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Je suis fourbue de mon périple mais tout s’est bien déroulé, le voyage, la nuit dans une chambre anonyme, le bus qui n’a enregistré que deux minutes de retard.

À Fronsac, le terminus est en face de la mairie, c’est une chance car dans ma préparation je n’avais pas anticipé l’adresse de la mairie. Il s’agit d’un bâtiment moderne dont l’architecture respecte l’empreinte de la Gironde. Il est 9h15, en théorie cela fait un quart d’heure que les services sont ouverts, j’espère pouvoir rencontrer quelqu’un qui me renseignera. Je ne devrais pas rencontrer de problème car l’acte de naissance date d’il y a plus de soixante-quinze ans, condition obligatoire pour obtenir des informations lorsqu’il n’y a pas de lien filial entre celui qui cherche et celui qui est recherché. Le hall est désert. Je m’approche de la zone d’accueil. Derrière le guichet, une femme fraichement arrivée embrasse ses deux collègues. Je patiente le temps que les effusions et les échanges sur les banalités du weekend prennent fin. La plus âgée des trois femmes s’aperçoit enfin de ma présence :

- Bonjour Madame, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

J’ai réfléchi à l’avance à ma réponse pour être la plus claire possible et perdre le moins de temps. Mme Bénédicte, comme le révèle son badge, prend le combiné et contacte le service approprié pour annoncer ma requête et obtenir l’autorisation de m’y diriger.

- Vous êtes attendue au service des archives. C’est au premier étage, l’escalier est au fond à droite, sur le palier prenez à droite et ce sera la porte au fond du couloir. C’est Mr Fleury qui va s’occuper de vous .

- Merci beaucoup.

Alors que je gravis les premières marches, je ne peux m’empêcher d’inventer une physionomie à Mr Fleury. Guidée par les clichés cinématographiques, je m’apprête à rencontrer un homme plutôt court sur patte et bedonnant, un visage lunaire, le sommet du crâne dégarni mais maladroitement recouvert d’une longue mèche hissée depuis la naissance de l’oreille, de fines lunettes à montures métalliques, vêtu d’une chemisette écossaise. À quelques détails près, c’est exactement le personnage qui m’ouvre la porte si on excepte qu’il est jeune, noir, grand, un teeshirt blanc tendu sur son torse musclé, coiffé de box braids, un sourire lumineux éclairant un visage harmonieux. En quelques minutes, je l’informe de l’objet de ma recherche : nom de la personne, année de naissance. Mr Fleury, Adam de son prénom, fronce les sourcils :

- Mais si vous avez toutes les infos sur cette personne, qu’est-ce que la recherche va vous amener de mieux ?

- L'année et le lieu du décès peut-être.

- Je ne veux pas vous décourager mais si la personne n’est pas décédée dans sa ville de naissance, l’information n’est pas toujours transmise. Bon je crois que l’année 1908 a été numérisée mais il n’est pas garanti qu’elle soit complète . Les documents d’avant-guerre ont beaucoup soufferts et certains registres ont été détruits. Suivez-moi à l’ordinateur, on va voir si vous avez un bon karma.

Un poste informatique avec deux chaises a été placé contre le mur sous des affiches vantant les mérites de la généalogie. Adam réactive l’écran puis clique sur le seul icone qui meuble le bureau électronique. Il entre mon état civil car, m’explique-t-il , l’administration doit garder une trace de tous les demandeurs d’information. Il me demande ensuite le motif : là encore j’ai anticipé. Le coup de la carte postale ne passera peut-être pas alors j’invente une amie qui habite à l’étranger, qui construit son arbre généalogique et qui m’a demandé de lui rendre service. Puis il fait défiler, trop rapidement pour que je puisse la déchiffrer, une échelle des années. Si je n’avais pas été aussi impatiente du résultat de ma recherche, je lui aurais sans doute demandé à quelle date remonte les premières données disponibles. Nous sommes sur l’année 1908, la photo d’un vieux registre à la reliure fragilisée apparait, une flèche sur la droite de l’écran permet de tourner les pages et d’avancer dans l’année. Une petite fenêtre en bas à droite nous informe du nombre total de pages : 252. Adam demande la page 70. L’écran affiche les extraits d’état civil du 2 avril. Je reconnais le style d’écriture raffinée que j’ai découvert à la mairie de Royan sur l’enregistrement du mariage de René et Julie. Il demande alors la page 72, en bas de la page un avis de naissance du 25 avril. La page 73 sera la bonne : au 28 avril, déclaration de naissance d’Anaïse, Louise, Sylvette Bartoux fille de Gilbert Bartoux et de Jeanne Bartoux. Dans la marge de l’acte de naissance, des indications supplémentaires ont été ajoutées, écrites en petits caractères, avec des lettres dont les boucles, les panses et les jambages s’entremêlent parfois. Il faut l’œil du professionnel pour parvenir à décrypter le message. Adam note sur un bout de papier au fur et à mesure qu’il déchiffre péniblement l’annotation.

