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La sonnerie du téléphone m’amène très progressivement à sortir de mon sommeil. Il est 9 h 10 . Numéro inconnu. Qui ose me réveiller à cette heure-là ? Je n’ai rien de prévu dans la journée, je souhaite juste profiter d’une grasse matinée. La mémoire me revient et l’épisode de la gendarmerie refait surface. Je leur ai promis d’être disponible. Je me racle deux ou trois fois la gorge et décroche. Les tentatives pour éclaircir ma voix ont échoué, c’est avec le timbre de Dark Vador que je réponds :

- Allo.

- Oui, bonjour. Ici c’est le lieutenant Patrick Caillette de la gendarmerie de Saint Martin de Ré

- Ah oui, bonjour.

- Je suis désolé de vous appeler si tôt ( mince , il a compris que je suis en train de me réveiller) mais nous avons avancé dans l’enquête concernant la petite Elsa et je voulais vous faire part de ces nouveaux éléments. La maman d’Elsa est actuellement dans mon bureau.

Je lui coupe la parole et tranche avec conviction.

- C’est elle qui a organisé l’enlèvement de sa fille !

- Vous regardez trop de film policier, mademoiselle. Non, pas du tout. En fait, elle a voulu dormir avec sa fille cette nuit pour se rassurer et rassurer aussi son enfant. Elle a constaté qu’au milieu de la nuit, la petite a fait une crise de somnambulisme. Elle est sortie du lit, elle a réussi à ouvrir la porte et s’est rendue dans la chambre voisine. C’est la chambre de sa tante, la sœur cadette de sa mère, dont elle était très proche mais qui est décédée il y a trois mois. Il se trouve que c’était cette même tante qui l’emmenait à la plage de la Clavette. La maman pense que sa fille cherche à retrouver sa tante et probablement qu’hier, c’est une crise de somnambulisme qui l’a guidée jusqu’au parking de la plage où elle se sera réveillée désorientée. Elle doit consulter un pédopsychiatre en début d’après-midi pour confirmer cette hypothèse mais elle est déjà convaincue que c’est ce qui s’est passé.

- C’est incroyable . Le pouvoir de l’inconscient.

- Oui, ça doit être le contre-coup des fortes émotions qu’elle a vécu. Toujours est-il que le spectre de votre éventuelle culpabilité s’éloigne de plus en plus et je voulais vous en informer pour que vous soyez sereine pour vos derniers jours de vacances chez nous.

- Merci.

- Par ailleurs, la maman d’Elsa souhaiterait vous remercier d’avoir sauvé sa fille sur le parking et je l’ai mise au courant de votre recherche généalogique. Elle aimerait vous rencontrer. Elle dit avoir été glaciale avec vous hier et elle aimerait effacer cela. Elle vous propose de vous rencontrer chez elle cet après-midi (j’entends de loin une voix féminine dire « vers 16 heures ») … vers 16 heures si ça vous convient.

- Pas de problème, j’aurai plaisir à m’y rendre.

- Je pense que je n’aurai plus l’occasion de vous convoquer et je vous souhaite de bien terminer votre séjour.

- Merci. Aurevoir.

Il semble que la roue du sort se soit inversée et me voilà à nouveau dans un mode positif. La soirée d’hier n’a pas été très apaisante. J’ai fait un passage éclair au cimetière pour porter le bouquet de fleurs abandonné dans mon évier, les fleurs étaient encore très fraiches, quelqu’un se posera sans doute la question de qui sera venu fleurir le petit mausolée et pour quel défunt, quoique l’évènement récent ne laisse pas beaucoup de place au doute. La carte postale est restée dans mon sac à dos, je ne sais toujours pas quoi en faire. Je n’ai pas reçu d’appel et c’est tant mieux, juste un SMS de ma sœur qui me demande de l’appeler un de ces quatre matins, elle a des choses à me dire, elle ne se doute pas que « la centrale d’informations » a déjà divulgué son actualité. Parfois, lorsque nous évoquons notre maman avec mes frères et sœur, nous la surnommons le « KGB » ou la « CIA » tant elle est toujours au courant de tout avant tout le monde. J’ai cogité pendant presque deux heures et puis j’ai réussi à m’endormir. Fatigue nerveuse et mal de crâne m’ont plongée sans difficultés dans un sommeil récupérateur. Cependant, la bonne nouvelle de ce matin installe un tel relâchement musculaire que je m’abandonne à nouveau aux bras de Morphée. Deux heures plus tard, la clarté d’un jour ensoleillé me tire à nouveau des draps. J’ai environ cinq heures à tuer avant de me rendre chez les Brun. Pourquoi ne pas faire un peu de tourisme. Je consulte les quelques dépliants mis à disposition par les propriétaires sur la petite étagère. Le phare des baleines me tenterait bien, forcément, mais il est à la pointe ouest de l’ile, à vingt kilomètres. Je ne veux pas me fatiguer pour rester bien alerte pour le rendez-vous de cet après-midi. L’Abbaye des Châteliers est plus proche, je peux m’y poser pour déjeuner et peut-être faire quelques photos. Je repère aussi la boutique de souvenirs, avec un peu de chance j’y trouverai un stylo flottant pour la collection de ma « petite môman » et une cuillère à moka touristique pour moi. Mes flâneries en vélo pour aller d’un endroit à un autre me permettent d’avoir un aperçu des paysages et des activités de l’île. J’aperçois au loin un saunier surveillant ses bassins, les ostréiculteurs sont dans leur cabanes, les touristes sont bien présents pour ces vacances d’Octobre et goûtent aux huitres accompagnées de pain de seigle beurré et d’un vin blanc local, beaucoup de vélos parcourent les rues, dans les ports quelques mouvements de bateaux animent les quais. Sur le site de l’abbaye, la fréquentation est pauvre, un couple et une famille ont choisi cette visite et circulent autour de la ruine. La femme tente de calmer les pleurs de son bébé qui réclame probablement son biberon. Soudain, j’entends un bourdonnement qui se mute lentement en un son grave auquel se joignent quelques secondes plus tard des notes cristallines. Un groupe vocal fait des vocalises dans l’ancien cloitre. Quelques minutes plus tard, la voix échauffée, ils entonnent un morceaux de Bach que j’identifie grâce à une application : « Bist Du Bei Mir ». Leurs voix s’élèvent vers le ciel dans ce lieu imprégné de spiritualité et les notes liturgiques me font frissonner. Une profonde sérénité m’enveloppe et les larmes me viennent devant tant de beauté et d’harmonie. Même le bébé s’est arrêté instantanément de brailler. Je savoure cet instant suspendu pendant quelques minutes puis le groupe reprend des vocalises . La journée est toujours ensoleillée et favorise la lumière pour la prise de photos. Je ne suis pas de ceux qui mitraillent à tout va et qui remplissent leur mémoire téléphone de dizaines de clichés identiques qui ne seront jamais triés. Je tourne d’abord autour du sujet et j’essaie de repérer les meilleurs angles de prises de vue, je prends alors trois ou quatre clichés et je partage souvent celui qui me plait le plus avec mes parents et Gymbia. Depuis cette semaine, j’ai ajouté Malo au groupe de mes destinataires. Il est le premier, et le seul, à réagir : « crise mystique ? » auquel je réponds « les dieux ont déserté le lieu depuis longtemps ! ». Retour au village de La Flotte, barquette de frites achetée à un foodtruck garé à proximité de la plage, contemplation assise en tailleur sur le sable … 15h45.

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