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- Allo Laurence, je viens aux nouvelles, tu n’es pas venue en cours ce matin.
- J’ai le moral en berne, je m’accorde un petit break.
- Il va falloir que tu me dises ce qu’il se passe. J’ai bien compris que tu ne voulais pas m’en parler au téléphone mais là, je vais être en face de toi. Je serais là dans 15 minutes.
- Non, ce n'est pas la….
Elle a déjà raccroché. Je vais préchauffer de l’eau pour le thé. Et puis je vais m’habiller, ce n’est pas que cela me gênerait de recevoir Gymbia en peignoir mais cela fait trois jours que je traine sans me laver, ni quitter le lit, c’est l’occasion de relever un peu le niveau d’hygiène. Une douche, un caleçon , un pull extra-large col roulé et une sonnette qui retentit. Gymbia m’enlace et me pousse vers le canapé :
- Alors, qu’est-ce qui te met dans un état pareil ?
- Un sac de doubles-nœuds bien serrés et les turbulences d’un chagrin d’amour.
Je lui raconte tout : l’épisode Elsa, la gendarmerie, les révélations chez France, le rapprochement avec Malo, la soirée d’anniversaire, ma fuite.
- Tu as parlé avec Malo depuis ?
- Je n’ai pas eu le courage. J’étais tellement confuse. J’ai laissé une lettre sur la porte de la location à son intention.
- Mais il n’est peut-être pas passé à la location
- Si. Il a cherché à me joindre et comme je ne répondais pas, il a laissé un message et il m’a envoyé des SMS, une pluie de SMS.
- Qu’est-ce qu’il te dit ?
- Que je lui manque, qu’il veut me voir, que peu lui importe les derniers évènements, qu’il croit en ma sincérité.
- Tu l’as rappelé ?
- Non, je ne veux pas me bercer d’illusions. Il doit y avoir des doutes qui se sont insinués dans son cerveau et cela ressurgira à un moment ou un autre . Inutile de poursuivre une histoire sur une base pourrie.
- Où est le problème exactement?
- C’est moi et toutes les questions que je me pose.
- Euh…il est où le petit ange qui est d’habitude juché sur ton épaule gauche et qui te donne les bons conseils ?
- Un traitre celui-là, il m’a tourné le dos et il s’est envolé au moment où les choses ont commencé à mal tourner.
- Un ange Voldemort.
- Ouais exactement, avec sa baguette des ténèbres.
Elle arrive à me faire sourire dans mes larmes. Elle se lève pour aller chercher le thé.
- Tu vas essayer de raisonner maintenant. Tu n’as rien fait de mal , tu n’as jamais menti, tu es restée honnête sur tes sentiments et maintenant tu es malheureuse. Laisse toi une chance, laisse lui une chance.
- Il a dû repartir à Cordouan. Je n’ai plus de messages depuis trois jours. Il doit penser que je me suis jouée de lui et que tout va bien pour moi.
- Tu ne peux pas l’appeler, là , maintenant.
- Il m’a dit que les communications passaient mal sur le phare. Ils ont des téléphones spéciaux pour appeler leur famille. Et puis je ne vais pas le déranger au travail.
- A cette période, il n’y a plus de visites, il doit avoir des disponibilités. Et du coup, l’histoire Anaïse, t’en fais quoi ?
- J’arrête. J’ai laissé la carte postale avec la lettre pour Malo sur la porte de la location , il en fera ce qu’il voudra, après tout elle lui revient plus qu’à moi. Moral de l’histoire « Il ne faut pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas ».
- Tu dois avoir un goût d’inachevé quand même.
- Oui et non. Je me dis que j’ai passé le flambeau. La balle est dans le camp de Malo, à lui de voir s’il veut en parler à son grand-père ou pas.
- Tu ne seras jamais tranquille tant que tu n’auras pas discuté avec lui.
- N’insiste pas, je te dit que c’est foutu.
- Bon, alors si c’est foutu, ce n’est pas la peine que tu perdes plus de temps et tu vas te ressaisir. Déjà, dès demain, tu retournes en classe. Au début, t’auras du mal à te concentrer et puis cela ira de mieux en mieux, tu dois bien ça à tes parents. J’ai amené les cours de ce matin, on va les regarder ensemble.
Gymbia a essayé tant bien que mal de me changer les idées en me raccrochant aux études. Les jours se sont succédés, ternes et sans saveurs. La semaine s’est achevée. Gymbia ne m’a pas lâchée d’une semelle. Je crois que j’ai réussi à faire bonne figure, à donner le change, à faire croire que je vais mieux mais à l’intérieur de moi, c’est un chantier de démolition. Gymbia m’affirme que c’est bon signe, que lorsque tout sera à terre, je pourrai rebâtir. Le samedi, elle m’a même trainée dans un magasin de bricolage pour choisir les matériaux qui seraient utiles à une reconstruction s'il s'agissait d'une maison. Elle prétend que travailler par analogie peut aider à guerir les maux. On a regardé les briques, les plaques de placo, les sacs de ciment, le prix du cubage de sable, de gravier, les différents bardages, le bois, les papiers peints, les peintures et jusqu’aux tubes PVC ou aluminium pour les gouttières. Folle ou psychologue, je ne sais pas…Toujours est-il que ce projet virtuel m’a vraiment projetée sur l’avenir. Deux semaines se sont écoulées, seule Gymbia devine que j’ai toujours le cœur brisé mais elle s’emploie, doucement, à réunir les morceaux et à reconstituer petit à petit le puzzle. Les fêtes de fin d’année approchent, les partiels aussi. Je me plonge dans les révisions pour éviter de penser. Les vagues à l’âme s’espacent. J’ai rangé mon petit bracelet dans le tiroir de ma table de nuit, je vais le regarder dans les minutes de grands cafards quand la nostalgie m’emporte. Ma candidature pour le stage au C.H.U a été rejetée mais mon deuxième vœux dans l’institut pour déficients auditifs a été accepté. C’est dans la banlieue de Lille, je devrai prendre les transports en commun mais je pense que le boulot va être passionnant. Gymbia sera dans un cabinet d’orthophonie à Tourcoing. Noël chez Papa-Maman et réveillon du jour de l’an à Lille avec la promotion de la fac. Gros, gros soupir en pensant que j’aurai pu passer le nouvel an dans les bras de Malo. Ce sera d’autant plus difficile que Gymbia sera sans doute dans ceux de son zombie qui a succombé à son charme.
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