleure amie et mon nouvel ami. Lorsque j’arrive à la table, le ticket de caisse a été apporté, quelques pièces se sont ajoutées aux miennes et garnissent la soucoupe. Mes deux compagnons du jours sont en train de se lever. Malo m’indique qu’il doit reprendre le métro dans une heure et demi et que pour finir l’après-midi, il propose qu’on aille voir une exposition dans une galerie à quelques pas d’ici. Ce matin, il a trouvé un prospectus sur deux artistes locaux qui ont choisi le thème « nuage » pour confronter leur perception. Tout de suite Gymbia réagit :

- Moi, je suis juste venue chercher mon cadeau, maintenant que je l’ai, croyez pas que je vais continuer à supporter votre présence, j’ai mieux à faire.

- Dis-moi, ce n’est pas l’amabilité qui t’étouffe aujourd’hui. C’est Malo qui a été désagréable pendant ma courte absence ?

- Non, plus sérieusement, je ne pense pas que ce soit raisonnable que je piétine pendant une heure, je vais plutôt regagner mes pénates et mettre mon petit peton au repos. Tu me diras si l’expo vaut le coup et jusque quand elle dure, je pourrai aller la voir plus tard quand je serai plus mobile.

- Ok. Bon, ben on y va ? Enfin, si toi tu supportes ma compagnie, s’inquiète Malo en m'interrogeant.

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