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De retour chez ses parents qui nous hébergent, dans sa chambre d’adolescent, j’interroge Malo sur ce qui me turlupine :
- Je ne comprends pas, tu as dû passé maintes fois devant le portrait de Régis dans la chambre du gardien, au phare. Et tu n’as jamais repéré la ressemblance avec ton grand-père ?
- Non. D’abord je n’ai jamais prêté attention à ce portrait jusqu’à ta visite au phare. Et puis le personnage est bien plus jeune que mon grand-père, le temps modifie les visages. Non, la ressemblance ne m’a pas sauté aux yeux.
- Au moins, maintenant, on sait que ta gémellité a eu un précédent. Il doit y avoir une hérédité. Une double hérédité même, du côté d’Anaïse et du côté de René.
- Tu veux dire que tu vas peut être me faire deux bébés.
- Et d’un, ce n’est pas à l’ordre du jour, et de deux, ce n’est pas obligatoire. Regarde chez ton frère, Gaspard et Eugénie n’ont pas de jumeaux. Chez Yann non plus il n’y a pas de jumeaux.
- Justement, statistiquement, si l’hérédité ne s’est pas manifesté chez mes frères, ce sera surement chez nous.
- J’ai l’impression que c’est un vœu.
- J’avoue que cela ne me déplairait pas …. Deux petits bébés d’un coup. Ça rentabilise la grossesse.
- Quel monstre tu es, tu comparerais la grossesse à un produit commercial.
Malo passe ses bras autour de ma taille et me murmure suavement à l’oreille « on pourrait peut-être commencer les négociations ».
Alors que, sexuellement satisfaits, nous paressons sous la couette, les scènes chez Papymile me reviennent en mémoire. Malo m’entortille les cheveux.
- A quoi tu penses ?
- Tu vas encore dire que je suis obnubilée … je ressens à nouveau ce malaise qui me torturait au début de mon enquête. J’ai l’impression qu’on fait fausse route mais je ne sais pas pourquoi.
Malo me chatouille les côtes et me gronde gentiment :
- Mais tu vas te calmer un peu. Je vais te donner du Tranxène si tu continues.
- C’est quoi ?
- Un somnifère.
- Je prends le risque mais je persiste, il y a quelque chose qui cloche. C’est la lettre du service militaire. Tu crois qu’il serait possible de la revoir.
- Dimanche, au repas chez Maé. Papy et Mamie y seront. Je peux demander à Papy de ramener ses documents. Et après tu me promets qu’on enterre cette histoire Mademoiselle Obstinée.
- Promis Monsieur Garde-fou.
Le repas de famille avait lieu trois jours plus tard. On occupait nos vacances à visiter la famille. France ne me tenait pas rigueur de nos derniers échanges et m’accordait sa pleine confiance. Elisa avait grandi et n’était plus somnambule. Chez Maé, Gaspard devait digérer l’arrivée de sa petite sœur, Eugénie. Le frère ainé, Yann le breton, était lui aussi en vacances sur l’ile avec sa famille. Les trois frangins unissaient leur force pour aider leur père à remettre de l’ordre sur le terrain familial, nettoyer la petite mare, tailler les haies, ranger la grange. J’aidais Christine, la maman, pour faire les commissions et préparer les repas mais surtout je me délassais au cours de grandes balades avec Guss, l’épagneul de la famille. Parfois, Gymbia retournée pour le long weekend à Tours, me téléphonait ou bien c’était moi qui la contactait. Elle approfondissait les liens avec son zombie d’Halloween dont elle était tombée folle in love. Deux jours plus tard, son appel était beaucoup moins enthousiaste :
- Il va falloir que j’aligne mon viseur sur une autre cible.
- Ah, qu’est-ce qu’il t’a fait ?
- Oh non, rien, mais il fait partie du club des GGL* , je pense qu’il en est même membre honoraire. Hier soir, on est sorti dans un bar à vin avec ses amis, ça a été un festival. Il est un peu bas de plafond, si tu vois ce que je veux dire.
- Tu veux dire que ce n’est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir ?
- Tout à fait, je dirai même mieux, il lui manque deux minutes de cuisson et un piston au moteur.
- Pauvre garçon , je crois qu’il a été rhabillé pour l’hiver.
- Hier soir, je me suis demandé ce que je faisais parmi eux, moi, si raffinée.
- Quelle prétentieuse !
- Dis-moi, il a pas un cousin encore célibataire Malo ?
- Pas de bol, il n’a que des cousines.
- Et toi où en es-tu de ton entreprise ?
- Ce n’est plus mon entreprise mais notre entreprise. Malo est quasiment aussi impatient que moi. On avance. Peut-être l’histoire trouvera-t-elle son épilogue un jour.
- Sinon, j’ai reçu un mail de mon maitre de stage, il veut que je lui remette mon rapport la semaine prochaine. Je l’ai même pas commencé, je suis dans la mouise. Et toi tu en es où ?
- Pas commencé non plus. Mais pour l’instant, on ne m’a rien réclamé. Si tu veux , on se voit mardi soir et on en parle.
- Je ne peux pas attendre mardi, il faut que je m’y mette dès aujourd’hui. Mais d’accord pour mardi, on verra où j’en suis. Allez, savoure bien tes derniers jours de vacances. À mardi.
- À mardi, ma belle, bon courage.
Je sais que même si je n’ai pas encore le couteau sous la gorge, je vais me pencher sur la rédaction de ce rapport de stage dès lundi, quand je serai rentrée à Lille. Malo, lui, sera reparti pour Cordouan. Ses collègues et lui ont pour mission de mettre au point des animations par tranches d’âge pour la prochaine saison. Nous allons être tous deux bien occupés et peut-être cela nous aidera à moins nous manquer.
Pour l’heure, je suis recroquevillée dans le fauteuil du salon. Guss est à mes pieds. Je regarde le ciel en réfléchissant aux derniers développements de mon affaire. Pourquoi l’analyse qu’en fait Papymile ne me convient pas ?
(* Club des GGL = club des personnes faisant des blagues Grosses, Grasses, Lourdes. )
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