- Votre horoscope devait être positif ce matin me dit-il en me tendant le bout de papier.

J’y lis la mention « décédée le 31 octobre 1968 à Saint Martin de Ré ». Voilà une découverte qui ne m’arrange pas, il va falloir poursuivre mes vacances sur l’ile de Ré. Je me dis qu’il y a pire comme destination de recherche. Ma détermination est telle que je sais que je vais me rendre sur cette ile. Mais comment rallier l’ile de Ré ? Autant utiliser les ressources locales pour commencer à solutionner le problème. J’interroge donc Adam :

- Vous sauriez me dire comment on peut se rendre sur l’ile de Ré à partir d’ici ?

- Oh, je n’en ai aucune idée. Je ne m’y suis jamais rendu qu’en voiture. Vous pouvez utiliser l’ordinateur, avec Google map, vous devez pouvoir trouver l’itinéraire.

- Il me faut plus que l’itinéraire, il me faut les moyens de transport.

- Je crois que Google map devrait vous renseigner sur les différentes possibilités et même les horaires.

- Sur les hébergements aussi ?

- Ça dépend de votre budget mais par contre, je peux vous recommander un camping. Il loue des chalets et des mobil-home, en basse saison cela ne doit pas être trop cher. »

Je navigue sur le web et je constate rapidement qu’il ne faut pas que je perde de temps. Il n’y a qu’un bus blablacar qui part pour La Rochelle à 14h, il rallie La Rochelle en trois heures. Auparavant , il faut que je reparte à Libourne, et que je prenne le train pour Bordeaux. Il est 10h 10 c’est jouable. A La Rochelle, un bus part toutes les deux heures pour Saint Martin de Ré. Le camping, c’est niet, à cette époque, ils doivent être fermés, mais il y a des locations de libre apparemment, je réserverai lorsque je serai dans le train. Je remercie sincèrement Adam et je m’échappe très vite pour prendre le premier bus pour Libourne.

Je suis dans le train régional à destination de Bordeaux, les correspondances semblent bien s’enchainer. Je profite du trajet pour me raisonner. Ce Séjour sur l’ile de Ré va me coûter la peau des fesses. Le jeu en vaut-il la chandelle ? J’ai aussi la possibilité de tout arrêter et de prendre un train pour Lille une fois que je serai à la gare de Bordeaux. Ou bien je profite de cette opportunité pour m’offrir des mini-vacances sur l’ile, en continuant mes recherches… ou pas. J’ai le cerveau qui bouillonne et les doutes qui m’oppressent. Mais les signes continuent de se manifester. Au moment où je vais décider d’abandonner mon objectif, le train ralentit puis s’arrête en face d’une zone d’activité. L’arrêt ne durera que deux ou trois minutes mais là, sous mes yeux, sur la façade en tôle rouillée d’un bâtiment industriel s’étalent les lettres sérigraphiées « R. MARTIN TRANSPORT ». Je reste médusée, je prends même une photo avec mon smartphone pour m’assurer que ce n’est pas une illusion inventée par mes neurones. Je regarde la photo et non, le bâtiment est bien net et l’inscription bien lisible. J’en tremble. Jusque-là, j’étais consciente que les indices que j’interprétais comme des signes pouvaient être attribués au hasard ou provoqués par des mécanismes logiques. Par exemple, dans mon couloir, la chute du cadre ne peut-elle être due à son effleurement par mon épaule ? Après tout le couloir est étroit et il est habituel que je cogne les murs quand je l’empreinte alors que je suis mal réveillée. Mais ce que j’ai sous les yeux est inexplicable, lié à trop de conditions : le train n’était pas sensé s’arrêter en pleine voie, et pourquoi ce nom précis, cette initiale précise, à cet endroit précis, à ce moment précis. Mon trouble me mène à évoquer l’intervention d’esprits, d’âmes défuntes impliquées dans cette histoire, Régis lui-même. Bouleversée, je capitule face à ces forces occultes et l’évidence me conduira sur l’ile de Ré.

