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- Mademoiselle, mademoiselle.
Ces mots me parviennent mais semblent bien lointains.
- Mademoiselle, Mademoiselle …Va chercher un verre d’eau sucrée.
Je suis toujours dans le brouillard. Je reprends peu à peu mes esprits. Je ne parviens pas à lever mes paupières. Je sens que je suis allongée et que mes jambes sont surélevées. Quelqu’un me gifle d’abord doucement puis plus fermement, un coup à droite, un coup à gauche. On me tapote le dos de la main. J’ouvre mes yeux mais je vois flou.
- Ça y est , elle revient à elle. Vous vous êtes évanouie. Vous avez mangé à midi ?
- Wé le coc.
- J’ai pas compris. Qu’est-ce que vous dites ?
Les mots sortent comme ils peuvent, je ne maitrise pas mon vocabulaire.
- C’est le coc de la darde à wue.
- Essayez de boire cela, c’est de l’eau sucrée. On a appelé un docteur, il va vous examiner.
- Bas la beine, je wais mieux.
Je sors du brouillard, je constate que je suis allongée par terre devant le bureau, là où je me suis probablement écroulée. Ils sont trois uniformes à m’assister. Il me semble reconnaitre le lieutenant, le gendarme et la gendarmette de la plage. Je bois l’eau sucrée qui me fait grimacer. J’inspire profondément et lentement trois ou quatre fois. Je retrouve toute ma conscience et me relève aidée par les deux hommes qui me rassoit immédiatement sur la chaise. Je m’ébroue.
- Ça va mieux ? Vous m’avez surpris. On va suspendre l’audition et vous allez vous reposer dans une pièce en attendant le médecin.
- Il n’y a pas besoin , je vais bien maintenant. C’est le décalage entre « porter secours à une petite fille » et « garde à vue », mon cerveau n’a pas compris, il a déconnecté. Je suis restée inconsciente longtemps ?
- Oui, quand même. Facilement cinq minutes, c’est pour ça que vous allez laisser le médecin vous ausculter et on se reverra tout à l’heure.
Me voici maintenant isolée dans un autre bureau. Je dois admettre que je suis totalement paniquée à la pensée que je pourrais passer ma nuit au cachot. J’ai les mains moites et des tremblements incontrôlables. Peut-être suis-je dans un mauvais rêve ? Le lieutenant m’a permis de prendre mon sac à dos, j’y attrape mon téléphone. Evidemment, je ne vais alerter personne de ma mésaventure, inutile d’aller inquiéter mes parents tant que les décisions ne sont pas encore fermes.Et puis, ils vont sans doute examiner mes derniers contacts, je ne veux pas emporter quelqu'un d'autre dans ma mésaventure. Je me surprends à invoquer ma petite étoile qui me guide depuis presque deux mois. M’a-t-elle menée jusqu’ici pour me laisser tomber au moment le plus délicat ? Il faut que j’arrête de cogiter. J’ouvre un « Tetris » sur mon portable, cela va m’occuper l’esprit jusqu’à l’arrivée du toubib. Celui-ci arrive au bout de dix minutes alors que j’enchaine partie sur partie tant mes scores sont minables.
- Docteur Gayon. Que vous arrive-t-il ? On m’a parlé d’un malaise.
- Je suis tombée dans les pommes quand on m’a annoncé une possible garde-à-vue.
- Vous ne seriez pas aussi inoffensive que vous en avez l’air ?
- Je préfère même pas en parler tellement je suis dégoutée par la situation.
Tout en devisant, le médecin me prend la tension, écoute mon cœur, mesure ma température au front.
- Pour l’instant toutes les constantes sont normales. On m’a dit que vous avez eu un trouble du langage lorsqu’ils sont parvenus à vous réveiller. Avez-vous cogner la tête en tombant ?
- Je ne sais pas
Il palpe mon crâne, prend ma nuque à deux mains et tourne ma tête à droite à gauche. Il vérifie mes reflexes pupillaires avec un stylo-led, me demande d’ouvrir grand la bouche et tirer la langue pour examiner le fond de ma gorge.
- Vous avez déjeuné ?
- Une pomme.
- Ah, on tient peut-être là la cause du malaise…une petite hypoglycémie combinée à une grosse frayeur. En conclusion, rien de grave, mais je vous conseillerais de manger du sucre et de boire un verre d’eau.
- Des gâteaux secs, ça suffira ?
- Oui, cela devrait aller. Je ne vous fait pas d’ordonnance, vous n’avez besoin de rien. Vous allez juste avaler un doliprane pour parer à des douleurs liées à d’éventuels hématomes. Avez-vous votre carte vitale ?
Je farfouille dans mon sac, trouve mon portefeuille, en extirpe la carte et lui tend. Dans le même temps, je prends ma carte bleue pour régler la consultation. Tout en me rendant la petite carte verte, il me fait un clin d’œil et me dit :
- Non, inutile, c’est la gendarmerie qui réglera, ça les apprendra à malmener les jeunes filles. Allez, aurevoir mademoiselle et bon courage.
- Merci, aurevoir Docteur.
De vieilles gaufrettes vanille toutes écrasées au fond de mon sac à dos, vestiges d’une virée sur les falaises de la mer du Nord au mois de Mai, devraient recharger ma glycémie. Je n’ai que le temps d’en grignoter une que « ma cousine » (c’est ainsi que j’ai surnommé la gendarmette qui a une vague ressemblance avec ma cousine) vient me rechercher, destination le bureau du lieutenant.
- Asseyez-vous. J’ai une relative bonne nouvelle pour vous. Pendant votre auscultation, nous avons reçu des nouvelles de la petite Elsa. L'examen médical est très rassurant, elle n'a subi aucun sévices de quelques sortes que ce soit. Son analyse de sang est nickel, pas de traces de substances toxiques. C’est peut-être une tentative de kidnapping avorté. Cela n’élimine pas l’hypothèse de votre possible participation, mais pour le moment, étant donné que vous avez permis de retrouver Elsa, nous ne pouvons pas retenir de charges contre vous. Par conséquent, vous êtes libre mais nous vous demanderons de rester joignable jusqu’à ce que nous clôturions cette affaire.
- Mais je peux repartir à Lille ?
- Vous avez l’intention de partir tout de suite.
- Non, dans 3 jours je vais chez mes parents en Charente et une semaine plus tard, je repars à Lille pour mes études.
- S’il y a besoin, nous nous mettrons en rapport avec nos collègues du Nord. Votre vélo est dans la cour, demandez vos clefs au guichet . Bonne fin de journée.
- Aurevoir….et si je peux me permettre…trouvez une autre piste car je n’ai rien à voir avec l’enlèvement de cette petite fille.
Je ne suis pas sitôt dans le couloir que je pousse un « ouf » de soulagement. « Ma cousine » au guichet met bien cinq minutes à retrouver mes clefs sur un bureau encombré de dossiers. Il semblerait que tout soit mis en œuvre pour me retenir dans cette geôle. Je n’ai qu’une hâte, pédaler vers la mer pour prendre un grand bol d’air et apaiser toutes mes angoisses. Je natte grossièrement mes cheveux que j’attache avec un chouchou toujours prêt autour de mon poignet et j’appuie sur les pédales direction la petite plage de la Cible. Je mets le plus grand braquet pour amplifier l’effort. La douleur de l’effort remplace la douleur de la migraine ou bien est-ce le doliprane qui fait effet. Enfin la plage…..il me faudra une heure pour recouvrer mes esprits et prendre de la distance avec les évènements et même en sourire.
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