Embarquement
Elas travaillait depuis l’enfance sur le bateau de son père. Ce n’était pas son père génétique, celui-là, comme sa mère d’ailleurs l’avait abandonné à son sort dès sa venue au monde. D’eux il ne lui restait qu’un bracelet et une lettre qu’il avait dû lire un bon millier de fois tout en désirant la brûler à chaque fois. Il aurait préféré ne rien savoir du tout plutôt que cet amas de mot sans queue ni tête, car la lettre n’avait pas de sens c’était un ensemble de phrases sibylline, avec juste cette phrase en finale : « quand tu auras compris le sens de cette missive, tu seras proche de nous ». Pas vraiment encourageant, et puis quelle prétention de croire que le fils qu’ils avaient lâchement abandonné allait chercher à les retrouver ! Il était partagé entre le désir de savoir et celui d’oublier toute cette histoire qui lui faisait mal.
Son père adoptif, le capitaine du bateau qui est aussi son domicile, du moins le seul foyer qu’il n’ait jamais eu, était à ses yeux le seul père digne d’être appelé ainsi. Et ne parlons pas de mère. Les marins comme lui ont du mal a retenir les femmes dans leurs bras suffisamment longtemps pour en faire des mères à plein temps. Seule Zina la vieille aveugle qui vivait elle aussi sur le bateau du capitaine Nilen, lui avait apporté un peu d’affection féminine.
Le bateau de Nilen faisait commerce entre l’île verte et Océalys depuis près de vingt ans, il apportait toute sorte de bien de première nécessité aux habitants de l’île en échange de l’huile de noix dont raffolait les nobles du royaume depuis que la reine mère avait élevé cette matière à la noblesse. Elle lui prêtait toute sorte de vertus essentielles dont les nobles dames ne pouvaient bien sûr se passer. Il faut dire que la reine est issue de l’ile et lui est resté fidèle à sa façon.
Les marins, amis et compagnons d’Elas, préparaient une nouvelle grande traversée, jusqu’à tard dans la nuit car tout devait être prêt pour le lendemain, jour que les oracles avaient désigné comme étant le plus propice au départ. Ils étaient tous concentrés sur les diverses manœuvres, attentifs à bien faire leur tâche. Travailler pour Nilen n’était pas une sinécure, le capitaine était réputé autant pour son grand cœur que pour ses colères dantesques.
Personne ne remarqua les deux jeunes gens qui s’étaient glissé dans la soute, discrètement. Personne sauf Elas qui pour une raison que lui-même ne comprenait pas, ne dis rien à personne de ce qu’il avait vu.
Zinele et Peyre ferait parti du grand voyage. Si tout se passait bien, dans une semaine, il toucherait le sol d’Océalys.
S’il savait être discret, leur voyage clandestin passerait inaperçu de l’équipage
Qui peuvent-ils bien être ? La curiosité est un vilain défaut dirait le capitaine Nilen, sauf si elle permet d’anticiper les problèmes à venir. En ce sens, il devait certainement chercher à savoir qui voyageait sur le bateau. Il devrait certainement tenir au courant son père adoptif et l’équipage de la présence des deux individus, mais il savait qu’alors leurs voyages serait fortement compromis. Le châtiment des clandestins serait certainement exemplaire, la mort si les deux individus n’avaient pas la chance de faire partie de l’aristocratie. Si tel était le cas, alors une mise au ban de la communauté les attendaient ce qui ne valait guère mieux que la mort. Le seul moyen de sortir de cette situation serait alors de s’illustrer à la guerre. Le mieux serait d’y mourir pour récupérer son honneur perdu. Il n’aimait décidément pas la mentalité guerrière des habitants de l’île verte.
Peu importe qui ils étaient, il attendrait d’être en mer pour en informer le capitaine Nilen si cela s’avérait nécessaire, seulement lorsqu’il en aurait appris assez sur les importuns. Il agissait plus par compassion que pour son intérêt propre car si Nilen apprenait qu’il avait sciemment attendu de quitter l’île verte, la punition ne se ferait pas attendre. Nilen ne pouvait se permettre de se mettre à dos l’aristocratie de l’ile, le commerce entre Océalys et Vert était depuis longtemps son fonds de commerce, perdre sa licence serait une catastrophe pour lui et son équipage. Elas était conscient qu’il prenait un gros risque, peut-être inutile en se taisant, mais une phrase de la lettre paternelle tournait en boucle dans son esprit
Deux amèneront ton cœur aux alentours du bonheur si tu sais te taire
Décidément cette lettre était un cadeau empoisonné ! Si seulement il pouvait en comprendre le sens.
« Que fais-tu à rêvasser ? hurla Nilen, il faut charger ce foutu bateau avant le lever du jour si l’on veut profiter de la bienveillance des déesses ! »
« Oui père, je m’active »
« Encore à penser à cette foutue lettre, j’aurais dû la brûler avant qu’elle te pourrisse l’âme ! »
« Excusez-moi père. »
« Eh ! toi là-bas, tu veux sécher en haut du mat ou quoi ! Remue-toi un peu ! »
Nilen était déjà parti s’acharner sur d’autres membres de l’équipage, au grand soulagement d’Elas. Il reprit sa tâche, oubliant la lettre et les deux passagers clandestins pour quelques heures harassantes.
Enfant Elas aimait rêvasser, caché dans les cales du navire, il s’était aménager un territoire secret, connu de lui seul, enfin le pensait-il car dans un espace aussi confiné qu’un navire de commerce, les secrets ne durait jamais bien longtemps. Quoiqu’il en soit il aimait venir s’y ressourcer quand malgré lui trop de questions et de doutes envahissaient son esprit. Les autres membres d’équipages ne le dérangeaient pas et tous s’étaient habitués à ses disparitions. Tant qu’elles ne perturbaient pas la vie du bord et que le moussaillon accomplissait sa tache...
Il y avait là une paillasse et un petit coffre dans lequel, le jeune homme avait collecté ses maigres souvenirs d’une banale vie de marin. Au début il s’amusait à amasser divers objets qu’il récupérait à chaque escales à terre, puis, il s’est vite rendu compte que celle-ci était toujours les mêmes, suivant un cycle bien précis. La vie de marin n’était guère différente de celle des terriens, seul le rayon d’action était plus grand, mais tout comme eux, il visitait toujours les mêmes lieux.
Il devait savoir qui était les deux passagers clandestins, la curiosité était trop forte, comme tous les jeunes gens, il ne voulait surtout pas mourir d’ennui, et voyait dans ces événements imprévus un bon moyen de fuir celui-ci. Il décida donc de descendre dans la cale dès que le sommeil sera maître de la majeure partie des membres d’équipages.
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