Dans le bus à destination de l’ile de Ré, je termine de ficeler mon séjour. Au niveau logistique, j'ai réservé un petit studio situé dans le centre de Saint Martin de Ré. Je prévois de louer un vélo pour me déplacer. Au niveau démarche, je peux contacter la mairie pour me renseigner sur la sépulture d’Anaïse, ou bien interroger le gardien du cimetière mais je doute qu’il en existe un. Le cimetière est à l’ouest de la ville, en dehors des remparts. J’espère que ma recherche aboutira rapidement car je souhaiterais limiter mon séjour à deux nuits. Sans trop de difficultés, je parviens au studio réservé. C’est un ancien garage aménagé en petit appartement. Le couchage est un canapé clic-clac, la kitchenette est sommaire mais suffisante pour un court séjour. Les toilettes sont sur le palier accessible par une porte ; la salle d’eau se limite à une cabine de douche et un lavabo. Les propriétaires habitent à l’étage, ils m’accueillent avec enthousiasme et, inespéré, propose la location d’un vélo pour dix euros, il n’est pas électrique mais ils m’affirment que l’ile est petite et toute plate, que je ne devrais pas avoir de problème pour parcourir les pistes cyclables. Il est 17 heures 30 lorsque je suis installée, trop tard pour envisager une visite à la mairie. Dans la location, je trouve une carte touristique de Saint Martin de Ré et une carte de l’ile. Je repère la mairie pour le lendemain et dans l’immédiat, je repère une supérette. Ma liste de course sera courte : une brique de soupe pour ce soir, un sandwich, des yaourts, des pommes, des sachets de thé et des biscuits "spécial petit déjeuner" qui me serviront également d’encas au milieu de la journée. Pour l’eau, je me contenterai de l’eau du robinet, j’en remplirai ma gourde avant de partir. Après le diner, le programme se terminera par une douche puis j’avancerai sur ma lecture en cours « le joueur d’échec » de Stefan Zweig, un livre que je ne vais pas tarder à terminer et que j’abandonnerai sans doute à la petite bibliothèque de la location.

Je me réveille naturellement vers 7 heures mais je vais paresser jusqu’à 8 heures. La mairie est proche et ouvre à 9 heures comme beaucoup d’administration. Pendant une heure, je profite de la chaleur de la couette pour laisser libre court à ma mémoire. Elle fait remonter à la surface l’image de mes parents, de Gymbia , de Malo, de mon frère Guillaume qui est militaire, officier sur un porte avion et qui serait atterré d’écouter mon histoire, qui me traiterait de folle-dingue. J’ai également une pensée pour Agnès et Julien qui complètent ma fratrie, l’une est graphiste, l’autre termine des études d’ingénieur.

Le bâtiment de la mairie est un hôtel particulier typique du XVIII siècle avec une façade en pierre blanche assez austère. Il occupe presque tout un coté de la place de la République. Quelle ville n’a pas sa place de la République ? Celle-ci est terriblement goudronnée, seule sa bordure de châtaigniers atténue sa couleur minérale. Le drapeau français m’indique de loin l’entrée de la mairie. Dans la salle d’accueil, une touriste allemande tente de se faire comprendre. Elle vient se plaindre de la propreté du camping municipal,…je souris intérieurement, peut-être est-ce celui que l’archiviste voulait me recommander. Je pensais que les campings fermaient à la basse saison, pas celui-ci apparemment. Elle baragouine avec un mélange de français, d’anglais et d’allemand difficilement compréhensible. La secrétaire de mairie tente de lui expliquer qu’elle doit en parler au responsable du camping. Bärble, de son prénom, s’énerve et élève la voix en protestant que le gérant du camping ne veut pas reconnaitre les problèmes d’insalubrité. Je sens que je vais devoir attendre un bout de temps avant que l’on s’occupe de moi. Bärble vocifère de plus en plus, avec son accent très guttural elle révèle qu’elle a soixante-six ans et qu’elle ne peut plus supporter ces négligences. La maladresse des tournures grammaticales contraste avec la richesse de son vocabulaire. Sa tenue vestimentaire trahit une certaine noblesse. Je me demande si un camping peut correspondre à son standing, peut-être aurait-elle mieux fait de descendre à l’hôtel. C’est d’ailleurs ce que la secrétaire semble lui suggérer avec diplomatie :

- Nous n’avons jamais de plainte, sans doute est-ce un accident, quelques cheveux qui trainent sur le sol ne remettent pas en cause toute l’énergie investie par l’équipe du camping pour garantir les obligations sanitaires… . Peut-être n'êtes vous pas habituée à un confort un peu plus sommaire que celui d'un hotel.

