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- Arrête de tricher

Je viens de donner une claque sur la main de Malo qui essaie de détourner mon attention pour prélever une carte dans la pioche. Lorsque nous sommes arrivés à la location, nous avons retiré nos pulls et les avons mis à sécher devant le radiateur que je me suis permise d’allumer, après tout, ce supplément est compris dans le prix de la location. Une douce chaleur se répand bientôt dans la petite pièce et nous pouvons rester en teeshirt sans frissonner. En entrant, Malo a balayé la pièce du regard et a porté un jugement positif sur la réhabilitation de cet ancien garage. Dans pièce, le canapé lit en velours vert bouteille fait face à une étagère, entre les deux, une table basse sur roulette qui fait également office de coffre de rangement. Nous avons choisi le jeu « UNO » et nous sommes assis l’un à côté de l’autre sur le canapé. Il est évident que nous n’avons pas la même approche du jeu. Je suis rigoureuse et je veux gagner, Malo est un trublion qui ne souhaite que perturber le jeu pour le rendre encore plus amusant…et ça marche. Il gagne la première partie, je gagne la suivante, nous décidons de faire la belle. Le hasard m’est alors totalement défavorable. Malo pose carte après carte et enchaine les cartes spéciales m’obligeant à tirer 4 cartes ou à passer mon tour ou lui permettant de choisir la couleur dominante de son jeu qui , bien évidemment, est celle dont mon jeu est le plus dépourvu. Je suis à deux doigts d’abandonner la partie tant elle est inéquitable.

- Allez, râle pas, tu peux encore te refaire.

- Quel effronté ! tu m’encourages pour mieux savourer ta victoire.

- Ce n’est qu’un mauvais moment à passer, tu vas survivre, relativise.

Goguenard, il cherche à me réconforter mais m’achève en déclamant son « UNO » triomphant.

- Attends, c’est pas fini, avec toutes mes cartes, j’en ai bien une qui va te bloquer. Laisse-moi réfléchir. Crois moi, ça va être à ton tour de piocher. Tremble parce que je vais mettre…celle-ci !

J’abats un 2 jaune …qu’il recouvre avec la carte super joker ! La guigne jusqu’au bout ! Tandis que son visage s’éclaire d’un sourire vainqueur et que sa main compatissante se pose sur mon épaule, d’un geste rageur, je jette mes cartes en l’air.

- Connais tu la signification de « la belle » ? me demande-t-il.

- Non. Mais toi je suppose que oui. Allez vas-y , humilie moi de ta science.

Je surjoue la fille en colère pour accentuer le second degré de ce pseudo-mélodrame.

- Cela remonte aux joutes des chevaliers au Moyen Âge, chacun portaient les couleurs de la dame de son cœur autrement dit sa belle, le vainqueur de la partie décisive gagnait… un baiser de sa belle.

Il a prononcé ces derniers mots plus lentement en me regardant intensément. Un silence chargé d’attente, d’impatience et d’appréhension s’installe entre nous deux. Cela dure quelques longues secondes pendant lesquelles les connexions font des étincelles dans mon cerveau. « Est-ce que j’ai bien entendu ? Dois-je y voir une invitation à l’embrasser ? Est-ce bien sérieux ? Où cela va-t-il me conduire ? Laisse-toi aller , tu en as autant envie que lui. Est-ce vraiment cela qu’il a voulu dire ? Et si je me méprenais, comment réagirait-il ? Je vais attendre qu’il prenne l’initiative. Mais pauvre idiote, il l’a déjà prise l’initiative en te racontant cette histoire. Oh que j’aimerais être une de ces filles pleines d’assurance qui se lancent sans se poser de questions . » Pendant que toutes ses pensées virevoltent sous mon crâne, ses yeux sont plongés dans les miens et cherchent manifestement une réponse. Je n'ai plus de doutes. J’incline et approche doucement mon visage du sien jusqu’à ce que nos lèvres se touchent et je dépose un léger et simple baiser auquel il répond aussi doucement. Nos visages restent aimantés et s’en suit un second baiser beaucoup plus langoureux balayant toutes les incertitudes sur les sentiments que nous nous portons. Nos corps se rapprochent, nos mains se nouent. Ce baiser ne dure peut être qu’une minute au terme de laquelle nos lèvres se dessoudent, nos têtes s’éloignent et, l’un et l’autre, sans concertation, poussons un profond « ouf » de soulagement. Cette réaction simultanée libérant nos craintes et notre désir secret nous fait éclater de rire et nous nous nichons aux creux de nos épaules respectives pour enfin nous enivrer de l’odeur de l’autre. Malo me murmure à l’oreille :

- Enfin ! Je savais que cela arriverait. J’ignorais quand…. J’ai flashé sur toi dès ta visite au phare. Depuis, j’ai ton visage imprimé sur mes rétines, tes cheveux bruns, ta peau si claire, tes yeux verts. Je suis tellement soulagé…. Toute la journée , j’ai eu une envie furieuse de te prendre la main…. J’ai l’impression que mon cœur va éclater de bonheur.