À bout d’arguments, elle préfère conduire la touriste irascible vers le bureau de l’adjoint du maire. En revenant à son bureau , elle m’adresse un « ouf » de soulagement et m’invite à lui donner le motif de ma visite. Comme à la mairie de Fronsac, j’ai préparé ma réponse pour qu’elle soit la plus compréhensible possible. Mon interlocutrice ne tarde pas à prononcer :

- Eh bien, ce n’est vraiment pas mon jour ! c’est la première fois que je dois gérer ce genre de demande et je ne sais même pas si j’ai le droit de vous satisfaire.

- Vous savez, si vous ne m’aidez pas, je chercherai toute seule en arpentant le cimetière mais cela me prendra sans doute plus de temps. Les cimetières sont des lieux publics.

- Sans doute mais je vais quand même suivre le protocole, permettez-moi de consulter le vade-mecum.

Elle sort alors un gros classeur d’un casier à droite de son bureau, consulte le sommaire, pagine pour atteindre le bon document sur lequel j’aperçois une liste de cinq consignes.

- Avant de vous répondre il faut que je relève votre identité et celle du défunt que vous recherchez sur un registre.

- Pas de problèmes . j’espère que c’est la bonne commune et que la tombe existe toujours.

Je lui tends alors ma carte d’identité . Elle en note les coordonnées sur son cahier et y rajoute les informations que je détiens sur Anaïse. Elle tapote sur son clavier et me délivre enfin d’une angoisse latente en me confirmant qu’il y a bien une tombe à ce nom au cimetière de Saint Martin. Elle fouille alors dans son trieur et en sort le plan du cimetière. Elle se lève, gagne le fond de la salle pour en faire une photocopie puis revient à son bureau. Elle reconsulte son écran puis trace une marque sur le plan avec un fluo .Elle me tend alors la feuille de papier :

- Vous savez où est le cimetière ?

- Oui .

- Alors , voilà, j’ai colorié la tombe que vous recherchez . Ce n’est pas un très grand cimetière vous devriez trouver sans difficultés.

Le « merci – au revoir » puis je sors de la mairie, retire l’antivol avant d’enfourcher le vélo. Optimiste, je l’ai loué pour deux jours en priant pour qu’il me soit utile. J’ai déjà mémorisé mon itinéraire : la rue Carnot ( la prendre dans le bon sens pour sortir du centre-ville) le cours Pasteur et le portail est à gauche juste après le premier rond-point. J’entrouvre ce fameux portail en moins de temps qu’il ne faut pour éternuer tant le parcours m’a paru rapide. Je n’ai jamais été très douée en course d’orientation mais, ici, il n’y a que 3 allées. Petit coup d’œil sur le plan, celle qui m’intéresse et à gauche de l’allée centrale, la tombe coloriée est au bord de cette allée, à droite, vers le milieu du premier carré. Comme tout cimetière, il règne une atmosphère particulière, un silence absolu, même le bruit de la circulation sur l’axe routier à proximité semble s’évaporer, une odeur minérale malgré le foisonnement de fleurs sur certaines tombes. Une enveloppe de quiétude m’enrobe. Le cimetière est désert, seul un chat tigré roux sinue entre les sépultures et se pose sur l’une ou l’autre des dalles. Sa présence singulière capte mon attention et je ne peux résister à le prendre en photo dans ses poses les plus gracieuses. Puis je me ressaisis et fixe ma concentration sur les noms gravés sur les stèles. Quelques-uns sont recouverts en partie par des lichens qui les rendent illisibles. Mon angoisse enfle au fur et à mesure que j’approche de l’emplacement. Isidor Garde, famille Merle, famille Jabeau- Huisse, Mélanie Loubertin…famille Martin. Je suis en face d’une grande chapelle. Est-ce la sépulture que je recherche ? Martin ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi Anaïse Bartoux serait-elle ici ? Les paroles de la tante de Noëlle me reviennent en mémoire « l’homme revient ». Se peut-il que Régis ne soit pas mort, qu’il soit revenu et qu’il ait épousé Anaïse ? Je dépasse le caveau et lis les noms sur les tombes environnantes, je ne suis probablement pas au bon endroit et c’est juste une coïncidence si la tombe d’Anaïse jouxte celle d’une famille Martin qui est le patronyme peut-être le plus courant en France. Mais je dois me rendre à l’évidence, aucune dalle ne porte un nom ne serait-ce qu’approchant celui que je recherche. Le pire scénario se profile, le repérage des tombes en mairie est erroné et il va me falloir ausculter tout le cimetière pour aboutir. Je reste tout de même intriguée par cette chapelle. J’y retourne pour essayer de découvrir, à travers les barreaux de la porte, le nom des défunts qui y reposent. La liste est gravée sur une plaque de granite vissée sur le mur du fond. Malgré l’obscurité et des fleurs artificielles qui masquent certains noms, je devine le nom de Bartoux. Je suis partagée entre la curiosité de connaitre les noms et les dates de cette liste et le risque que cela puisse constituer une profanation. C’est à ce moment-là que le petit rouquin ronronnant vient se frotter contre mes mollets. Je sais que cela ne veut rien dire mais j’ai envie d’y voir un nouveau présage m’autorisant à m’immiscer dans l’histoire de cette famille. Je m’assure d’être toujours toute seule dans le cimetière et je photographie du plus près que je peux et sous tous les angles possibles cette plaque funéraire. Je vais m’assoir sur un des deux bancs que j’ai repéré en arrivant devant le cimetière. Petit rouquin ne m’a pas suivie, il a préféré s’étaler sur une dalle chauffée par le soleil. Je fouille dans mon sac banane pour en extirper un stylo, je plie le plan du cimetière pour pouvoir écrire au verso. Photo après photo, j’essaie de reconstituer la liste. Lorsqu’il me manque un morceau d’information, je tente de le deviner . Au bout de quinze minutes je parviens à la liste suivante :

Léonard Martin 1855 – 1889

Augustine Martin née Chaumet 1856 – 1904

Ernest Martin 1875 – 1937

Marie Martin née Vilette 1878 - 1942

Julie Martin née Godet 17/4/1908 – 5/10/1935

Anaïse Martin née Bartoux 28/4/1908 – 12/4/1959

Odette Bartoux 15/7/1935 – 15/7/1935

René Martin 20/12/1900 – 3/9/1988

Audrey Brun 16/1/2003 – 1/7/2018

Je vérifie certaines informations avec la photo de l’extrait de mariage que je retrouve dans la galerie de mon portable. Les dates correspondent, ce sont bien les bons personnages. Si je ne me trompe pas, Anaïse a porté le nom de Martin, s’est-elle mariée avec Régis qui n’aurait pas péri dans le naufrage. Mais alors pourquoi Régis n’est pas dans ce caveau ? Il est forcément décédé. Peut-être ne vivait-il plus ensemble ? Ou bien n’étaient-ils pas domiciliés sur l’ile de Ré. Dans ce cas, pourquoi est-elle dans ce caveau ? Et cette petite Odette, décédée le jour de sa naissance et citée tout de suite après. Elle s’appelle Bartoux en 1935 donc Anaïse l’a eu en dehors du mariage. Est-ce tout de même la fille de Régis ? Est-ce le bébé évoqué par la tante Fanny ? Quel embrouillamini ! Je parcours à nouveau la liste, il y a la première génération : Léonard et Augustine, puis la deuxième génération : Ernest et Marie, puis la troisième génération : René et Julie d’une part et Régis et Anaïse d’autre part, puis la quatrième génération : Odette. Et puis il y a cette jeune fille qui est décédée il y a trois mois : Audrey. Quelle légitimité a-t-elle dans cette famille ? Elle avait quinze ans et demi quand elle est décédée. Une famille doit encore être dans le deuil de ce drame. J’ai un autre problème à résoudre : voilà, j’ai retrouvé Anaïse, dois-je abandonner la carte dans le caveau ? Est-ce la mission ultime pour laquelle cette force m’a guidée ? Il faut que je retourne à cette chapelle. Je pousse à nouveau le portail du cimetière et marche sans hésitation dans cette direction. J’ai à peine tourné dans l’allée, que j’aperçois une présence devant l’édifice. Je ne m’arrête pas, je dépasse une femme qui s’essuie les yeux avec un mouchoir et qui marmonne des phrases inaudibles que je ne veux surtout pas entendre. Comme petit rouquin tout à l’heure, j’oblique vers la droite un peu plus haut et sinue entre les dalles pour m’arrêter au hasard en face d’une tombe qui m’apparait récente. Je me donne une contenance de recueillement pour justifier ma présence mais, peu importe, la femme est tellement ancrée dans sa peine qu’elle ne serait même pas perturbée par un zombie. La situation est malaisante, il faut que je cesse cette pantomime, que je sorte d’ici pour que cet endroit retrouve son authenticité.

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