Pour toute réponse, je mets mes bras autour de son cou et je glisse ma tête jusqu’à ce que nos lèvres se trouvent , s’entrouvrent, s’ouvrent pour un long baiser fougueux, brûlant, éperdu. Nous passons ainsi de longues minutes à alterner chastes petits bisous sur tout le visage et ardentes étreintes. Ce n’est plus le temps des hésitations. Une vague puissante nous submerge et annihile nos pensées. Nos âmes deviennent animales, elles fusionnent en une entité qui n'obéit plus qu’à des pulsions primaires. Malo passe sa main sous mon teeshirt et je sens sa chaleur grimper sur mon dos. J’ose également égarer ma main sur la peau de son torse, ce contact génère une réaction inattendue , comme si la foudre me parcourait de la tête au pied. Contre toute attente, nous en restons là dans l’exploration de notre intimité. C’est Malo lui-même qui vient capturer ma main sous son teeshirt, la porter à sa bouche , embrasser ma paume et me dire:

- J’ai terriblement envie d’aller plus loin mais je ne veux pas que ce soit dans la précipitation. Si on passe à l’étape suivante, je sais que je ne voudrai pas quitter ton nid et je ferai faux bond à mon frère et…comment dire, je ne suis pas équipé.

- Chut, tu n’as pas besoin de te justifier. Comme un preux chevalier, tu vas respecter ta princesse …

- Euh, je ne pense pas que les chevaliers réfrénaient leurs pulsions et en plus ils n’avaient pas besoin du petit capuchon.

- Peut-être pas mais il leur fallait des outils pour ouvrir la ceinture de chasteté.

- Est-ce que tu me suggères de me trimballer avec une caisse à outil en plus du préservatif !

Sur ces plaisanteries , nous continuons de sceller nos sentiments naissants par des caresses, des baisers , des chatouilles, des mordillements. Nous nous retrouvons allongés l’un contre l’autre, à nous assoupir, vaincus par cette tornade d’émotion.

La sieste m’emporte jusqu’à 16h20. Puis l’inconfort m’amène à me retourner face à Malo, le canapé est étroit, l’entreprise n’est pas aisée, mes tortillements ont raison de son sommeil et il s’éveille le sourire aux lèvres. Il me serre doucement dans ses bras et me murmure :

- C’est le plus doux réveil que j’ai jamais eu.

- Plus doux que lorsque ta maman te passait sa main dans les cheveux lorsque tu étais petit ?

- Je crois que je n’ai jamais eu cette chance , je dormais dans la même chambre que mon frère et cet asticot se réveillait tôt et me sautait dessus. Mes réveils ont été plutôt musclés.

- Le frère de ce soir ou un autre?

- Celui qui fête son anniversaire ce soir.

- Parle-moi un peu de lui.

- Il s’appelle Maé, il a une compagne, Marie, et ils ont un petit garçon de 3 ans , Gaspard. Ils attendent une petite fille pour Avril. Ils vivent sur la côte sud de l’ile. Il est instituteur…professeur des écoles si tu préfères, ici, sur l’ile de Ré.

- Et sa compagne ?

- Elle est artisane. Elle fait des tricots en laine vierge qu’elle expose en dépôt-vente dans un petit magasin de Rivedoux.

- Tu t’entends bien avec lui ?

- J’ai régulièrement envie de lui faire manger du foin pour toutes ses grasses matinées volées et toutes les misères qu’il m’a fait mais je l’adore. Tu verras ce soir, c’est un chouette gars. Il y aura Yann aussi, mon frère ainé.

- Ils vont être étonnés de nous voir en couple.

- Ça, tu peux le dire. Le loup de mer solitaire qui ramène une copine. Je crois que nous allons faire la une de la gazette familiale.

- Tu ne leur a jamais présenté de copine ?

- Rencontrer quelqu’un, nouer une relation qui dure, ce n’est pas très facile avec mon métier. Et puis jusqu’au mois dernier, aucune jeune fille ne m’a fait vibrer. J’ai eu quelques aventures quand j’étais au lycée mais rien de sérieux. Et toi, jolie et charmante comme tu es, tu as du briser des cœurs ?

Pendant que nous nous faisons ces premières révélations, je dessine, du bout de l’index, des arabesques et des cœurs imaginaires sur son teeshirt. Malo joue avec mes mèches de cheveux et dépose de temps à autres un petit bisou sur mon front.

- Moi, je suis très craintive. J’inspire plus la confiance que l’amour. Je suis plutôt la bonne copine à qui on se confie où à qui on demande de provoquer une rencontre. Ou alors, la bonne partenaire de jeu ou de fête. Quelques garçons se sont intéressés à moi mais ce n’était pas réciproque, trop bad boys, trop m’as-tu vu ou trop coureurs. Deux fois, je me suis laissée tenter et deux fois je l’ai vite regretté… mensonge et tromperie. Je suis très sage depuis que je suis à Lille. Je t’attendais, mon beau loup de mer.

- Mon métier…tu vas supporter ?

Je réponds à cette question par un long et profond baiser qui vient clôturer nos confidences. Quelques minutes s’écoulent encore où, blottis l’un contre l’autre, je m’ abandonne à des songes pastels. Ma rêverie est interrompue par un bourdonnement électrique. C’est le portable de Malo qui l’alerte d’un message. Après l’avoir consulté, Malo prend une mine boudeuse :

- C’est ce que je redoutais, mon frère me réclame, je suis en retard pour lui rendre la voiture…la 4L, c’est la sienne, il me l’a prêté pour la journée mais il en a besoin pour faire des courses pour ce soir. Je dois y aller.

- Je suis aussi chagrinée que toi, mais on va réagir en adulte. Et puis on se revoit très vite. Tu te rends compte…on va se manquer…c’est grandiose, je n’avais jamais ressenti ce gouffre au creux du ventre.

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